Prouver le caractère frauduleux d'un permis de construire : mission (presque) impossible

Urbanisme -

L'administration peut retirer une autorisation de construire sans condition de délai en cas de fraude.

Mais le juge reconnaît rarement cette circonstance.

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Pour obtenir une autorisation de construire, certains pétitionnaires font parfois preuve de mauvaise foi, voire recourent à des supercheries. Ces comportements sont cependant particulièrement difficiles à qualifier de frauduleux, les juges donnant une interprétation stricte de cette notion. La fraude consiste pour le pétitionnaire à se livrer intentionnellement à des manœuvres, de nature à induire l'administration en erreur, afin d'obtenir une autorisation d'urbanisme qu'il n'aurait pu obtenir sans elles.

Retrait sans condition de délai. En principe, en application de l', les autorisations d'urbanisme ne peuvent être retirées que dans un délai de trois mois et à la condition d'être illégales. Passé ce délai, sauf demande expresse de leur bénéficiaire, elles ne seront plus susceptibles de retrait - à moins qu'un cas de fraude soit avéré, rendant possible un retrait sans condition de délai. Un arrêt du Conseil d'Etat du 9 octobre 2017 est d'ailleurs venu préciser que l'administration peut retirer l'autorisation si elle découvre l'existence d'une fraude après la délivrance du permis de construire (1). Nombre de collectivités sont tentées d'invoquer un comportement frauduleux (de façon à opérer un retrait au-delà de la limite des trois mois), car les dispositifs existants se révèlent parfois insuffisants pour sanctionner des pétitionnaires malintentionnés. Ainsi, lorsque des poursuites ont lieu sur le fondement de l' relatif aux sanctions pénales applicables en cas de travaux réalisés en méconnaissance de l'autorisation délivrée, les peines infligées sont rarement lourdes et les mesures de restitution rarement prononcées. En outre, les agents peuvent se sentir dépossédés de cette procédure une fois le procès-verbal d'infraction dressé et transmis au Parquet compétent.

La difficile preuve de l'intention de tromper

L'erreur, insuffisante pour caractériser la fraude. Pour autant, établir le caractère frauduleux du comportement d'un pétitionnaire n'est pas chose aisée. Bien que révélant fréquemment des erreurs (mentions erronées portant sur la surface de plancher à réaliser, sur la qualité du pétitionnaire, sur l'identité des parcelles, etc. ), les dossiers de demande d'autorisation d'urbanisme sont rarement considérés par le juge administratif comme entachés de fraude. En effet, comme l'indique le Conseil d'Etat dans un arrêt du 21 novembre 2012, « la fraude suppose, pour pouvoir être caractérisée, que le pétitionnaire ait procédé à des manœuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet » (2). Ainsi, la seule erreur, quand bien même aurait-elle eu une incidence sur le sens de la décision de l'autorité administrative, n'est pas suffisante pour qualifier la fraude.

La fraude ne peut être caractérisée par des faits postérieurs à la délivrance de l'autorisation.

L'erreur doit être intentionnelle…

Dès lors, toute la difficulté repose sur la question de l'existence de cette intention de tromper et la manière dont les juridictions l'identifient.

En premier lieu, la notion de « manœuvre frauduleuse » réside dans le caractère intentionnel des erreurs commises par le pétitionnaire. Le juge administratif déduit en effet l'intention de tromper de la connaissance qu'a le pétitionnaire du caractère erroné ou incomplet de sa demande.

Tromper par action ou par omission. Tout d'abord, les éléments versés au dossier doivent établir l'existence d'une information ayant induit en erreur l'administration. Ce caractère trompeur peut résider en une action ou en une omission volontaire du pétitionnaire. Par voie d'action, l'exemple typique est celui de la transmission d'un faux (3).

Mais le pétitionnaire peut aussi avoir omis de transmettre des in-formations essentielles à l'instruction de sa demande (4).

Ensuite, il doit être établi que le pétitionnaire ne pouvait ignorer ce caractère trompeur. Dans l'arrêt du 9 octobre 2017 notamment, le Conseil d'Etat a considéré que le demandeur transmettant au soutien de sa demande de permis de construire une promesse de vente qu'il savait être caduque, avait eu l'intention de tromper l'administration. De surcroît, il savait que le terrain, objet de cette promesse, avait fait l'objet d'une nouvelle promesse de vente au bénéfice d'un tiers. Ainsi, le juge administratif a déduit l'intention frauduleuse de la connaissance qu'avait le pétitionnaire du caractère erroné ou incomplet des informations transmises.

… et établie avant la délivrance de l'autorisation

En second lieu, et de jurisprudence constante, la fraude ne peut être caractérisée par des faits postérieurs à la délivrance de l'autorisation (5). Cette caractéristique n'est pas sans poser de difficultés puisque c'est généralement au stade de l'exécution du permis de construire que les services de l'urbanisme des collectivités se rendent compte qu'ils ont été trompés par le pétitionnaire.

En effet, il convient de rappeler que « si l'administration a connaissance, au moment où elle statue, d'informations permettant d'établir le caractère frauduleux de l'attestation ou faisant apparaître que le pétitionnaire ne dispose d'aucun droit pour déposer l'autorisation de construire, il lui revient de s'opposer à la demande et de la refuser » (6).

Pour caractériser la fraude, il sera donc nécessaire de démontrer l'intention de tromper en s'appuyant sur des éléments antérieurs à l'autorisation, mais qui n'avaient pas encore été portés à l'attention de l'administration au moment où elle statue.

A ce titre, Internet peut être une source d'information utile pour les agents. Il a ainsi été jugé qu'une demande de permis de construire modificatif, portant sur la création de logements saisonniers et le réaménagement de logements existants en vue d'une occupation personnelle, était entachée de fraude car à la date du dépôt de sa demande, le site Internet du pétitionnaire proposait ces logements à la location, et que des réservations avaient déjà été enregistrées. Le juge en a déduit que l'intention du pétitionnaire était mensongère, car contraire au projet décrit dans sa demande, et traduisait par conséquent l'intention frauduleuse du pétitionnaire (7).

Toutefois, force est de constater que dans la majeure partie des cas, il sera particulièrement délicat, voire impossible, d'établir l'intention frauduleuse du pétitionnaire. Les conditions cumulatives susvisées étant rarement réunies, la jurisprudence a parfois tenté de faire preuve de souplesse en semblant considérer que des erreurs étaient constitutives de manœuvres frauduleuses dès lors qu'elles permettaient de contourner les dispositions d'un document d'urbanisme (8). Mais cette jurisprudence demeure très isolée. En tout état de cause, à ce jour, la notion de manœuvres frauduleuses en matière d'autorisation d'urbanisme reste entendue très strictement par le juge administratif.

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