La décision du tribunal administratif de Toulouse du 9 décembre dernier de rouvrir, contre toute attente, l’instruction du dossier concernant le chantier de l’autoroute devant relier Castres à Toulouse aura été la goutte d’eau pour de nombreux avocats et universitaires. Dans un texte diffusé par France Info le 9 janvier et intitulé « A69 : le droit de l’environnement sert-il encore à quelque chose ? », ils tirent la sonnette d’alarme s’agissant du traitement par les juges de ce projet très controversé, qui « révèle de manière plus large un dysfonctionnement de la justice environnementale avec pour conséquence la défiance des citoyens envers l'institution judiciaire et, plus largement, l'État de droit. »
Pas de raison impérative d’intérêt public majeur
Alors que la rapporteure publique de ce dossier s’était prononcée le 25 novembre pour une annulation des autorisations environnementales du chantier accordées en mars 2023, en se fondant sur l'absence de « raison impérative d'intérêt public majeur » du projet autoroutier, le tribunal a indiqué, « en lieu et place du délibéré attendu », qu’une nouvelle audience se tiendrait « dans les prochains mois ».
« Inégalité des armes »
Pour les auteurs du texte, « le fait qu’une note en délibéré des préfets ait conduit le tribunal à rouvrir l’instruction en reportant l'audience « dans les prochains mois », crée un contraste saisissant entre la célérité initiale de la procédure et ce nouveau délai, inhabituellement long à la suite d’une note en délibéré. » Cela témoigne d’une « inégalité des armes » entre les requérants d’un côté – « dont les demandes de report sont rarement accordées » –, l'Etat et les porteurs de projets de l’autre.
Et pendant que la procédure suit son cours, les travaux continuent, avec le risque que « la décision finale intervienne trop tard et rende toute annulation irréaliste », s’inquiètent les signataires. A noter que depuis, le juge des référés du TA toulousain a été saisi par le collectif « La Voie est libre » ainsi que par d'autres associations partenaires pour demander en urgence la suspension des travaux.
« Stratégie du fait accompli »
Ce dossier est d’ailleurs loin d’être un « cas isolé » et témoigne de la « stratégie du fait accompli » comme l’illustrent notamment la déviation de Beynac (Dordogne), ou encore le barrage de Fourogue (Haute-Garonne). « Autant de projets qui ont été construits en toute illégalité et ont été annulés a posteriori par des décisions de justice ».
En accordant de nouveaux délais, « la justice envoie le message que les aménageurs ont tout intérêt à mettre en œuvre des procédés dilatoires pendant les procédures d'instruction, pour se donner toutes les chances qu’une annulation du projet soit rendue impossible ».
Evoquant les pouvoirs de régularisation du juge administratif, les auteurs estiment que « tout est fait pour préserver les intérêts économiques du pétitionnaire afin que le projet puisse arriver à son terme » ce qui pose la question de « l’effectivité du droit » et qui « fait naître une défiance dangereuse des citoyens face à l’institution judiciaire. »
Pas de véritable débat contradictoire
Autre sujet d’inquiétude : les questions de participation du public, où « la phase d’enquête publique n’est bien souvent qu’une étape de validation des projets ». Pour les signataires de la tribune, « la procédure d’autorisation environnementale, telle qu’elle est conçue avec l’enquête publique souffre d’une incapacité structurelle à mener à bien un véritable débat contradictoire ».
Réformer le contentieux pour les grands projets d’infrastructures
Aussi, en vue « d’éviter des atteintes graves et irréversibles à l’environnement » et mettre « fin au gaspillage des fonds publics », les auteurs du texte demandent une « refonte procédurale autour des grands projets d’infrastructure ». Avec tout d’abord « l’instauration d’une véritable démocratie participative respectueuse des engagements de la France vis-à-vis de l'Europe », « une suspension automatique des travaux lorsqu'un recours est déposé contre un projet ayant reçu des avis défavorables d'instances indépendantes », et enfin « la mise en place de procédures accélérées pour le traitement de ces dossiers dans des délais raisonnables, à l’instar de ceux dont bénéficient les projets liés aux énergies renouvelables. »