Depuis les lois des 29 août (sécurité intérieure) et 9 septembre (justice) 2002 (1), le procédé des contrats mêlant conception et construction a été relancé, même si l’ordonnance du 17 juin 2004 relative aux contrats de partenariat prévoit la possibilité de la souscription de contrats de maîtrise d’œuvre distincts de ces derniers. En réalité, ces contrats « globaux » existaient bien avant l’apparition de ce mouvement législatif, des baux emphytéotiques administratifs à certains contrats relevant du Code des marchés publics (2).
Concernant ce dernier, les dispositions relatives à la conception construction sont devenues, avec le temps, un classique de son contenu, même si elles relèvent d’un régime d’exception. C’est justement cette caractéristique qui a été rappelée, il y a quelques mois à peine, par le Conseil d’Etat (3), le procédé ne pouvant être banalisé au détriment de la fonction de maîtrise d’œuvre telle qu’instaurée par la loi sur la maîtrise d’ouvrage du 12 juillet 1985.
La nécessité de circonstances particulières
Il est vrai que les faits d’espèce de cet arrêt ne plaidaient pas en la faveur de la conception-réalisation. Une communauté d’agglomération avait en effet choisi de faire appel à cette technique contractuelle pour la réalisation d’un atelier-relais pour la production et l’exploitation de dirigeables sur un aérodrome. Elle justifiait le recours à la procédure par des contraintes particulières liées à la forme architecturale, à la détermination des matériaux et des structures à utiliser, et au choix des procédés de construction à mettre en œuvre.
Le Conseil d’Etat a cependant jugé que la réalisation de cet atelier-relais ne présentait pas, eu égard à sa destination, à ses dimensions, à sa structure et à la nature des matériaux à mettre en œuvre, de difficultés techniques justifiant le recours à un marché de conception réalisation. Il s’agit en l’espèce d’une application logique de l’ - version 2004 - selon lequel il ne peut être recouru à une telle procédure que lorsqu’il est envisagé des ouvrages « dont la finalité majeure est une production dont le processus conditionne la conception-réalisation » et « dont les caractéristiques, telles que des dimensions exceptionnelles ou des difficultés techniques particulières, exigent de faire appel aux moyens et à la technicité propre des entreprises ». En d’autres termes, ne peuvent être concernés que des ouvrages bien particuliers.
Ces caractéristiques sont délicates à définir, d’autant qu’elles doivent justifier la nécessité d’associer le constructeur à la conception de l’ouvrage. Ce procédé de « maîtrise d’œuvre intégrée » est fondamentalement contraire à l’esprit de la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique de 1985, qui repose sur une maîtrise d’œuvre indépendante et autonome (4). C’est ce qu’a d’ailleurs rappelé le Conseil d’Etat dans sa , en précisant que la passation d’un marché de conception-réalisation « modifie les conditions d’exercice de la fonction de maîtrise d’œuvre ».
Il est donc absolument nécessaire que le process de l’équipement envisagé, comme dans le cas de certaines stations d’épuration, ne permette pas de dissocier les missions de conception et de réalisation, et implique une confusion de ces deux missions au sein d’une seule et même entreprise. Et effectivement, dans de tels cas, bien précis et bien ciblés, la conception-réalisation peut se justifier en termes de cohérence et d’optimisation des process à mettre en œuvre.
Mais, à nouveau, cette confusion ne peut que rester exceptionnelle, sachant qu’elle ne permet plus au maître d’œuvre, en un tel cas, d’être un « collaborateur » du maître d’ouvrage, et donc de l’aider au stade de la préparation du contrat de travaux, de sa passation - s’agissant notamment du choix du titulaire - et de son exécution, les missions de contrôle étant, à ce niveau, d’une importance qu’il convient de ne pas occulter.
Un faux remède aux carences du dialogue compétitif
Pourtant les faits d’espèce de la décision du Conseil d’Etat du 8 juillet 2005 symbolisant ce phénomène et la lecture régulière des avis d’appel à la concurrence relatifs aux marchés de travaux révèlent une recrudescence de l’utilisation du procédé de la conception-réalisation, phénomène dont l’explication réside peut-être dans les problèmes d’interprétation posés par le mécanisme du dialogue compétitif.
En vertu de l’, la procédure de dialogue compétitif portant à la fois sur la définition d’un projet et sur son exécution ne peut être utilisée pour les opérations qui relèvent du champ d’application de la loi MOP, ce qui ne fait d’ailleurs que confirmer des textes et des jurisprudences antérieures (5). Ainsi, dans le cas où le maître d’ouvrage souhaite, pour des équipements bien particuliers, lier la conception et la réalisation d’un équipement relevant de la loi MOP, il ne peut utiliser que la procédure de conception-réalisation ; ce qui ne fait d’ailleurs que renforcer, justement, le caractère exceptionnel des contrats « d’intégration » des missions d’études et de construction. Une telle approche n’est pas sans poser des problèmes concrets, dans le cas d’opérations relatives à des stations d’épuration (6). En effet, d’une part, si le titulaire du contrat de réalisation d’une telle station a été choisi suite à une procédure de dialogue compétitif confiant aux candidats des missions de conception, la légalité de la procédure et du contrat s’en trouve fragilisée au regard du Code des marchés publics ; mais, d’autre part, si aucune mission de définition de projet n’est confiée aux candidats, le recours au dialogue compétitif n’est plus justifié.
En effet, en un tel cas, cela signifie qu’il a été précédé d’un marché de maîtrise d’œuvre, ce qui enlève une légitimité certaine à une procédure qui vise à demander aux candidats de présenter des solutions techniques visant à répondre aux besoins et objectifs de l’administration… Sans doute est-il possible, dans cette hypothèse, de trouver des solutions d’équilibre, dont celle consistant à faire précéder le dialogue compétitif d’un contrat comportant quelques missions de maîtrise d’œuvre (étude de faisabilité ou pré-étude, par exemple), les candidats au dialogue compétitif ne faisant dès lors que compléter les études au travers de solutions techniques élaborées préalablement. Mais, comme tout équilibre, il ne peut que s’avérer fragile (7) et donc relativement aléatoire.
A une époque où les textes prônant des solutions de contrats globaux se multiplient, peut-être serait-il nécessaire de modifier la loi MOP et le Code des marchés publics afin d’assouplir les possibilités de recours au dialogue compétitif pour les ouvrages relevant de la loi MOP. Une telle avancée ne serait pas contraire au droit communautaire, qui ne pose pas de limites en la matière, et ne porterait pas atteinte à l’autonomie de la maîtrise d’œuvre dès lors que le dialogue compétitif est encadré par des critères assez stricts, et se trouve donc assez peu utilisé. Elle permettrait surtout d’empêcher une utilisation trop fréquemment injustifiée de la conception-réalisation, ainsi que la banalisation d’une procédure dont l’intérêt réside justement dans son caractère rare et exceptionnel. Et cette évolution serait légitimée par la distinction fondamentale qui oppose la procédure de dialogue compétitif de celle de la conception-réalisation, la première offrant une réponse à un besoin de l’administration dans la recherche de ses moyens et solutions permettant d’atteindre ses objectifs, alors que la seconde répond à des motifs d’ordre technique qui n’ont pas nécessairement un lien avec la problématique de définition des besoins et moyens ci-dessus exprimée.
Il n’est pas toujours certain que les acteurs des constructions publiques, tant publics que privés, aient pleinement conscience d’une telle différence de philosophie, pourtant fondamentale.
