Les réformes globales du Code des marchés publics ne sont pas les seules à avoir bouleversé les habitudes des praticiens. Le décret du 27 mars 1993 (1) avait introduit deux procédures générant une nouvelle logique pour la commande publique : l’appel d’offres sur performances (ancêtre du dialogue compétitif) et les marchés de définition.
La procédure d’appel d’offres sur performance fut peu à peu utilisée pour des projets complexes, avec des cas de dérives. Parmi celles-ci peut être citée la négociation, ou à l’inverse l’absence de dialogue de la part de l’administration, pour imposer les moyens demandés aux fournisseurs sans tenir compte de leurs réserves, mais aussi la persuasion d’un candidat, meilleur à l’oral qu’à l’écrit, pour imposer une solution peu appropriée. De son côté, le marché de définition, souvent mal compris, a été utilisé avec beaucoup plus de modération.
Dans le cadre de la transposition des directives européennes « marchés publics », les pouvoirs publics, avec le Code 2004, ont instauré une nouvelle procédure, le « dialogue compétitif », en abrogeant l’appel d’offres sur performances.
Deux procédures distinctes
Le dialogue compétitif est apparu plus structuré que l’ancien appel d’offres sur performance et moins risqué pour les administrations. En effet, à l’issue du dialogue, chaque candidat retenu fait une offre. Cette procédure conforte la personne responsable du marché, car elle écarte toute possibilité de négociation de l’offre à l’issue du dialogue.
En revanche, la procédure de marché de définition se révèle plus équitable pour les concurrents retenus au stade de la définition, car ils sont payés pour leurs prestations, sur la base de leur offre de définition, et non pas en fonction d’une prime hypothétique.
Une gestion différente
l Pour le dialogue compétitif, le règlement de consultation est l’outil de gestion de la procédure. Ce document sert à énoncer les règles de bonne gestion du dialogue, de la remise de la première version de la proposition jusqu’au choix des offres, à savoir : la remise de la proposition, le déroulement du dialogue, la tenue des rencontres, l’élaboration des comptes rendus, les échanges administration/entreprises, le jugement des offres, les critères de choix… Toutefois, la réussite de la procédure s’apprécie au regard des résultats du marché. Ceux-ci reposent sur la qualité du programme fonctionnel, des échanges, ainsi que sur la capacité de l’administration à être à l’écoute de l’ensemble des compétiteurs, avec discernement, pour optimiser le projet sous tous ses aspects.
l Pour le marché de définition, tout repose sur le cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Ce cahier sert à définir les objectifs du marché de réalisation, les modalités de recensement et d’analyse des besoins, et l’élaboration d’une solution pour y répondre. En fait, ce document instaure une méthode structurée de travail applicable à tous les candidats pour qu’à l’issue du processus de définition, l’administration obtienne une définition précise de ses besoins avec une solution adéquate.
Retour d’expériences
l Pour que les délais de la procédure de dialogue compétitif ne dérivent pas, il apparaît important de mentionner, dans le règlement de la consultation, la planification du déroulement de la procédure, tout en prévoyant la possibilité de l’allonger s’il s’avérait nécessaire d’effectuer une ou plusieurs rencontre(s) supplémentaire(s). Si, par exemple, le règlement n’instaure pas un formalisme structuré et égalitaire, en ce qui concerne les rencontres, la procédure pourrait se voir contestée par un des candidats rejetés.
Si une administration attend des candidats qu’ils l’aident à rédiger intégralement son cahier des charges en échange d’une simple prime, elle fait fausse route avec cette procédure. Si, par contre, le pouvoir adjudicateur désire faire évaluer ses spécifications et son montage technique et administratif au regard des propositions des concurrents avant de finaliser son dossier de consultation, l’objectif sera complètement atteint. Ainsi, la mise à disposition, auprès des concurrents, d’un projet partiellement défini (dont la finalisation repose sur le dialogue) s’avère préférable à la communication d’un programme fonctionnel allégé. En général, la communication d’un document complet de spécifications accompagné d’un cadre de réponse, génère un dialogue constructif, permettant aussi au pouvoir adjudicateur d’apprécier, en toute transparence, le meilleur niveau d’adéquation de ses besoins en fonction des moyens ou des montages proposés. Ces propositions pourraient même avoir une incidence sur l’adaptation du niveau d’exigences fonctionnelles pour obtenir, à l’issue de la consultation, des offres en adéquation avec la demande formulée dans le dossier de consultation des entreprises (DCE) et entrant dans le budget cible.
En conséquence, il est important que le pouvoir adjudicateur reste à l’écoute des concurrents. Il doit aussi être clair sur ses objectifs et ses attentes afin que le dépouillement des offres remises après la clôture du dialogue ne soit pas une mauvaise surprise. A savoir notamment : pas de moyen satisfaisant ou un montant global du projet au-dessus du budget.
l Dans le cadre du marché de définition, si le CCTP n’est pas suffisamment cadrant au niveau des prestations, des livrables et du planning d’exécution, chaque projet de définition risque de ne pas être comparable avec les autres, faisant ainsi perdre à cette procédure une partie de son intérêt. De plus, si la prestation de définition sert à effectuer un véritable audit ou un démonstrateur conséquent, le budget alloué au marché de définition devra être prévu en conséquence. Si la personne publique attend des titulaires qu’ils sachent rédiger un CCTP, voire un CCAP, ils seront déçus. En réalité, l’art du CCTP et CCAP est difficile. L’administration détient une expertise en la matière, surtout si les concurrents lui donnent le descriptif des moyens pour être intégrés au sein du cahier des charges.
Si le pouvoir adjudicateur pense que le marché de définition sert uniquement à exprimer des besoins et à obtenir une solution sur mesure, la démarche n’est pas la bonne ; il aurait dû faire exécuter une étude préalable. En revanche, s’il profite de la procédure pour identifier plusieurs niveaux de périmètres de besoins, pour déterminer celui qui est le mieux en adéquation avec ses attentes et son budget, alors le choix des procédures s’avère opportun.
Freins émis par le futur Code
Les administrations commencent à peine à s’habituer à ces procédures, surtout en ce qui concerne le dialogue compétitif. Néanmoins, le projet de Code 2006 (2) dans sa version 2 accessible sur le site web du Minefi modifie certaines modalités et conditions d’utilisations (sous réserve d’éventuelles modifications devant le Conseil d’Etat).
Pour le dialogue compétitif, ces changements pourraient apparaître comme de simples précisions.
Aux termes du futur , le recours au dialogue compétitif ne s’appliquerait que dans le cas de marché considéré comme complexe, si le pouvoir adjudicataire n’est objectivement pas en mesure de définir seul et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins et/ou s’il n’est objectivement pas en mesure d’établir de montage juridique ou financier d’un projet. Cette évolution du texte pourrait être un frein à l’utilisation de cette procédure du fait de l’introduction du terme « objectivement », qui pourrait être source de difficulté d’appréciation. Vu l’ampleur d’une telle procédure, il est à penser que si un pouvoir adjudicataire y a recours, cela ne peut être qu’en toute objectivité. Sinon que d’argent et de temps perdu !
Mais le frein le plus important figure au VI paragraphe 3 du futur article 67 : « Le dialogue se poursuit jusqu’à ce que soient identifiées, éventuellement après les avoir comparées, la ou les solutions qui sont susceptibles de répondre aux besoins, pour autant qu’il y ait un nombre suffisant de solutions appropriées ». Ce dernier membre de phrase risque d’être générateur de bon nombre d’interrogations pour qui s’intéresse à cette procédure. En effet, quelle valeur doit avoir ce nombre ? Sachant que le VII du même article précise que « les candidats » sont invités à remettre une offre à l’issue du dialogue, il semble que ce nombre soit au moins 2 voire 3, sauf si le nombre de candidats retenus est inférieur à 3 (chiffre « de la concurrence » et d’exigence minimum du nombre de candidats pour la procédure de dialogue compétitif).
Volonté de rapprochement
En ce qui concerne les marchés de définition/marché de réalisation, la réforme semble plus significative avec une volonté de rapprochement entre ces deux procédures. Ainsi, selon le texte de l’article 73 de la version du futur Code, le nombre minimum de titulaires du marché de définition passerait à 3. Des précisions relatives à l’avis d’appel public à la concurrence qui manquent dans le Code actuel y figureraient (objet des marchés de définition et réalisation, critère de sélection des candidatures et des offres du marché de définition, critères de sélection des offres du marché de réalisation, seuil de publication). Mais l’essentiel réside dans le fait d’une remise en concurrence entre les titulaires des marchés de définition à l’issue de leur marché de définition avec une remise d’offre. Cette exigence dissociera désormais, pour chaque titulaire du marché de définition, la définition de la solution proposée et de son offre. Cette dissociation permettra-t-elle d’obtenir l’offre la plus avantageuse au regard des solutions proposées ? Ainsi, peu à peu l’appel d’offres, même décliné, redevient à la mode avec tout son arsenal assez antiéconomique. En effet, cette procédure ne permet pas réellement d’ajuster le meilleur périmètre de besoins à l’offre la plus avantageuse.