« Projet de loi biodiversité : la nature n’est pas à vendre », Ingrid Nappi-Choulet (Essec)

Plus de 30 ans après la loi de 1976 sur la protection de la nature qui avait introduit des concepts novateurs encore d’actualité, le projet de loi biodiversité peut décevoir. Ce texte, dont l’examen au Sénat est finalement reporté à janvier 2016, va-t-il accoucher d’une souris ? Réponse d’Ingrid Nappi-Choulet, professeur-chercheur à l’Essec.

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Ingrid Nappi-Choulet (Essec)

Quelle est votre vision du projet de loi ?

Ingrid Nappi-Choulet : Bien qu’ayant le mérite d’être la première loi d’envergure relative à la nature depuis celle de 1976, le projet de loi sur la biodiversité peut sembler pauvre en mesures impliquant directement les territoires urbains, les bâtiments et la filière immobilière. Le texte comporte néanmoins une incitation à construire des parkings désimperméabilisés, l’interdiction des bâches publicitaires sur les bâtiments classés en rénovation et l’obligation de végétaliser tout ou partie des toitures des nouvelles surfaces commerciales.

En dehors de ces mesures ciblées, deux principes ont été réaffirmés avec force. Le premier concerne l’amendement du principe général de solidarité écologique Le second donne un cadre plus clair au principe de compensation pour les dégâts causés à la biodiversité lors de projets d’aménagement. Cependant, peut-on réellement parler d’une loi en faveur de la biodiversité, lorsque que l’on constate que le projet est davantage orienté vers les économies d’énergie que vers la préservation ou le développement de la biodiversité, et que les débats portent davantage sur la compensation de sa destruction ?

Pourquoi le dispositif de compensation fait-il couler beaucoup d’encre ?

I. N.-C. : Alors que la loi de 1976 ne faisait que mentionner la possibilité de compensation sans en déterminer les contours, l’actuel projet de loi vise d’une part à en faire une véritable politique publique, d’autre part il s’insère dans le processus souvent critiqué de la financiarisation de l’économie. Les modalités du dispositif sont en effet encore loin de faire consensus. Tout d’abord, l’idée à l’origine du dispositif est de faire prendre conscience aux aménageurs de l’impact écologique de leurs projets tout en « réparant » l’environnement altéré, voire détruit. Ces modalités laissent cependant la porte ouverte à un certain nombre de difficultés, surtout venant d’un outil qui va être généralisé, alors que son expérimentation n’a pas encore fait ses preuves et que les effets pervers ne sont pleinement anticipés. Parmi ces difficultés, il n’est pas précisé à quel moment « éviter » et « réduire » ne sont plus possibles, de telle sorte que « compenser » la destruction écologique deviendrait la seule option. Par ailleurs, au-delà de la notion d’« équivalence », la mise en balance de la biodiversité détruite et de celle créée est d’une grande complexité : en d’autres termes, la compensation crée-t-elle plus de biodiversité qu’elle n’en détruit ? Si oui, ne génère-t-elle pas néanmoins d’importants déséquilibres écologiques ? Enfin, l’une des difficultés majeures du projet concerne la décision de créer des banques de compensation entrainant la financiarisation de la biodiversité, c’est-à-dire d’un système profondément inadapté à son objet initial : la nature n’est pas à vendre.

Végétaliser les toitures des centres commerciaux : un levier clé pour la reconquête de la biodiversité en ville ?

I. N.-C. : Cette mesure a le mérite de prendre en compte la problématique de la biodiversité urbaine, laquelle est cependant paradoxalement peu traitée par le projet de loi. Les toitures des surfaces commerciales sont en effet bien adaptées à une telle pratique, en étant presque toujours planes et souvent basses, et donc très visibles lorsque des immeubles plus hauts les entourent, créant un enjeu esthétique fort, auquel le verdissement apporte un élément de solution d’intégration urbaine. En outre, pour celles qui sont implantées en périphérie des agglomérations, espaces charnières entre les coeurs de ville et les espaces ruraux, elles peuvent constituer des relais de biodiversité appréciables. Cette mesure est cependant à considérer avec précaution, puisque le projet précise que cette végétalisation a une alternative avec l’installation d’équipements produisant des énergies renouvelables. On peut fortement regretter que la végétalisation ne concerne pas la totalité de ces toits, qu’elle ne concerne que les nouvelles constructions et qu’elle ne précise pas encore la surface minimale de végétalisation obligatoire du dispositif. Enfin, la protection de la biodiversité ne se limite pas uniquement aux surfaces commerciales.

Y a-t-il des interactions entre ce projet de loi et les travaux du groupe de travail « bâtiment et biodiversité » ?

I. N.-C.Ce groupe de travail initié par le plan bâtiment durable a pour objectif de promouvoir l’importance de la biodiversité auprès de l’ensemble des acteurs des filières du bâtiment, de l’immobilier et de l’énergie et d’élaborer une cartographie des démarches qui s’intéressent aux liens entre bâtiment et biodiversité. Nous avons l’objectif d’élaborer une analyse des enjeux et pratiques en France et à l’étranger, afin de réaliser une cartographie de l’ensemble des initiatives qui visent à prendre en compte la biodiversité dans le monde du bâtiment et dans la ville de façon à donner de la visibilité et de la lisibilité à toutes les réflexions menées ou en cours.

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro de juillet-août 2015 d’Opérations Immobilières http://boutique.lemoniteur.fr/operations-immobilieres-1an-papier.html

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