Produits de construction : le « made in France » peut-il s’imposer ?

Le "Made in France" a la cote. Il va d'ailleurs tenir salon pour la deuxième année consécutive, du 9 au 11 novembre à la Porte  de Versailles. Moins médiatisés que leurs homologues de l’automobile ou de la sidérurgie, les industriels des produits de construction sont attentifs à la question. Et plutôt dubitatifs.

Pourrait-il troquer sa marinière contre un bleu de chantier ? Qu’importe la tenue, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, poursuit sa bataille du « made in France ». Quitte, promet-il, à bousculer la réglementation et les habitudes des acheteurs, notamment publics. Appliqué aux industries des produits de construction, reste à savoir ce que pèse - et ce que vaut - le « made in France » ?

Premier élément de réponse : 280 000 à 300 000 emplois sont concernés dans des domaines très divers, allant de l’extraction des carrières aux géosynthétiques en passant par les équipements électriques… Au niveau de l’outil de production, le constat n’est pas brillant : « Tous secteurs confondus, 1 300 usines ont fermé depuis 2010, indique Patrick Ponthier, délégué général de l’Association des industries de produits de construction (AIMCC). Et lorsqu’elles ne ferment pas, elles sont souvent en surcapacité. Quelques niches restent porteuses comme les isolants, mais les ouvertures d’usines se comptent sur les doigts d’une main ». De quoi expliquer l’empressement du président François Hollande à venir inaugurer à Mably (Loire), le 8 octobre, le nouveau site d’Isonat-Buitex dédié à la production des panneaux isolants en fibres de bois. « Cette nouvelle usine a créé 25 emplois et des perspectives d’embauches supplémentaires », se félicite Jean-Pierre Buisson, P-DG d’Isonat-Buitex.

Du point de vue des grands groupes industriels, la France présente un intérêt plutôt restreint. Saint-Gobain, par exemple, n’a pas créé d’usines dans l’Hexagone depuis 2007. Dans l’intervalle, le leader mondial des matériaux de construction a investi en Chine, en Russie, en Turquie, en Inde, etc. « Aujourd’hui, la croissance est plus forte dans les pays émergents, c’est donc là que nous ouvrons des usines », a détaillé Pierre-André de Chalendar, le 24 octobre, à nos confrères du « Journal du Net». Le P-DG estime avoir, en Europe, « des capacités suffisantes, voire excédentaires, pour servir la demande ». D’autres multinationales, comme Schneider Electric ou Legrand, font face aux mêmes contraintes et adoptent la même stratégie. Pour autant, il ne faut pas noircir le tableau. Ces trois majors - qui n’ont pas souhaité répondre à nos questions - conservent d’importantes capacités de production en France : 25 % des 193 000 salariés de Saint-Gobain sont basés dans l’Hexagone, Schneider emploie, selon « L’Usine Nouvelle », 5 200 personnes dans son usine de Grenoble, et Legrand 2 400 sur son site historique de Limoges.

Affichage « bleu blanc rouge »

Le « made in France» procure-t-il un avantage concurrentiel ? Patrick Ponthier y croit peu : « Le marketing cocorico, c’est plutôt pour les produits de grande consommation. » Pourtant, certains acteurs sont bien décidés à jouer cette carte : « Malgré la concurrence des pays à bas coûts, Petitjean assure une production dans l’Hexagone et contribue à l’économie nationale en défendant l’emploi », argue ainsi Paul Quéveau, directeur général de Petitjean (70 millions d’euros de CA, 460 salariés), qui conçoit et fabrique des mâts et candélabres. La société basée à Troyes (Aube) réalise 40 % de ses ventes à l’étranger.

De son côté, le Syndicat de l’éclairage a choisi d’axer sa stratégie de communication sur la production tricolore, afin de sensibiliser les clients, notamment publics.

En janvier, une étude du cabinet AgileBuyer mesurait l’engouement des directions achats pour le « made in France ». Le secteur de la construction obtient l’un des meilleurs scores : 32 % des départements achats - contre 19 % en moyenne - sont sensibles à cet argument. « Les entreprises les plus concernées sont souvent celles qui travaillent pour des clients issus des pouvoirs publics », note l’étude. « C’est une tendance lourde depuis environ deux ans », considère Franck Mathis, P-DG de l’entreprise éponyme (42 millions d’euros de CA, 230 salariés), qui fabrique tous ses produits lamellés-collés en France.

Surfant sur cette vague, nombre d’entreprises ont fait la démarche pour obtenir le label « Origine France Garantie » qui s’appuie sur un référentiel établi par Bureau Veritas. C’est le cas de Silec Cable (450 millions d’euros de CA, 1 200 salariés), qui non seulement produit en France mais « privilégie les achats locaux lorsque c’est possible », précise Claire Guery, directrice adjointe en charge des achats.

Le groupe Delta Dore (123 millions d’euros de CA, 756 collaborateurs) réalise 22 % de ses ventes à l’export et met lui aussi en avant ses deux usines bretonnes : « Sur les marchés internationaux, l’intégration de toute la chaîne de production en France est créatrice de valeur ajoutée pour nos clients et de différenciation vis-à-vis de nos concurrents », estime Marcel Torrents, président du directoire.

Un « made in France » qui ferait vendre aussi à l’international ? André Bousquet, directeur général de Meljac (6,2 millions d’euros de CA, dont 36 % hors de France, 60 employés), qui conçoit, fabrique et commercialise des interrupteurs et des prises de courant haut de gamme en est convaincu. « A l’étranger, c’est un véritable argument. Mais pour le faire valoir, il faut être haut de gamme. » En effet, derrière le drapeau bleu blanc rouge, le client exigera que l’écart de prix soit limité, mais aussi que la qualité et l’innovation soient au rendez-vous. Le géant allemand des pompes et de la robinetterie KSB (1 120 salariés en France) est présent dans 19 pays, mais possède toujours quatre usines en France qui exportent 80 % de leur production. « Nos usines sont tellement spécialisées que leur production est rentable quelle que soit la destination », assure Michel Oddoux, directeur communication de KSB France.

Miser sur l’innovation

Le temps de transport et la souplesse qui accompagnent la production locale font souvent pencher la balance. « La proximité entre conception et production permet en outre la maîtrise de la qualité du produit, ce qui est un facteur de compétitivité », juge Marcel Torrents.

Mais qu’en est-il des industries locales par essence ? A priori, pas de raison de douter que le béton prêt à l’emploi ne soit pas « made in France ». D’autant que le produit « n’a qu’une durée de vie de deux heures ! », rappelle Olivier Apruzzese, président du Syndicat national du béton prêt à l’emploi. Pourtant, « de plus en plus de granulats sont importés de Norvège, d’Ecosse, voire du Canada », regrette Nicolas Vuillier, président de l’Union nationale des producteurs de granulats.

Le ciment n’est pas non plus épargné. « Les cimentiers français sont confrontés à des distorsions fortes de compétitivité, dues à des réglementations sociales et environnementales qui engendrent des surcoûts de l’ordre de 10 % par rapport à des clinkers et des ciments produits dans des pays non soumis aux mêmes contraintes », explique Jean-Yves Le Dreff, président du Syndicat français de l’industrie cimentière. C’est là un point crucial selon la plupart des chefs d’entreprises. « En France, les entreprises, en particulier manufacturières, souffrent d’un gros problème de dégradation de leur compétitivité », déplore Patrick Ponthier. « En outre, nous voulons être plus royalistes que le roi, abonde Didier Riou, président de l’Unicem. Nous rajoutons une couche aux réglementations de Bruxelles ! »

Le manque de visibilité est aussi pointé du doigt. « Les sites industriels s’amortissent sur vingt ou trente ans, développe Nicolas Vuillier. Lorsqu’un avantage fiscal est supprimé un an après sa création, par exemple pour le remplacement des fenêtres, on tue une filière dans l’œuf. Alors quelles sont les perspectives en France ? » Ce besoin de lisibilité et de stabilité des politiques publiques est très répandu. Arnaud Montebourg entend y répondre. Après avoir créé les conditions d’émergence du « made in France» en installant 34 filières industrielles d’avenir, il s’attaque aux conditions de son développement. En commençant par la commande publique. « L’esprit patriotique doit souffler sur les acheteurs publics ». Et de promettre de « casser » les cahiers des charges « écrits pour favoriser la production à 10 000 km ». L’intention est louable. Et les obstacles nombreux.

Abonnés
Top 100 de la distribution bâtiment et bricolage
Retrouvez le classement annuel du Top 100
Je découvre le classementOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires