Comment définissez-vous votre entreprise ?
Thierry Pigeon : Elle est avant tout familiale à 100 %. Créée en 1929 par mes grands-parents à partir de l'exploitation de carrières, elle s'est développée autour de la valorisation des matériaux. Je suis l'actionnaire majoritaire avec à mes côtés mon cousin Laurent, et j'assure la présidence du groupe depuis 2009. Mon fils Thibault, directeur général depuis 2019, pilote aujourd'hui la direction opérationnelle de la quasi-totalité des filiales.
Thibault Pigeon : Nous sommes présents dans 14 départements, principalement dans le Grand Ouest. Nous intervenons presque sur les mêmes métiers que mes arrière-grands-parents.
L'activité se répartit entre quatre branches : Granulats et environnement, Infrastructures et travaux, Construction et béton, Ingénierie et services.
Quel regard portez-vous sur l'évolution du groupe ?
Thierry Pigeon : Au fil de son histoire, Pigeon s'est développé par capillarité en croissance externe dans un rayon de deux heures autour du siège [à 30 km à l'est de Rennes, NDLR] jusqu'à devenir une fédération de PME. Entre les années 1980 et 2000, la taille du groupe a quadruplé. Nous avons connu un pic d'activité en 2014 avec le chantier de la LGV Bretagne-Pays de la Loire pour laquelle nous avons fourni les granulats et réalisé, pour Eiffage, tous les terrassements entre Rennes et Laval.
Suite à cet important chantier, nous avons fait évoluer notre offre de services dans une logique intégrée d'intelligence des territoires, en nous recentrant sur nos métiers d'origine.
Thibault Pigeon : Nous avons ensuite rapidement mis en œuvre un nouveau plan stratégique qui regarde vers l'avenir, autour de l'économie circulaire. Notre ambition est d'être acteur et partenaire de la transition environnementale des territoires.
Que représente votre branche historique des carrières et quelles sont ses perspectives ?
Thierry Pigeon : Nos 60 carrières représentent environ 25 % de notre chiffre d'affaires et de nos effectifs.
Quelque 40 % de notre production, qui s'élève à 9 millions de tonnes, sont écoulés au sein du groupe, le reste est vendu à d'autres acteurs du BTP.
Thibault Pigeon : Cette branche a été rebaptisée Granulats et environnement pour rendre compte d'un changement majeur consistant à intégrer les matériaux de seconde utilisation et à se projeter comme un acteur du recyclage des minéraux. Pour un carrier historique, c'est un grand virage qui se traduit par un travail sur nos 60 sites et la création d'une vingtaine de plateformes de recyclage à l'horizon 2026. L'objectif est d'économiser notre ressource même si nous recherchons toujours de nouveaux gisements. Sur les six projets d'ouverture que nous avions dans les cartons en 2021, trois sont déjà réalisés.
« En proposant une offre globale, nous intervenons dans tous les métiers des TP sauf le génie civil, et nous souhaitons nous développer dans les métiers liés à l'eau. »
Aujourd'hui, les TP représentent la moitié de votre activité.
Comment évolue cette branche ?
Thibault Pigeon : Avec 11 postes d'enrobés, dont un poste mobile à froid, deux agences grands travaux (terrassement et travaux routiers) et un réseau d'agences locales multimétiers, notre activité se répartit à parts égales entre public et privé afin d'être plus résilients. En proposant une offre globale, nous intervenons dans tous les métiers des TP sauf le génie civil, et nous souhaitons nous développer dans les métiers liés à l'eau.
Pour répondre à la demande des collectivités de voir plus d'acteurs dans ce domaine, nous venons de créer Pigeon Eau et Solutions, une entité de traitement d'eau qui s'annonce pleine de promesses. Nous avons déjà décroché deux délégations de service public dans la Sarthe et un contrat privé pour un industriel.
Anticipez-vous une évolution de votre activité béton dans une perspective bas carbone ?
Thibault Pigeon : L'empreinte carbone est effectivement un enjeu fort pour cette activité qui réalise plus de 100 M€ de chiffre d'affaires, avec 270 salariés.
Nos 21 centrales auront produit environ 500 000 m3 de béton prêt à l'emploi cette année et nous avons en Ille-et-Vilaine deux usines de préfabrication lourde (jusqu'à 20 t) ainsi que notre entité Sfac qui fabrique des pavés drainants, bordures, dalles, etc. Nous intégrons de plus en plus de gravillons recyclés et de sable concassé, et nous avons mis au point avec des cimentiers notre propre gamme de béton bas carbone, Gennova. Nous réfléchissons aussi à utiliser l'un de nos coproduits de carrières, l'argile. Notre premier débouché est Géomur, un nouveau procédé industriel composé de blocs alvéolés en terre crue empilés à sec et liaisonnés par un béton de terre coulé à l'intérieur. Un premier chantier va démarrer près de Rennes pour un bailleur social. C'est un bel exemple de synergies entre nos carrières, l'activité béton et notre laboratoire CBTP.
Ce laboratoire est justement l'une de vos particularités. Comment s'inscrit-il dans votre stratégie ?
Thierry Pigeon : Nous l'avons créé il y a trente ans lorsque l'Etat s'est désengagé des laboratoires des Ponts et Chaussées qui venaient contrôler les productions de granulats. Les grands groupes nationaux ont tout de suite monté leurs propres structures. Dans un souci d'autonomie et de sécurisation des expertises clés, nous avons décidé de faire de même.
Thibault Pigeon : Aujourd'hui, le laboratoire CBTP, qui emploie près de 130 personnes, réalise plus de la moitié de son chiffre d'affaires à l'extérieur du groupe. Nous avons récemment créé Acimat, une société qui réunit Laboratoire CBTP et le groupe d'ingénierie d'impacts environnementaux et sociaux O2m, pour accompagner les professionnels sur la voie de la décarbonation (bilans d'émissions de gaz à effet de serre, analyse du cycle de vie des produits et projets, recherche et mise au point de nouveaux matériaux en circuits courts…). Notre laboratoire regroupe aussi notre ingénierie et, depuis 2019, héberge notre centre de R & D où travaillent 10 personnes. Nous avons fait de l'innovation l'un des piliers de notre plan stratégique. Nous travaillons sur le remplacement de matériaux à base de ciment, l'évolution de nos enrobés ou encore des sujets liés à l'agronomie car les aménagements de demain lieront de plus en plus minéral et végétal. Depuis 2022, avec l'université Bretagne Sud, nous avons créé le laboratoire de recherche CoLoRe (pour « Construction with local ressources ») où nous réfléchissons à des produits innovants à faible impact environnemental.
Existe-t-il d'autres manifestations de cette quête d'indépendance ?
Thibault Pigeon : Oui. Par exemple, au sein de la branche Ingénierie et services, notre entité ABSI gère nos systèmes d'information et nous aide à mener à bien notre transition digitale. Nous avons également créé un organisme de formation, Ouest Formation CBTP, qui dispose notamment d'une plateforme de 5 ha pour la conduite d'engins.
Il a dispensé plus de 29 000 heures de formation l'an dernier, dont environ 30 % en dehors du groupe. Cette structure nous aide à sanctuariser notre savoir-faire et à former les jeunes : 6 % de notre effectif est en apprentissage et nous visons les 10 %. Car, avant les gisements, les hommes sont la première force du groupe.

Dates
- 1929 : création de l'entreprise Carrière Pigeon.
- 1994 : lancement de la société Laboratoire Carrières béton travaux publics (CBTP).
- 2017 : mise en œuvre du plan stratégique Excellence 2020.
- 2018 : cession de l'activité négoce de matériaux de construction.
- 2021 : mise en œuvre du plan stratégique Pigeon 2026.