Prestations de services : l’Europe a le BTP en ligne de mire

La Commission veut que les entreprises de l’UE travaillent plus facilement dans un autre Etat membre et demande aux gouvernements de libéraliser l’accès aux professions réglementées.

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Siège de la Commission européenne

Le 10 janvier, la Commission européenne a présenté un train de mesures afin de rendre le marché intérieur des services plus fluide au sein de l’Union. Ce plan intervient dans le cadre de la feuille de route définie dans la Stratégie pour le marché unique. « Les mesures proposées visent à faciliter les démarches administratives des prestataires de services et à aider les États membres à identifier les exigences excessivement lourdes ou dépassées qui pèsent sur les professionnels exerçant leurs activités dans leur pays ou à l'étranger », indique la Commission.

Plutôt que de modifier la  directive service 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (dite "Bolkestein"), qui restera inchangée, l’idée pour l’exécutif européen est de « garantir une meilleure application de ces règles, car il est prouvé que l'exploitation de leur plein potentiel donnerait un véritable coup de fouet à l'économie de l'UE ». L’objectif est de rendre plus facile la possibilité pour une entreprise ou un prestataire de services indépendants européen de travailler dans un autre État membre que le sien.

La garantie décennale en danger ?

Quatre initiatives concrètes ont été adoptées, dont une qui attire tout particulièrement l’attention des EBC et de la FIEC : la nouvelle « carte électronique des services ». La Commission européenne vise en effet directement le monde du BTP, qui est considéré comme un "mauvais élève" dans le domaine du marché intérieur des services : « Une procédure électronique simplifiée permettra aux prestataires de services aux entreprises (tels que les sociétés d'ingénierie) et de services de construction de s'acquitter plus facilement des formalités administratives requises en vue d'exercer leur profession à l'étranger. Les prestataires de services devront simplement se mettre en relation avec un interlocuteur unique dans leur pays d'origine, et ce, dans leur langue. L'interlocuteur du pays d'origine vérifiera ensuite les données nécessaires et les transmettra à l'État membre d'accueil. Ce dernier conservera le pouvoir d'appliquer des exigences réglementaires nationales et de décider si le demandeur peut proposer des services sur son territoire. La carte électronique ne porterait pas atteinte aux obligations existantes des employeurs ou aux droits actuels des travailleurs. »

Pour la FIEC, le procès fait au BTP est injuste : « S’il y a peu d’entreprises du secteur travaillant dans d’autres pays membres que le leur, c’est parce que l’activité de construction est très locale et que la filière est surtout composée de TPE et de PME qui n’ont pas toujours la capacité ou la volonté de s’exporter. Cette situation ne tient pas à l’existence d’obstacles à l’exercice du métier. » Cette carte, qui simplifierait les démarches administratives pour travailler dans un autre État membre, inquiète en tout cas la FIEC : « La carte est délivrée dans le pays d’origine et non dans le pays d’accueil, ce qui pose le problème du contrôle des informations. Et à partir du moment où l’on est bien enregistré et à jour de ces paiements, est-ce un blanc-seing pour aller travailler dans un autre pays ? Cela pose aussi la question du respect de la qualité, de la traduction de la carte, de la mise à jour de son contenu ou de l’assurance. Sur ce dernier point, la garantie décennale française pourrait-elle être remise en cause en considérant qu’elle constitue un obstacle ? ». Pour Lucia Caudet, porte-parole de la Commission européenne « La décennale ne devrait pas être remise en cause ». La Commission indique en effet que l’État d’accueil « conservera le pouvoir d'appliquer des exigences réglementaires nationales ». Cette « carte électronique des services », pour être mise en place, aboutira au vote d’une directive et d’un règlement.

Les architectes et les ingénieurs directement visés

Autre élément important : l'accès aux professions réglementées au sein de l'Union européenne auquel la Commission consacre les deuxième et troisième initiatives. « La réglementation se justifie souvent pour certaines professions, comme celles qui sont en rapport avec la santé et la sécurité. Mais dans bien des cas, cependant, des règles inutilement strictes et dépassées peuvent compliquer exagérément l'accès de candidats qualifiés à ces emplois, ce qui joue aussi au détriment des consommateurs », estime la Commission dans la première initiative qui parle d’une « évaluation de la proportionnalité des règles nationales applicables aux services professionnels ». Celle-ci ne compte toutefois pas réviser la directive services sur ce point : « La Commission ne réglemente pas les professions et ne compte pas le faire. Chaque État membre conserve toutes ses prérogatives en la matière ». Il est toutefois demandé aux États de "déterminer si de nouvelles exigences professionnelles nationales sont nécessaires et si elles sont équilibrées".

Afin de garantir une "approche cohérente et uniforme", la Commission propose de "rationaliser et de clarifier la manière dont les États membres devraient effectuer un contrôle exhaustif et transparent de la proportionnalité avant d'adopter ou de modifier des règles nationales en matière de services professionnels". Lucia Caudet rappelle que « l’accès aux professions réglementées est de la compétence nationale, mais que celle-ci n’est pas sans limites. Il faut donc un texte pour clarifier les choses. Cette initiative fera donc l’objet d’une directive. »

La France, mauvaise élève

Dans la troisième initiative, la Commission préconise des « orientations concernant les réformes nationales en matière de réglementation des professions ». Elle donne en exemple l'Espagne, l'Italie, la Pologne et le Portugal : « L'exercice d'évaluation mutuelle entrepris par les États membres entre 2014 et 2016 montre que ceux d'entre eux qui ont ouvert leur marché des services bénéficient désormais d'un plus grand choix de services à des prix plus avantageux, tout en maintenant des normes élevées pour les consommateurs et les travailleurs ». La Commission propose donc des « orientations concernant les besoins nationaux en matière de réforme de la réglementation des services professionnels présentant un fort potentiel de croissance et d'emploi », dont les architectes et les ingénieurs.

Les États membres sont invités à « examiner si les exigences professionnelles correspondent aux objectifs nationaux déclarés en matière d'ordre public ». Sans obliger, la Commission incite donc fortement les États membres à réformer ce secteur des professions réglementées. Que fera-t-elle si ceux-ci, en particulier la France, restent immobiles sur le sujet ? « Il ne s’agit ici que d’incitations et non d’obligations. Il n’en reste pas moins que leur respect permettra d’éviter tout risque d’infractions », répond au Moniteur Export de manière sibylline Lucia Caudet.

Ces questions feront débat dans les 18 prochains mois. La Commission espère qu’un rapporteur sera désigné sur ces différents textes dans les prochains mois.

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