Le 9 décembre prochain à Bruxelles, les ministres du Travail européens tenteront de parvenir à un accord sur le renforcement de la fameuse directive européenne de 1996 (96/71) sur le détachement des travailleurs.
Après que le gouvernement français a fait monter la pression sur cette question (notre article), ce sont les députés qui en ont débattu (mais sans voter) lundi 2 décembre. La base de leur discussion : un rapport des parlementaires Gilles Savary (SRC, Socialiste, républicain et citoyen), Chantal Guittet (SRC) et Michel Piron (UDI, Union des démocrates et indépendants) publié en juin dernier. Un rapport un peu passé inaperçu à l'époque mais qui a le mérite de ressortir aujourd'hui et, avant toute chose, de rétablir quelques vérités chiffrées sur le phénomène.
Des chiffres qui, sans nier les conséquences de plus en plus dures subies par certaines entreprises (notamment du BTP) permet de les relativiser pour ne pas risquer de tomber dans ce qu'il faut bien appeler de la xénophobie.
Un phénomène qui "profite" à la France
Oui, le phénomène est d'ampleur : les travailleurs dit "détachés" (lorsque leur employeur les envoie provisoirement exercer leurs fonction dans un autre État membre de l'Union) seraient selon la Commission européenne 1,5 million aujourd'hui, une grande part n'étant pas déclarée. Mais il "profite" aussi à la France, fortement utilisatrice de la procédure du détachement de travailleurs. Ainsi le nombre de salariés français détachés à l’étranger est estimé à environ 300.000 personnes, pour environ 170.000 déclarations de détachement en 2011, explique le rapport des députés Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron. La France demeure même le troisième pays exportateur de travailleurs détachés derrière la Pologne et l'Allemagne.
Pour autant, le rapport note évidemment que la directive est devenue, du fait de l'absence de contrôles efficaces, "un outil redoutable de concurrence déloyale, notamment dans les secteurs de la construction, du BTP et de l'agroalimentaire". Une situation, notent les auteurs, exacerbée dans un contexte de crise et de tension du marché du travail. Le travailleur "low cost" devient, disent-ils, un "nouvel esclave moderne", qui "peut dormir dans des hangars ou sur de simples paillasses, être nourri de boîtes de conserve pendant des semaines, et ne fait l"objet d'aucun contrôle de la part de la médecine du travail", des situations "loin d'être marginales" et en développement.
Mais qui sont ces travailleurs ? Des "plombiers polonais" ? Pas uniquement. Si 19 % des salariés détachés sont effectivement polonais, ils sont aussi pour près d’un quart ... français (13 %), recrutés par des agences d'intérim basées à l'étranger. 11 % sont portugais, 9 % sont roumains, 8 % allemands et 4 % bulgares. Concernant les pays tiers (8 % de la main-d’œuvre détachée déclarée en France), les salariés détachés proviennent essentiellement d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie, mais aussi d’Amérique latine, détachés notamment d’entreprises espagnoles ou portugaises, indique le rapport.
"Mettre en place des sanctions exemplaires"
Face aux abus, la Commission européenne a présenté en mars 2012 un projet d'amélioration de la directive de 1996. Mais, notent les députés, ce projet "demeure très en-deçà des besoins réels d'amélioration de la législation face à cette réalité inquiétante" et ne fait "l'objet d'aucun consensus", ce qui rend douteux son adoption rapide. A défaut, les députés évoquent la possibilité de "mesures nationales unilatérales" pour "mettre en place des sanctions exemplaires".
Ils suggèrent aussi de créer une Agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe et une "carte du travailleur européen" électronique sur le modèle de la carte vitale pour permettre une identification "rapide de l'entreprise et du travailleur" détaché.
Ils proposent aussi de créer une "liste noire d'entreprises et de prestataires de service indélicats" ou encore que la Commission européenne introduise la notion de salaire minimum de référence, toute entreprise rémunérant ses salariés en deçà d'un certain seuil s'exposant à des poursuites et sanctions judiciaies "pour atteinte au principe de concurrence équitable".