Quelle sera la situation financière des offices HLM dans dix ans ? À lire le rapport d’orientation de la fédération des OPH, présenté devant l’assemblée générale le 7 juin par son directeur des études financières, Philippe Manenc, leur autofinancement courant passerait de 9,9 % des loyers en 2016 à… 1,1 % en 2026, tenant compte des investissements liés au NPNRU et des pertes engendrées par la Réduction des loyers de solidarité (RLS).
Cet autofinancement pourrait même descendre en deçà des 5 % dès 2018, taux considéré comme le seuil de fragilité financière par la fédération.
Nouvelle formule de calcul
Ces calculs intègrent les hypothèses macroéconomiques de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) pour 2018 en matière d’inflation (1,4 %) ou encore d’IRL (1,2 %), avec un abattement de TFPB constant. Ils se basent sur l’hypothèse d’une RLS équivalente à 4 % des loyers pour 2018 et 2019, puis à 7,5 % ; et sur un livret A à 1,25 %, projection que leur fournit la Caisse des dépôts sur la base de la nouvelle formule de calcul applicable en 2020. Ils intègrent également l’impact de l’allongement de la dette, les prêts de haut de bilan 2.0 (lire sur AEF info) et le doublement progressif de la vente de logements.
À titre de comparaison, Philippe Manenc a également présenté les perspectives financières des OPH "au fil de l’eau", c’est-à-dire à données constantes, sans RLS ni NPNRU : elles présentent une légère baisse de l’autofinancement, qui atteint 7,8 % en 2026, mais reste bien au-dessus du seuil de fragilité.
Une autre projection basée sur un scénario sans RLS mais avec NPNRU cette fois affiche une baisse moindre qu’avec la réduction de loyer, mais bien réelle.
"Vous évoluez dans un modèle instable"
"Dans un modèle stable, on peut se projeter pour évaluer les risques. Mais aujourd’hui vous évoluez dans un modèle instable, donc cet exercice va devenir de plus en plus difficile", analyse Philippe Clémandot, directeur des aides à la CGLLS également présent à Grenoble.
Il souligne aussi qu’au-delà de ces simulations, qui portent sur l’ensemble des offices, "des projections microéconomiques sont encore plus inquiétantes, car il peut y avoir des taux de RLS beaucoup plus élevés que 4 %".
1 milliard de subventions
Depuis 2002, la CGLLS a accompagné 121 organismes HLM et accordé plus d’un milliard de subventions. Plus d’un quart de cette somme a servi à aider des organismes HLM à fusionner, "car ce sont les deux premières années qui coûtent le plus cher, avant de sentir les effets bénéfiques du rapprochement", rappelle Philippe Clémandot. La CGLLS se réunira notamment le 20 juin prochain pour examiner les dossiers d’organismes en difficulté.
Le représentant de la Caisse craint en particulier l’effet "ciseau" qui devrait être provoqué à la fois par "un effet brutal et rapide de la RLS alors que les mesures de compensation se feront sentir sur le long terme", et par le NPNRU lancé avec des modes de financements "pas idéaux" et dans un contexte de baisse des finances locales.
Premier programme
L’Anru a d’ailleurs sollicité les fédérations HLM pour mettre en place un comité d’examen des organismes les plus fragilisés par la mise en place du nouveau programme de rénovation urbaine. Le directeur de Seine-Saint-Denis Habitat, Patrice Roques, a par exemple calculé que là où l’Anru apportait 40 % des financements sur les opérations du premier programme, il ne peut espérer que 25 % du nouveau règlement NPNRU présenté le 25 mai.
Commentant le taux de lissage de la RLS publié le matin même au journal officiel, Philippe Clémandot indique que "la famille des OPH est plutôt celle qui sera la mieux traitée, parce que la première cotisation va diminuer pour certains d’entre vous, et nous allons même rembourser de l’argent à certains organismes".
Pour autant, "cet effet de lissage n’atteindra pas les effets de pertes que vous subirez sur votre chiffre d’affaires en raison de la RLS", prévient-il. Et de concéder : "Face à ces mesures brutales, vous n’avez pas beaucoup de marge de manœuvre : la prudence, c’est d’arrêter ce sur quoi vous pouvez agir, c’est-à-dire vos investissements".
"Optimiser les moyens financiers"
De fait, la fédération estime globalement que 61 % des offices vont diminuer leur budget d’entretien courant de 6 % en moyenne et la moitié leurs investissements (neufs et réhabilitation) d’un tiers.
Elle s’engage donc, dans la résolution adoptée à l’issue de son AG, à accompagner les offices dans la recherche "d’optimisation de leurs moyens financiers et de leur efficacité sociale", "en étudiant toutes les voies de diversifications possibles (aménagement, logements intermédiaires, accession sociale, intervention dans les centres anciens, optimisation foncière…) ou qui vont l’être via la loi Elan (nouveaux services, prestations pour le compte de tiers…)".
Malgré la forte contrainte qui pèse sur leurs finances, la fédération les appelle également à "lancer rapidement les projets de renouvellement urbain à hauteur des moyens disponibles" et à poursuivre "le développement d’initiatives citoyennes", "notamment dans les QPV".
Enfin, elle s’engage à "mener une réflexion sur les loyers et les charges afin d’améliorer le pouvoir d’achat des habitants sans obérer les capacités d’entretien du parc et d’investissement soit le contraire d’un loyer fonction des revenus". Tout cela, dans un contexte politique et économique qu’elle "[veut] plus constructif".
Spécificités des territoires
Cette résolution a par ailleurs été amendée avant adoption (sur proposition de la présidente de l’OPH de Nanterre, Marie-Claude Garel, soutenue par le député GDR Stéphane Peu), pour également relayer les revendications de la fédération à l’égard des pouvoirs publics.
Elle demande donc la non-reconduction de la RLS dans les prochaines lois de finances, rappelle que le Fnap était supposé être abondé à parité par l’État - ce qui n’est pas le cas, et demande que les seuils de regroupements des organismes HLM "soient adaptés aux spécificités des territoires".
Sources d'économies à court et long terme
Depuis le début de l’année, les offices ont de fait cherché des solutions de replis à court ou moyen terme pour ne pas tomber dans le rouge. Véronique Pavageau, qui dirige le petit l’office Rochefort Habitat Océan (2 600 logements, 66 % d’APLisés), venait tout juste de réaménager sa dette auprès de la CDC et de maîtriser ses frais de structure quand la loi de finances 2018 a été adoptée. "Cet aménagement de la dette nous aurait tout juste d’amortir la baisse de la RLS !", estimée à 524 000 euros en 2018, déplore-t-elle.
Son OPH a donc revu la programmation 2018 à la baisse, reporté des réhabilitations ou encore annulé une opération de démolition reconstruction de pavillons détruits par la tempête Xynthia en 2010. Il mise aussi sur des économies d’ordre structurel : les salariés qui partent à la retraite ne sont plus remplacés par une nouvelle recrue, mais plutôt par un collègue qui voit ses fonctions élargies.
Pour cet office, la prochaine étape sera de se regrouper au sein d’une SAC avec l’OPH de l’agglomération de La Rochelle (8 500 logements) et la SEM de Charente-Maritime Semis (4 000 logements) d’ici fin 2019 pour mutualiser.
Louer des parkings
À une autre échelle, à Seine-Saint-Denis Habitat (32 000 logements, 47 % d’APLisés), le directeur Patrice Roques prévoit une baisse de 11,7 millions d’euros des ressources. Sa solution immédiate a été de diminuer l’entretien de 10 %, de reporter des travaux avant relocation ou encore de louer des parkings.
"Sur le plus long terme, on a fait appel à la CDC pour étaler le remboursement de la dette. Cela va nous coûter in fine 8 millions d’euros, mais nous permettra de générer pendant 10 ans 25 millions d’euros d’autofinancement et d’économiser 4 millions d’euros dès la première année. Alors forcément, c’est tentant… et on n’a pas d’autre choix".
Grève des constructions ?
Depuis la salle, un administrateur d’office inquiet de la "faillite, voire la fin des OPH" propose de "faire la grève des constructions et des réhabilitations pendant trois ans", pour faire réagir le monde du bâtiment et obtenir des "mesures électrochocs".
Jean Thévenot, militant CNL dans la Sarthe acquiesce, en soulignant que les locataires "ont cru à la propagande du gouvernement, qui leur dit que leur loyer va diminuer avec la RLS, alors qu’en fait ils vont payer la diminution des ressources des bailleurs sociaux".
"La question de l’arrêt de l’activité s’est réellement posée chez nous, parce que les réserves de l’organisme sont très faibles", témoigne Samuel Carpentier, DG d’Ardèche Habitat (6 200 logements). Mais son office a préféré réduire sa production (de 100 à 50 logements) et ses réhabilitations (150 à 50). "Nous avons décidé avec nos élus locaux de ne pas stopper tous nos investissements… et nous avons bien fait ! Car dans notre territoire, où la tension est variable, nous voyons maintenant arriver de nouveaux opérateurs qui font leur tour des communes pour proposer des programmes 'clés en main’".
Future commission
De son côté, la fédération des OPH entend faire évoluer l’expertise financière qu’elle propose à ses membres, pour être "plus réactive dans la détection des difficultés à venir", indique son directeur, Laurent Goyard. Cela passera notamment par la mise en place d’un "système automatique de prévisionnel" pour mieux alerter les offices de leurs fragilités, une analyse patrimoniale plus fine ou encore un accompagnement juridique et financier à la constitution de SAC "pour ceux qui veulent se lancer dans cette aventure, de façon volontaire ou contrainte".
Face à la future commission de péréquation de la CGLLS qui doit se mettre en place, et qu’il souhaiterait voir diriger par une des grandes fédérations HLM, Laurent Goyard veut pouvoir à l’avenir "apporter la preuve à l’État que les PSP des organismes sont en phase avec les besoins des territoires". "Nous serons vigilants à ce qu’elle ne soit pas une chambre d’enregistrement de fusions obligatoires, mais plutôt un lieu où on construit les enjeux de territoires".