Cette ordonnance était attendue depuis plusieurs mois, depuis que l’annonce de la création de l’agenda d’accessibilité programmée avait été faite par le gouvernement. C’est d’ailleurs l’une des mesures phares de ce texte.
Cependant, cette ordonnance ne se contente pas de poser les bases de ce mécanisme. Elle apporte également quelques précisions concernant la réglementation relative à l’accès des personnes à mobilité réduite (PMR) dont certaines hors du cadre des ERP.
1- La copropriété et l’accessibilité
L’article 1 de cette ordonnance indique qu’à compter du 01.01.2015, les places de stationnement adaptées des immeubles d’habitation collectifs faisant l’objet d’un permis de construire sont intégrées aux parties communes de l’immeuble.
L’article 2 prévoit également que les modalités de location de ces places de stationnement aux PMR habitant la copropriété devront être expressément prévues par le règlement de copropriété.
Ces dispositions sont intégrées dans l’article 8 de la loi 65-557 du 10.07.1965 sur la copropriété des immeubles bâtis.
2 - ERP, accessibilité et dérogations
Les dérogations à la mise en accessibilité des ERP font régulièrement polémique et sont au centre d’âpres discussions entre les représentants des différentes parties intéressées dans l’accessibilité.
L’article 111-7-3 du code de la construction et de l’habitation (CCH) tel qu’issu de la loi de 2005 sur l’accessibilité prévoyait dans sa rédaction initiale des cas limitatifs de dérogation à l’obligation de mise en accessibilité des ERP. Pour mémoire, rappelons la rédaction de cet article au fil des précisions apportées par les textes postérieurs à la loi de 2005 : « …précisent les dérogations exceptionnelles qui peuvent être accordées aux établissements recevant du public après démonstration de l'impossibilité technique de procéder à la mise en accessibilité ou en raison de contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural ou lorsqu'il y a disproportion manifeste entre les améliorations apportées et leurs conséquences. »
La nouvelle rédaction de l’article 111-7-3 CCH, et plus particulièrement son paragraphe 4, telle qu’elle résulte de l’ordonnance du 26 septembre 2014 reprend les trois cas initiaux de dérogation mais apporte des précisions quant à la dérogation pour motif économique qui était définie antérieurement de manière générale.
Désormais les notions de coût, d’effets sur l’usage ou la viabilité de l’exploitation sont clairement énoncées et ne relèvent plus que de l’appréciation d’une disposition réglementaire générale.
Cette précision n’est pas anodine et vient faire écho au signal d’alarme qui a été maintes fois tiré par les exploitants d’ERP qui, à la suite de diagnostics, ont dû se rendre à l’évidence qu’il leur faudrait faire un choix crucial entre accessibilité et poursuite de l’activité.
3 - Une réalité enfin entérinée
Cette réalité est celle des ERP installés dans des bâtiments d’habitation. C’est le cas principalement des professions libérales et des métiers du secteur tertiaire. Nombre sont installés dans des immeubles d’habitation en centre ville au sein de leurs zones de chalandises ou de leurs lieux d’activité.
Il était plus qu’évident, et point besoin d’être spécialiste pour s'en apercevoir, que la mise en accessibilité de ces établissements relèverait de la plus pure chimère et conduirait à des solutions impossibles à mettre en œuvre.
Le refus des copropriétaires de réaliser les travaux d’accessibilité, notamment au niveau de l’accès et des ascenseurs, pouvait justifier, après un réel parcours du combattant, l’obtention d’une dérogation. Cependant, il fallait épuiser les voies de recours contre la décision de l’assemblée générale de la copropriété.
Désormais le simple refus des copropriétaires suffit à obtenir une dérogation pour ces établissements. Si cette disposition simplifie les démarches et rend plus réaliste, pour une fois, la réglementation PMR en la faisant coller au plus près de la réalité, elle n’en porte pas moins sa propre contradiction : elle interdit réglementairement aux PMR l’accès au professionnel de leur choix.
Cependant, la rédaction générale et généraliste de cette disposition va pouvoir ouvrir le débat quant à son étendue et sa portée. En effet, il est annoncé qu'« une dérogation est accordée pour les établissements recevant du public situés dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation existant à la date de publication de l’ordonnance 2014-1090 du 26 septembre 2014 lorsque les copropriétaires refusent les travaux de mise en accessibilité dans les conditions prévues à l’article 24 de la loi 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. »
Il est de coutume dans la matière juridique de considérer que le présent a valeur impérative dans les textes réglementaires. Ici donc, l’emploi du présent signifie-t-il que la dérogation est automatiquement accordée pour les exploitants qui sont dans ce cas là ?
La rédaction très générale de cette disposition est également de nature à soulever quelques interrogations :
la dérogation dont il s’agit concerne-t-elle l’ensemble de l’établissement ou ne concerne-t-elle que la partie relative à l’accès à l’établissement ? Il peut paraître logique et entendu de considérer que l’application sera faite à l’accès de l’établissement qui nécessiterait des travaux impactant la copropriété par modification des parties communes. Il résulte cependant de cette rédaction que le doute peut être laissé.
4 - Un report de bonne intention
L’article 3 de l’ordonnance détaille le mécanisme de l’Agenda d’Accessibilité Programmée (Ad’AP). Il énonce notamment une organisation tripartite de cet objet, soit une analyse technique des travaux de mise en conformité, un calendrier d’exécution et les engagements financiers correspondants.
Espérons que les décrets d’application viendront préciser cette notion pour le moins vague et peu précise. En effet, le calendrier d’exécution des travaux peut être l’occasion de reporter au plus tard la mise en accessibilité des établissements. Aujourd’hui, rien n’est indiqué sur le quantum des travaux à réaliser chaque année. Qu’en sera-til dans la réalité ? Combien d’exploitants seront tentés de reporter les travaux sur la troisième année dans l’espoir d’un nouveau report, au minimum, de la mise en accessibilité ?
Et que dire de la partie financière de l’Ad’AP ? Comment seront formalisés les engagements financiers dont il est fait mention ? Les exploitants devront-ils fournir une référence comptable dûment certifiée ? Une déclaration simple sera-t-elle suffisante ?
5 - Un critère économique flou
L’ordonnance du 26 septembre vient préciser la possibilité de dérogation pour motif financier. Cette précision était devenue nécessaire tant ce motif de dérogation faisait l’objet de supputations et de conjectures qui n’étaient fondées sur aucune réalité. Chaque entité économique locale l’interprétait différemment, certaines assurant même ses adhérents de la systématique obtention de cette dérogation.
Ainsi l’ordonnance complète l’article L 111-7-3 en précisant : « disproportion manifeste entre les améliorations apportées par la mise en œuvre des prescriptions techniques d’accessibilité, d’une part, et leurs coûts, leurs effets sur l’usage du bâtiment et de ses abords ou la viabilité de l’exploitation de l’établissement, d’autre part »
Si cette précision permet de définir plus précisément cette notion économique, elle n’en demeure pas moins floue et difficilement exploitable, à moins que les décrets d’application ne livrent un véritable mode d’emploi. Cependant, cette éventualité semble peu envisageable tellement la matière est vaste et les cas différents et nombreux.
Comment entendre la notion d’effets sur la viabilité de l’exploitation ? Pour nombre d’établissements, la charge financière représentée par les travaux de mise en accessibilité va représenter un surcroît financier s’ajoutant aux charges normales et courantes nécessitées par l’exploitation de l’établissement telles que l’entretien courant, les charges salariales, les nécessaires investissements liés à la compétitivité et à l’évolution de l’établissement ou tout simplement son maintien en activité.
Pour une grande majorité des établissements de petite taille ou de taille moyenne (l’équivalent de la PME pour les ERP), la capacité de financement résiduelle après paiement de toutes les charges et de tous les frais est réduite à la portion congrue.
Imaginons un établissement pour lequel le diagnostic a mis en lumière des travaux de mise en accessibilité à hauteur de trente mille euros. Une somme certes imposante mais qui n’est pas si exagérée au regard de la situation de bien des établissements. La ventilation des travaux et leur planification aboutira en moyenne à dix mille euros d’investissement chaque année.
Il est légitime de se demander quel établissement peut avoir une capacité financière de travaux à une telle hauteur si l’on garde en mémoire qu’elle vient s’ajouter à la longue liste de toutes les retenues et de tous les frais courants.
Le texte de l’ordonnance prévoit également la possibilité d’un échelonnement plus long que les trois années initiales en cas de difficulté importante liée au financement des travaux. Ce nouveau report permettra t il aux établissements les plus impactés de faire face à la mise en conformité qui leur est imposée ? L’on peut en douter.
Finalement, les établissements les plus importants pourront affronter la mise en accessibilité, leur capacité financière étant suffisante pour absorber l’impact financier. Les établissements les plus petits seront ceux qui auront, la plus part du temps, les travaux les moins importants donc les moins onéreux … mais ce sont également ceux qui ont les finances les plus restreintes.
Les établissements de taille moyenne subiront cet impact de la manière la plus défavorable, la différence entre capacité de financement et coût des travaux étant la plus restreinte.
Lors de l’examen des demandes de dérogation, quels seront les critères retenus pour accepter ou refuser l’état de fragilité financière ? Comment faudra-t-il justifier cette fragilité ? Autant de questions auxquelles il serait opportun que le décret d’application réponde de manière précise et sans ambiguïté possible.
Une loi de dérogations
L’Ad’AP vient donc de voir officiellement le jour par la publication de cette ordonnance. Elle se veut une mesure de résolution des problématiques liées à cette mise en accessibilité et enterrer la hache de guerre entre exploitants d’ERP et association de PMR. C’est un aspect louable et qui doit être souligné mais il ne serait qu’illusoire et naïf de considérer que cette disposition est la solution à toutes les problématiques que soulève l’accessibilité.
En effet, elle génère un certains nombres de doutes et d’incertitudes qui plongent les exploitants dans le doute et qui fragilisent l’adhésion de tous aux mesures indispensables pour l’autonomie des PMR.
Loin d’être la solution miracle, telle qu’elle pouvait être présentée, l’Ad’AP ressemble finalement à une solution d’attente, une solution d’urgence devant la difficulté extrême de faire appliquer des mesures qui portent en leur sein l’impossibilité d’application.
Point n’est besoin d’être devin pour se projeter trois années en avant et faire le constat qu’un nombre considérable d’établissements ne seront toujours pas accessibles, non par mauvaise volonté de leurs exploitants mais par l’effet de la réglementation elle même.
Y aura t il encore, à ce moment là, une nouvelle prorogation ?
Rendre accessible les bâtiments au plus grand nombre est une nécessité que tout un chacun admet et que la morale cautionne. Mais cela devient une chimère quand il s’agit d’imposer l’accessibilité qui demeure une mesure inapplicable.
Depuis de nombreuses années, il est indéniable qu’il aurait été plus efficace de parler d’adaptabilité au lieu d’accessibilité, ce qui aurait permis la mise en place de mécanismes qui, sans respecter les normes actuelles, aurait permis de rendre plus d’établissements accessibles.
Il est une fois de plus souhaitable que l’on se penche d’abord vers le but à atteindre que de se focaliser sur les moyens. Nombre des solutions techniques réglementaires sont tout simplement inapplicable dans de nombreux endroits.
Certes, les défenseurs de cette loi opposeront à cela que les dérogations sont là pour permettre l’assouplissement de cette loi et permettre aux cas les plus compliqués de ne pas devenir des cas désespérés.
Mais est ce l’esprit de la loi d’accorder un grand nombre de dérogations qui ne sont qu’une entrave légale à l’accessibilité ?