La cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux vient de donner une nouvelle interprétation du coliving, dans sa décision n° 22BX01135 datant du 6 juillet 2023. Selon cet arrêt, les chambres mises à disposition dans le cadre de logements en coliving constituent bien des logements individuels et non une colocation, dès lors que chaque chambre est équipée de salle d’eau et de toilettes individuelles et que les portes disposent chacune d’une serrure et d’un œilleton.
Dans cette affaire, l’investisseur Atroom, dont le siège est situé sur le bassin d'Arcachon, a demandé en 2017 un permis de construire valant permis de démolir sur une parcelle située à Bordeaux, pour y détruire deux maisons afin d’y construire trois logements, qu’il comptait ensuite louer directement en coliving. Autorisation que lui délivre la Ville le 27 septembre 2017.
La société a ensuite demandé un permis de construire modificatif, après réalisation des travaux, le 8 juillet 2019. Il s’agissait de modifier les menuiseries donnant sur rue et de réaliser un abri à vélos et une place de stationnement sur la parcelle. La mairie refusealors explicitement le permis de construire modificatif et prend un arrêté dans ce sens le 22 novembre 2019. Ce, au motif que "la SNC Atroom [a] créé neuf logements au lieu des trois logements autorisés par le permis de construire du 27 septembre 2017", méconnaissant ainsi l’article 1.4.1 du règlement de la zone UP 37 du plan local d’urbanisme de Bordeaux métropole relatif aux modalités de réalisation des places de stationnement",rappelle la décision de la cour de Bordeaux.
Une place de stationnement par logement… ou par chambre ?
C’est donc en se fondant sur une disposition liée au stationnement que la Ville de Bordeaux refuse le permis de construire modificatif. En effet, le règlement du PLU de la métropole bordelaise dispose qu’au minimum une place de stationnement doit être créée par logement. Dans ce cas, Atroom aurait dû créer neuf places de stationnement sur sa parcelle, soit une par chambre.
Le promoteur attaque toutefois la décision de la Ville devant le tribunal administratif, lequel lui donne raison dans un jugement du 3 mars 2022. Le juge administratif considère alors que le promoteur Atroom n’a pas créé plus de trois logements, contrairement à ce qu’avance la mairie. "Les […] chambres, qui ne sont pas dotées d’un espace de cuisine ni même, pour certaines, de toilettes accessibles depuis la chambre, et partagent des espaces de vie communs, en l’espèce deux cuisines, une buanderie, un séjour et un patio, ne sauraient, contrairement à ce que soutient la commune de Bordeaux, être regardées comme constituant autant de logements individuels, quand bien même des œilletons auraient été installés sur les portes et que chaque locataire aurait conclu un bail avec le propriétaire", estime le tribunal administratif.
C’est précisément sur la définition de ce qui constitue un logement que se penche ensuite la CAA, saisie par la collectivité. Celle-ci s’engage assez loin dans les détails de l’équipement des chambres proposées en coliving pour décider si, oui ou non, il s’agit d’un logement. Pour rappel, le coliving consiste à proposer des chambres indépendantes avec certains espaces collectifs partagés, à mi-chemin entre la colocation et le logement classique, sans définition juridique précise. Il s’agit d’une tendance en hausse depuis quelques années, sans que l’on connaisse le nombre de logements concernés.
"Totale autonomie"
La cour de Bordeaux énumère ainsi les équipements présents dans les chambres proposées en coliving par le promoteur Atroom : salle d’eau et de toilettes individuelles, portes équipées de serrure et d’œilleton, "meuble bar-cuisson avec réfrigérateur et freezer", voire, pour certaines, un lave-linge. La Ville a constaté par elle-même que "les différentes chambres disposent d’un coin cuisine, ainsi que de salles d’eau individuelles". Peut-on encore parler de coliving à partir du moment où tous les logements sont autonomes ? L’investisseur Atroom a tenté de faire valoir que des équipements communs venaient compléter ceux qui étaient proposés à titre individuel.
"S’il ressort également des pièces du dossier que les parties communes des maisons, à savoir la grande cuisine équipée, la pièce de vie, la buanderie au premier étage, la cuisine équipée au deuxième étage et le jardin, sont accessibles à tous les locataires, et en dépit de ce que chacune des maisons comporte un compteur d’eau et d’électricité communs, les caractéristiques de ces chambres permettent de conclure que leurs locataires bénéficient, s’ils le souhaitent, d’une totale autonomie et ne dépendent pas des services proposés dans les parties communes des bâtiments", lui répond la cour, allant à l’encontre de l’avis du tribunal administratif. Conséquence : les chambres doivent être considérées juridiquement comme autant de logements. La CAA ne condamne pas pour autant Atroom à fusionner ses logements pour n’en faire que trois.
Contacté par AEF info le 9 août, Francis Lafourcade, gérant d’Atroom, pense se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. "La décision de la cour administrative d’appel est surprenante en ce qu’elle méconnaît le droit, et notamment le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent", témoigne l’investisseur. Un décret selon lequel, pour être considéré comme décent, un logement doit comprendre, dans son coin cuisine, un évier, ce qui n’est pas le cas dans les chambres proposées en coliving. Pour lui, les équipements installés dans les chambres l’ont été pour le confort des colocataires, mais ne peuvent être considérés comme de véritables cuisines. "Le coliving est une appellation marketing. Dans les faits, il n’y a pas de différence entre les chambres que je loue et une colocation", se défend Francis Lafourcade.