Perfectionnement des bétons sur deux ponts de l'A89

A vouloir diminuer de plus en plus la quantité d'eau dans les bétons, on finit par être confronté à des problèmes d'instabilité et de défauts d'hydratation importants. Car si l'eau est indispensable à la réaction chimique entre les composants du béton, puisqu'elle hydrate les grains de ciment, sa présence est aussi à l'origine de défauts dus essentiellement aux moyens qu'elle trouve pour s'évacuer du matériau. Les chimistes avaient bien découvert un produit capable de retarder la prise, pour laisser le temps à l'eau de circuler entre les grains de ciment : c'était le rôle des plastifiants et même des « superplastifiants ».

Les contraintes de chantier allant en s'intensifiant, ces adjuvants montraient déjà leurs limites. De nouvelles molécules ont alors été mises au point, pour faire encore mieux ; en clair : allonger notablement la durée d'hydratation du ciment avant la prise. Et pour quoi faire ? Pour garantir la plasticité requise sur chantier au moment du coulage, quelle que soit la distance à parcourir par les toupies depuis la centrale à béton. Alors que Chryso (groupe Lafarge) a vu son Optima 100 utilisé sur plusieurs grands ouvrages d'art depuis l'année dernière (les viaducs du Crozet - « Le Moniteur » du 22 mai 1998, page 65 - et le pont de La Rivière-Saint-Sauveur - « Le Moniteur » du 13 mars 1998, page 74), MBT (groupe SKW) présente les premières applications en France de son Glénium 27. Il s'agit de deux viaducs en béton, qui franchissent les rivières de la Clidane et de la Sarsonne, sur le tracé de l'autoroute A89 qui reliera dans quelques années Bordeaux à Clermont-Ferrand.

Homogénéiser le parement entre les levées

« Ces produits marquent une véritable révolution, en termes de maintien de la rhéologie », estime Nehme El-Khoury, directeur travaux de Setec TPI sur le chantier de la Clidane. « La preuve : nous avons réussi, il y a quelques jours, à maintenir la plasticité du béton pendant deux heures et demie ! Et nous avons résolu le problème majeur qui nous préoccupait, à savoir la qualité du parement des piles de grande hauteur. » Avec ses cinq piles, dont deux de 70 m de haut, cet ouvrage franchit une vallée de 540 m de long, grâce à une travée centrale de 132 m. Fondées sur des puits marocains creusés dans le gneiss, sur une profondeur comprise entre 7,50 et 15 m, les piles porteront un tablier monocaisson à hauteur variable de 20 m de large. Les deux piles hautes présentent une originalité architecturale intéressante : elles sont chacune constituées de deux voiles parallèles de 1,50 m d'épaisseur. Pendant leur réalisation au moyen de coffrages grimpants, ces voiles sont contreventés provisoirement par des poutres HEB 450, et seront même haubanés en tête lorsque le fléau sera construit.

« Le béton des piles est un B45 G + S, dont la mise au point a évolué au démarrage, notamment par une amélioration du dosage de l'entraîneur d'air, précise Jean-Pierre Mathis, conducteur de travaux de NFTP. Mais nous avons surtout changé de superplastifiant, car les premières levées présentaient des ..moustaches.., qui correspondaient à des défauts de prise du clinker. Il faut dire que ce béton est un matériau très technique, puisqu'il présente une résistance à 24 heures comprise entre 18 et 26 MPa, avec un rapport E/C oscillant entre 0,33 et 0,35. »

Ces tâches en parement, de couleur noire, apparaissent aux endroits peu carbonatés, et peu hydratés. « En réalité, le problème majeur était dû au changement de plasticité du béton entre deux toupies, souligne Guillaume Francqueville, chef de marché «béton prêt-à-l'emploi» chez MBT. Il suffit que la cohésion de la pâte varie de l'une à l'autre, pour que le mouvement des éléments fins soit notablement différent, et qu'il y ait en conséquence des remontées particulières en surface. Le principe est le suivant : plus il y a d'eau, plus il y a de risque d'instabilité. Le Glénium 27 permet justement de diminuer le rapport E/C - c'est un haut réducteur d'eau - tout en maintenant la rhéologie. »

L'adjuvant de MBT a été normalisé en janvier dernier, et la France est le premier pays d'Europe à l'utiliser. Un pari pour la maîtrise d'ouvrage de l'A89, comme pour celle du tunnel de Foix, qui l'emploie aussi depuis peu.

La particularité de la molécule de Glénium est d'agir en plusieurs phases. Dans un premier temps, elle opère comme un superplastifiant classique, avec une action physique de défloculage du ciment : les grains sont maintenus pendant un certain temps écartés les uns des autres. « Au fur et à mesure que les grains s'hydratent, le pH du mélange augmente, détaille Patrick Rouxel, directeur régional Atlantique de MBT. C'est alors que la molécule produit une nouvelle réaction, un peu comme si on rajoutait du superplastifiant. Et cette fois, elle crée une sorte d'entretoise entre les grains de ciment, par effet électrique : c'est ce qu'on appelle l'effet stérique. » Autrement dit, le rendement cimentaire (c'est-à-dire le pourcentage d'hydratation des grains de ciment qui se transforment en cristaux) est augmenté, par un écartement prolongé des grains.

Pour les chimistes avertis, les Gléniums mis au point par les laboratoires de recherche fondamentale au Japon, sont obtenus à partir de polymères d'éther polycarboxylique.

Pouvoir démarrer la précontrainte le plus vite possible

Sur le viaduc de la Sarsonne, le Glénium 27 a été choisi pour ses qualités en termes de résistance à court et à long terme. En adjuvantation traditionnelle, on aurait utilisé un plastifiant associé à un entraîneur d'air.

« Pour des raisons de délai, nous avions besoin de pouvoir mettre la précontrainte en tension le plus rapidement possible, souligne Jean-Luc Boutoux, chef de division de Scetauroute. Avec ce nouvel adjuvant, nous obtenons 25 MPa à 20 heures, au lieu de 36 heures normalement. Et à 28 jours, nous avons gagné 10 MPa ! En décoffrant à 20 heures, le chantier tourne à un rythme presque industriel. »

Le viaduc de la Sarsonne compte trois piles de 18 m de haut. Son tablier monocaisson bétonné en place par équipage mobile mesure 218 m de long, et 23,40 m de large. Cette largeur importante est obtenue par un hourdis supérieur nervuré et précontraint transversalement. « Ici, ajoute Guillaume Francqueville, c'est un problème technique que l'adjuvant a résolu. Les nervures sont des poutres coulées avec le caisson. Le béton est un B40 G. Rapport E/C : 0,36. » Les précontraintes de fléau et de continuité sont assurées par des câbles 19T15 (dans le sens longitudinal) et 12T15 (dans le sens transversal).

FICHE TECHNIQUE

Viaduc de la Clidane

Maître d'ouvrage : ASF.

Maître d'oeuvre : SEEE, Setec TPI.

Architectes : Lavigne et Montois.

Entreprises : Spie Batignolles TP, Spie Citra, Nord France TP

Fournisseur béton : Bétons du Limousin et Vialleix Matériaux

Marché : 108 millions de francs TTC.

Viaduc de la Sarsonne :

Maître d'ouvrage : ASF.

Maître d'oeuvre : Scetauroute.

Architecte : Lavigne.

Entreprise : ETPO.

Fournisseur béton : BCCDL.

Marché : 30 millions de francs.

PHOTOS :

Pour pouvoir porter les cinq voies de circulation à cet endroit, le tablier est nervuré par des poutres transversales coulées avec le caisson.

Le viaduc de la Sarsonne porte trois voies montantes, et deux voies descendantes ; le terre-plein central ne sera donc pas centré sur le monocaisson. Ses 23,40 m de large nécessitent une précontrainte transversale importante.

1. Le caisson du viaduc de la Sarsonne est précontraint longitudinalement et transversalement. Le béton est décoffé à vingt heures, à 25 MPa.

2. Les piles hautes de la Clidane sont constituées de deux voiles parallèles de 70 m de haut, et de 1,50 m d'épaisseur. Elles seront haubanées pendant la construction des fléaux.

3. Les premières levées ont fait apparaître des « moustaches », dues à un excès de ressuage (en bas). Avec le Glénium 27, le parement s'homogénéise (en haut).

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