«Dans cinq ans il ne restera dans le paysage du négoce que deux groupes et un super-groupement d’indépendants ». Un brin provocateur, Philippe de Béco, le président du directoire du groupement de négociants Socoda, ne serait-il pas finalement visionnaire ? Car, si, depuis dix ans, le négoce français a connu la plus grande phase de concentration de son histoire, il n’y a plus guère que la Commission européenne qui pourrait dire « stop » à ce phénomène pour empêcher d’éventuelles positions dominantes.
C’est la reprise de Point. P par Saint-Gobain, en 1996, qui a lancé cette vague de rapprochements et de rachats nationaux ou régionaux, faisant du négoce français le plus structuré d’Europe. La consolidation visait à faire contrepoids au groupe Point. P qui s’est peu à peu arrogé 20 % de la distribution aux professionnels.
L’union fait la force
Derrière, les autres négociants ont dû s’organiser avec comme leitmotiv « l’union fait la force ». L’exemple le plus récent date de 2007, lorsque trois des plus importants groupements d’indépendants (Bigmat, Gedimat et Socoda) décidèrent de se rassembler au sein d’une structure commune, Timolia, afin de « mutualiser les achats » et ainsi acquérir une force de négociation vis-à-vis des industriels. Ils sont aujourd’hui numéro 2. C’était la même idée – et la volonté de partager certains outils marketing et commerciaux – qui avait conduit, quelques années plus tôt, à la constitution des groupements CMEM ou encore de MCD. Ce dernier a la spécificité de rassembler une dizaine d’enseignes régionales couvrant les trois-quarts du territoire.
Par ailleurs, en 2003, le groupe britannique Wolseley – déjà propriétaire de Brossette – racheta Pinault Bois & Matériaux (PBM), ce qui le propulsa parmi les « incontournables ».
Résultat et résumé : en dix ans, le TOP 5 des négociants français à non seulement été bouleversé mais leurs parts de marché cumulées sont passées de 32 % à 56,5 %.
Si la structure du marché du négoce a changé, son visage s’est profondément modifié aussi. Finis la vieille cour à matériaux désorganisée et le libre-service blafard. Le marketing est entré de plain-pied chez ces distributeurs et cela, encore à l’initiative de Point. P. « En tant que leader, nous savons que nous sommes observés et que nous inspirons nos concurrents », observe malicieusement Franck Bruel, le président du directoire de la filiale de Saint-Gobain.
Apporteur d’affaires
Recours à des cabinets spécialisés, mise en place de plans de vente type et surtout développement de salles d’exposition, sont aujourd’hui quasi indispensables pour « faire la différence », confesse Jean-Jacques Chabanis, le président du groupement MCD et directeur général du rhône-alpin Samse. Le showroom est, en effet, devenu le meilleur outil pour vendre et faire vendre. Car ces espaces de mise en ambiance des produits ne s’adressent pas en premier aux entreprises. C’est désormais le grand public qui y est accueilli et souvent orienté vers ces dernières pour la réalisation des travaux. Le négoce joue donc de plus en plus un rôle d’apporteur d’affaires. Selon Théo Woelflinger du cabinet Développement Construction, en moyenne 30 % de la clientèle des négociants est composée de particuliers. Cela s’explique par le maillage très fin des points de vente (près de 10 000), alors que les grandes surfaces de bricolage sont implantées essentiellement en zone urbaine et ne disposent que de 1 800 magasins. Selon la plupart des négociants interrogés, le phénomène de concentration de la profession devrait toujours être à l’ordre du jour dans les années à venir. « Dans 5 à 10 ans, le poids des indépendants dont le pourcentage dans le négoce n’est plus que de 5 % devrait encore diminuer, celui des régionaux plafonner à 50 %, tandis que les groupes et super-groupements se partageront le reste du gâteau », anticipe Théo Woelflinger. Mais cette concentration ne devrait pas se faire forcément au profit des principaux groupes et groupements. « Il semblerait que les grands acteurs préfèrent créer de nouveaux points de vente plutôt que de racheter des négoces existants », remarque Laurent Martin Saint-Léon, le délégué général de la Confédération du négoce bois-matériaux (CNBM). Ainsi, rien qu’en 2007, le groupe Point. P a ouvert 30 nouveaux négoces.