Pendant des décennies, les logements sociaux ont été construits à la périphérie des villes. Les faubourgs, les portes des villes, les banlieues ont souvent été le site privilégié des logements destinés aux personnes les plus démunies. La constitution des grands ensembles a continué dans la même logique, avec une construction généralement située en périphérie, et parfois dans des lieux très éloignés de tout service.
La raison de cette situation est simple : les terrains sont moins chers qu'en plein centre-ville. Plus on se rapproche des centres urbains, plus le terrain, matière première pour construire, sera cher. L'Union des HLM classe d'ailleurs le foncier en trois zones allant du foncier le plus cher (zone 1) au foncier le moins cher (zone 3) selon que l'on se situe dans un centre urbain important ou en zone rurale. Tout cela aboutit à une ségrégation urbaine avec des « quartiers riches » et des « quartiers pauvres ». « Nous pâtissons de cette situation. Les logements pour les plus démunis ont été construits en grand nombre sur notre commune, qui doit ensuite résoudre tous les problèmes de cette population très fragile », se plaint Pierre Cardo, maire de Chanteloup-les-Vignes. A Chanteloup, la situation financière est devenue très difficile, et le maire rappelle que la population a le plus faible potentiel fiscal de toute l'agglomération parisienne, à 1 800 francs par habitant.
Les failles de la loi d'orientation sur la ville
La population du parc social est effectivement plus fragile que la moyenne. Une enquête effectuée par les organismes d'HLM au premier semestre 1997 montre qu'un ménage sur deux a des revenus inférieurs à 60 % du Smic et un ménage sur six des revenus inférieurs à 20 % du Smic (voir aussi graphique p. 43). Il existe des outils pour lutter contre cette ségrégation. La loi d'orientation pour la ville (LOV) du 13 juillet 1991 avait pour objectif d'imposer la mixité urbaine. L'élaboration de programmes locaux de l'habitat (PLH) est devenue obligatoire pour toutes les communes situées dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants qui comptent moins de 20 % de logements sociaux et moins de 18 % de bénéficiaires d'aides personnelles, rapportés au nombre de résidences principales.
Lorsque les communes ne souhaitent pas réaliser de PLH, elles doivent acquitter une taxe qui a totalisé 10 millions de francs en 1995 (dernières données disponibles). « Bien des communes préfèrent payer la taxe, plutôt que d'accueillir des populations qui peuvent être difficiles et c'est la preuve que la LOV ne fonctionne pas bien », regrette Stéphane Peu, adjoint au maire de Saint-Denis, chargé du logement. Cet élu local propose une solution : interdire sur le territoire des communes qui ne font pas de PLH, la réalisation de nouveaux logements. « Cette proposition est certes provocatrice, reconnaît Stéphane Peu, mais elle pourrait être efficace ».
L'application d'une telle mesure nécessiterait bien sûr une volonté politique forte de la part de l'Etat. Le souhait de Louis Besson de réformer la LOV afin qu'elle soit mieux appliquée permettra peut-être d'améliorer la situation (voir à ce sujet « Le Moniteur » du 5 décembre 1997, p 54 et 55). « Heureusement, il y a des élus qui sont persuadés de l'intérêt de la mixité urbaine et qui souhaitent réaliser des logements sociaux dans leur centre-ville », se réjouit Michèle Attar, directeur de la Fédération nationale des sociétés coopératives d'HLM (FNSCHLM).
Logements sociaux en centre-ville
Les sociétés coopératives d'HLM ont d'ailleurs développé des logements sociaux en accession à la propriété à proximité immédiate descentres-villes. Le Logis breton à Quimper, le Coin de terre et Foyer à Cholet ont ainsi réalisé des maisons individuelles à proximité des centres urbains, destinées à des populations aux revenus modestes.
La construction de ces logements permet de redonner de la vie à des centres-villes qui se vident, de renouveler la population, et la collectivité fait ainsi l'économie de la construction d'infrastructures et de réseaux coûteux. Les nouveaux arrivants, quant à eux, bénéficient de la proximité des services, des transports, et leur patrimoine (en cas d'accession à la propriété) ne perd pas de valeur car il est bien situé.
Reste que ce déroulement idéal ne fonctionne que s'il existe effectivement du foncier constructible et à un prix abordable sur le territoire de la commune, à proximité du centre.
Si les situations varient fortement d'une commune à l'autre (voir aussi « Le Moniteur » du 13 mars 1998, p. 48), des outils réglementaires permettent néanmoins aux élus qui le veulent de libérer du foncier. Le plan d'occupation des sols (POS) est le premier moyen qui peut être utilisé par les élus. Il permet de transformer des terrains agricoles en des terrains constructibles. Une procédure de révision du POS permet aussi d'ouvrir à l'urbanisation des terrains situés en zone NA (zone d'urbanisation différée).
Lorsque l'urbanisation est dense et qu'il n'y a plus de réserves foncières, la commune peut négocier l'achat de terrains sur le marché, ou bien placer une partie ou tout son territoire en zone de préemption urbaine. La préemption présente un double intérêt : elle permet à la commune d'être informée de toutes les ventes et de bien connaître le prix du foncier. Certaines communes utilisent d'ailleurs le droit de préemption pour contrôler les prix. Lorsqu'elles considèrent qu'un prix est trop élevé, elles annoncent leur intention de préempter. Si cette pratique est courante, elle est cependant illégale.
Recycler des terrains urbains
Enfin, l'avenir est aux outils qui permettront de recycler des terrains urbains. Dans les villes, il existe, en effet, de nombreux secteurs en friche et les grandes entreprises publiques comme la SNCF ou l'armée ont un patrimoine immobilier estimé à 18 000 ha en 1996 (selon le rapport sur la question foncière du Conseil économique et social) qu'elles libèrent progressivement.
Ces espaces, souvent situés à proximité des centres-villes, pourront constituer des réservoirs intéressants. Les zones d'aménagement concerté (ZAC) pourront être un outil permettant de recréer des quartiers avec des logements et des services. D'ores et déjà, des villes et des sociétés d'HLM pratiquent un recyclage des terrains en friches ou des bâtiments laissés à l'abandon comme à Saint-Laurent dans la Creuse (voir encadré page ci-contre). Recycler les terrains pour y construire des logements sociaux : voilà un savoir-faire à développer au sein des sociétés d'HLM et des communes.