Décryptage

Ordonnance Commande publique, une gestion de l’extrême urgence

Décryptage des mesures adaptant les règles de passation et d'exécution des contrats de la commande publique, prises par l'ordonnance du 25 mars 2020 parue ce 26 mars au "Journal officiel".

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Passation et exécution des contrats de la commande publique.

Dans le domaine de la commande publique, des positions ont été rapidement adoptées par les pouvoirs publics pour répondre à la crise sanitaire engendrée par l’épidémie de covid-19. On peut citer parmi les principales : la reconnaissance par le ministre de l’Economie de la force majeure dans les marchés publics de l’Etat et des collectivités locales annoncée sur son site Internet, la production d’une fiche par la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy relative à "la passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire" publiée le 18 mars 2020 ou encore les recommandations de la Direction des achats de l’Etat (DAE) aux acheteurs de l’État et des établissements publics de "préserver" les entreprises fournisseurs.

Ces premiers éléments ne permettaient pas de tracer un nouveau cadre juridique. Au fur et à mesure que la crise devenait plus profonde, celui-ci s’imposait. Il a été rendu possible par la loi sur l’état d’urgence sanitaire, laquelle a permis au gouvernement d’intervenir par voie d’ordonnances. C’est l’objet de l’ordonnance du 25 mars que d’établir les règles qui permettront d’adapter le droit de la commande à cette crise sans précédent.

Fondement de l’ordonnance et champ d’application

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a en effet autorisé, en son article 11, I, 1°, f, le gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure destinée à "adapter les règles de passation, de délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le Code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet". L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 d’adaptation des règles de passation, de procédure et d’exécution des contrats de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 est parue au "JO" ce 26 mars.

Contrats concernés

Aux termes de son article 1er, l’ordonnance s’applique, en premier lieu, aux contrats soumis au Code de la commande publique (CCP), c’est-à-dire, pour l’essentiel aux marchés publics (en ce compris les marchés de partenariat) et aux concessions contenues dans ledit code, en ce compris celles dont le régime est pour partie encadré par d’autres textes (les délégations de service public ou les concessions d’aménagement, par exemple).

En second lieu, elle concerne également "les contrats publics qui n’en relèvent pas". Cela permet incontestablement d’inclure les autres - rares – contrats de la commande publique non rattachés au code. On pense notamment aux marchés globaux dont l’utilisation est permise de façon temporaire, qui figurent dans des textes ad hoc : marchés globaux pour les besoins des Crous (jusqu’en 2021), dans le domaine des communications électroniques (jusqu’en 2022), ou pour les ouvrages des Jeux olympiques de 2024, par exemple [1].

Par ailleurs, l’ordonnance n’introduisant aucune distinction, il est tout aussi clair qu’elle s'applique à tous les acheteurs et concédants, public ou privés. Les sociétés publiques locales, certaines sociétés d’économie mixte et Semop, les associations parapubliques, notamment, sont donc aussi concernées. Se pose la question de savoir si d’autres contrats que ceux de la commande publique peuvent être visés, dès lors que l’ordonnance mentionne les "contrats publics" en général. Cette notion, qui n’est définie ni par les textes, ni par la jurisprudence, est, a priori, plus large que celle de contrat administratif. Elle pourrait potentiellement se référer aux conventions d’occupation domaniale, voire, par exemple, aux baux conclus sur le domaine privé. Toutefois, rares sont les dispositions prévues par l’ordonnance, examinées ci-après, qui pourraient s’appliquer. Cette question paraît donc en partie théorique.

Application dans le temps

L’article 1er de l’ordonnance délimite très clairement son champ d’application temporel [2]: elle s’applique aux contrats en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire - qui est pour le moment de deux mois à compter de la publication le 24 mars au "JO" de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 – augmentée d’une durée de deux mois, soit pour le moment jusqu’au 24 juillet.

Cet article précise également que les dispositions que l’ordonnance prévoit ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie et des mesures prises pour la limiter - c’est-à-dire notamment, les décisions et textes pris par le gouvernement relatifs au confinement.

Enfin, toujours sur un plan général, on observera que l’ordonnance – mesure prise par l'exécutif dans des domaines juridiques relevant normalement de la loi – contient des dispositions de niveau réglementaire. Mais un tel empiètement ne pose, en réalité, pas de difficulté. La loi peut empiéter sur le domaine réglementaire, elle ne risque qu’un déclassement ultérieur [3], des plus théoriques en l’espèce, compte tenu du caractère provisoire des dispositions adoptées.

Mesures en matière de passation

L’article 2 de l’ordonnance prévoit que, pour les contrats soumis au CCP, sauf lorsque les prestations objet du contrat ne peuvent souffrir aucun retard, les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours sont prolongés d’une durée suffisante, fixée par l’autorité contractante, pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner.

A cet égard, il convient de rappeler que cette prolongation, d’apparence automatique, sauf pour les procédures de mise en concurrence portant sur des prestations devant être exécutées rapidement, suppose, néanmoins, compte tenu de l’article 1er, qu’elle soit rendue nécessaire par l’épidémie, ce qui n’est pas toujours le cas. Les acheteurs et concédants pourraient donc être avisés d’interroger les soumissionnaires – dont la candidature est déjà retenue – voire les candidats, si c’est possible, de la nécessité d’un tel report. Des hypothèses peuvent exister où la réponse n’est pas nécessairement empêchée et les opérateurs restent mobilisés.

Par ailleurs, les "autres contrats publics" ne sont pas visés. Il nous semble toutefois que rien n’empêche les personnes publiques (voire privées) concernées de s’inspirer des dispositions prévues pour les contrats inclus dans le CCP.

L’article 3 précise que, lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues en application du code dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l’autorité contractante, celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats. Une telle possibilité peut s’avérer très intéressante, notamment lorsque la transmission physique de certains documents ou maquettes était prévue ou encore lorsqu'était demandée une signature électronique dès le stade des offres (et non, comme c’est le principe, pour le candidat retenu), alors que certaines personnes n’ont pas ou plus accès à leur certificat de signature électronique. Comme l’a fait la DAJ de Bercy dans sa fiche explicative (mise à jour le 26 mars), on peut citer également l’exemple de réunions de négociation en présentiel prévues par le règlement de la consultation qui peuvent être remplacées par des réunions en visio-conférence.

Par ailleurs, naturellement, les autres dispositions dérogatoires du CCP pouvant avoir vocation à s’appliquer restent utilisables. Ainsi, conformément à la fiche de la DAJ de Bercy précitée, pour satisfaire leurs besoins urgents, et uniquement ceux-ci, les acheteurs pourront soit appliquer des délais réduits de publicité, comme le permet le 3° de l’article R. 2161-8 du CCP, soit mettre en œuvre la procédure sans publicité ni mise en concurrence préalable prévue en cas d’urgence impérieuse par l’article R. 2122-1.

Mesures en matière d’exécution

Prolongation des contrats

L’article 4 de l’ordonnance permet que les contrats arrivés à terme pendant sa période d’application – donc depuis le 12 mars et jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire – puissent être prolongés par avenant au-delà de la durée prévue par le contrat lorsqu’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre ; et ce dans la limite de la durée de la période d’application de l’ordonnance augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration.La DAJ de Bercy, dans sa fiche explicative précitée, préconise de signer un premier avenant pour la période initiale de l’état d’urgence sanitaire (de deux mois comme indiqué ci-dessus) et un nouvel avenant si elle venait à être prolongée.

Ici, sont concernés l’ensemble des "contrats publics" et non seulement les contrats de la commande publique. Pour les accords-cadres, la prolongation peut s’étendre au-delà de la durée de principe de quatre ans (marchés classiques), de sept ans (marchés de défense et de sécurité) ou de huit ans (entités adjudicatrices) prévue par le Code de la commande publique [4].

La prolongation d’un contrat de concession dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et des déchets au-delà de la durée, en principe, maximum de vingt ans [5] est dispensée de l’avis du directeur départemental des finances publiques normalement exigé.

Modifications concernant les avances

Dans les marchés publics (puisque le texte vise les "acheteurs"), l’article 5 de l’ordonnance prévoit la possibilité de modifier les conditions de versement de l’avance, et même de la porter au-delà du montant maximum de 60 % prévu par l’article R. 2191-8 du CCP.

L’exigence d’une garantie à première demande au-delà 30 %, également précisée par cet article du code est, pareillement, rendue optionnelle.

Pour être mises en œuvre, de telles mesures doivent, là encore, conformément à l’article 1er de l’ordonnance, être rendues nécessaires par l’épidémie. A l’inverse, dans une telle hypothèse, sauf cas particulier, on comprendrait mal qu’un acheteur n’y fasse pas droit. Il s’agit en effet de permettre aux entreprises de disposer d’un flux de trésorerie qui, sinon, va cruellement leur faire défaut.

Mesures pouvant être prises en cas de difficultés d’exécution contractuelle

Les dispositions suivantes s’appliquent nonobstant toute stipulation contraire, à l’exception de celles qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat. Il convient donc, comme toujours, d’être particulièrement attentif à la rédaction des contrats : les dispositions spécifiques de l’ordonnance ne les effacent pas nécessairement.

⇒ Pour les marchés publics

- Lorsque le titulaire ne peut pas respecter le délai d’exécution d'une ou plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, ce délai est prolongé d’une durée au moins équivalente à la durée de la période d’application de l’ordonnance, sur la demande du titulaire. Cette demande doit être faite avant l’expiration du délai contractuel (article 6, 1° de l'ordonnance).

Une telle possibilité est ouverte sans qu’il soit fait référence à la théorie de la force majeure, dont l’application, quoique invoquée par les pouvoirs publics est à vrai dire problématique, ou même à celle de l’imprévision (article L. 6, 3° du CCP). C’est le cas également de l’article suivant.

- Lorsque le titulaire est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive :

a) Le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif;

b) L’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d’exclusivité et sans que le titulaire du marché initial ne puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l’acheteur. L’exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de ce titulaire (article 6, 2° de l'ordonnance). Le titulaire est donc dégagé d’éventuels "frais de mise en régie". La DAJ de Bercy, dans sa fiche explicative, considère qu’en raison de l’urgence impérieuse, le marché de substitution peut être conclu sans publicité ni mise en concurrence préalable en application des articles R. 2122-1 et R. 2322-4 du CCP.

- Lorsque l’annulation d’un bon de commande ou la résiliation du marché par l’acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l’acheteur, des dépenses engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution d’un bon de commande annulé ou d’un marché résilié (article 6, 3° de l'ordonnance).

Il est intéressant de noter que le motif sous-jacent de la résiliation, sans être une nouvelle fois évoqué, se rapproche de celui de la force majeure dès lors que le titulaire n’est pas indemnisé de son manque à gagner mais uniquement des dépenses engagées. Le non-remboursement de l’avance aurait pu être envisagé, mais tel n’est pas le cas, ce qui pourrait toutefois être laissé à l’appréciation de l’acheteur.

- Lorsque l’acheteur est conduit à suspendre un marché à prix forfaitaire dont l’exécution est en cours, il procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat.

A l’issue de la suspension, un avenant détermine les modifications du contrat éventuellement nécessaires, sa reprise à l’identique ou sa résiliation ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur (article 6, 4°de l'ordonnance).

⇒ Pour les concessions

- Lorsque le concédant est conduit à suspendre l’exécution d’une concession, tout versement d’une somme au concédant est suspendu, et, si la situation de l’opérateur économique le justifie et à hauteur de ses besoins, une avance sur le versement des sommes dues par le concédant peut lui être versée (article 6-5° de l'ordonnance). Il s’agit bien sûr, d’une part, en règle générale, des redevances dues au concédant et, d’autre part, des avances sur l’éventuel "prix" versé par le concédant (article L. 1121-1 du CCP, en réalité, la plupart du temps, des subventions).

- Lorsque, sans que la concession soit suspendue, le concédant est conduit à modifier significativement les modalités d’exécution prévues au contrat, le concessionnaire a droit à une indemnité destinée à compenser le surcoût qui résulte de l’exécution, même partielle, du service ou des travaux, lorsque la poursuite de l’exécution de la concession impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire (article 6, 6° de l'ordonnance).

Il s’agit ici d’une adaptation de la théorie de l’imprévision (article L. 6, 4° du CCP), sans toutefois que l’ensemble des conditions exigées, et notamment le bouleversement de l’économie du contrat (une charge "manifestement excessive" suffit, si l’on ose dire) soit nécessaire. On rappellera que la théorie de l’imprévision repose sur l’idée que dans certaines hypothèses, l’exécution du contrat doit être adaptée aux circonstances, sans pour autant que naisse au bénéfice du cocontractant un droit à indemnisation intégrale. A la différence de l’utilisation du pouvoir de modification unilatérale, la situation d’imprévision est nécessairement transitoire. C’est bien le cas ici, la situation n’ayant vocation à durer que le temps de l’état d’urgence sanitaire. En cas de véritable bouleversement de l’économie du contrat, on peut se demander si la théorie de l’imprévision ne pourrait pas relayer ces dispositions.

Surtout, elles devront être interprétées souplement pour être pleinement utiles : les concessionnaires ne sont en effet pas toujours confrontés à la mise en œuvre de véritables moyens supplémentaires mais à leur adaptation pour assurer une continuité de service minimum, parfois quasiment sans perception de recettes d’exploitation. La mesure prévue par cet article devra aussi pouvoir jouer dans cette hypothèse, de même que l’interruption, en tout ou partie, du versement des redevances au concédant.

Un cadre juridique plus stable

L’ensemble de ces mesures visent à permettre aux entreprises titulaires de contrats publics de supporter les conséquences de la crise sanitaire, sans remettre en cause pour autant l’exécution des missions dont les collectivités publiques ont la charge. Il est intéressant de relever que l’ordonnance revisite certaines notions classiques du droit administratif (force majeure, imprévision), pour assurer aux entreprises un cadre juridique plus stable.

Certaines dispositions pourront poser des problèmes d’interprétation, mais on peut penser que le juge administratif saura être constructif. La situation est suffisamment exceptionnelle pour que les solutions soient adaptées à la réalité de la crise économique que vont traverser les entreprises.

Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19

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