Edito

Offres concertées entre filiales : conformes au droit de la concurrence, contraires au droit de la commande publique ?

L'Autorité de la concurrence a changé de position et ne sanctionnera plus la remise d'offres coordonnées par des filiales d'un même groupe. Reste à l'acheteur public à tenir compte de ces pratiques, qui peuvent toujours porter atteinte au jeu de la concurrence dans les procédures de passation des marchés. Une tâche ardue, comme l'explique Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d’Or.

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Arnaud Latrèche, vice-président de l'association des acheteurs publics

Guidée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 17 mai 2018, « Ecoservice projektai » UAB, C-531/16), l’Autorité de la concurrence considère désormais, par sa décision 20-D-19 du 25 novembre 2020, que le dépôt d’offres distinctes pour un marché public par des sociétés filiales d’un même groupe et pour lesquelles elles se sont préalablement coordonnées ou concertées, ne constitue pas une pratique anticoncurrentielle. L’absence d’autonomie et d’indépendance de ces filiales conduit à considérer que, bien que juridiquement distinctes, celles-ci et leur société mère ne constituent qu’une même unité économique au regard du droit de la concurrence. Dont acte.

Dans la mesure où elle reçoit la bénédiction des gardiens du droit de la concurrence, quelle suite le droit de la commande publique peut-il réserver à cette pratique susceptible, malgré tout, de donner à l’acheteur l’illusion d’une réelle et saine concurrence ?

A l’occasion du communiqué de presse publié le 25 novembre à l’appui de la décision susvisée, l’Autorité de la concurrence évoque une possible méconnaissance du principe d’égalité de traitement régissant le droit de la commande publique, à l’instar de la position de la CJUE résultant de l’arrêt du 17 mai 2018.

Influence sur la décision de l’acheteur

Il résulte du 1° de l’article L. 2141-8 du Code de la commande publique que « l'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui […] ont entrepris d'influer indûment sur le processus décisionnel de l'acheteur […] ». Dès lors, l’acheteur pourrait-il considérer que lorsque des sociétés filiales d’un même groupe ont déposé chacune une offre pour un marché, ce constat pourrait caractériser leur volonté d’influencer les décisions de l’acheteur lorsque ces offres distinctes ont donné lieu à une coordination ou concertation préalable de leur part ? Il semble permis d’apporter une réponse positive à cette interrogation.

En effet, le constat de la réception de plusieurs offres, censées être autonomes et indépendantes, conduit généralement l’acheteur à considérer que la concurrence a suffisamment joué. Cette circonstance l’incitera à mener la procédure jusqu’au terme espéré : l’attribution du marché à l’opérateur qui obtiendra le meilleur positionnement parmi les offres en compétition. Décision finale qui est dès lors susceptible de reposer sur une fiction, celle où toutes les offres reçues se concurrencent.

Conflit d’intérêts

L’article L. 2141-10 du code pourrait également constituer un rempart contre la pratique du dépôt d’offres concertées ou coordonnées par des opérateurs relevant du même groupe. Cet article autorise en effet l’acheteur à exclure les opérateurs dont la candidature provoque un conflit d’intérêts. Or, un tel conflit est caractérisé par « toute  situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché […] a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique […] qui pourrait compromettre […] son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché ».

Dès lors, la circonstance que des sociétés filiales d’un même groupe déposent des offres distinctes après s’être coordonnées ou concertées pourrait remettre en cause l’autonomie et l’indépendance de leur offre, ceci dans le but de préserver les intérêts du groupe auquel elles appartiennent et/ou de l’une des filiales soumissionnaires.

Charge de la preuve pesant sur l’acheteur

La difficulté que l’on perçoit immédiatement est celle de la charge de la preuve pesant sur l’acheteur. A tout le moins, en cas de doute, pourra-t-il inviter les opérateurs suspectés à déclarer, le cas échéant, les liens qui les unissent à d’autres opérateurs soumissionnaires et à attester qu’ils ne se sont pas concertés ni coordonnés pour établir leur offre respective, et que l’établissement de celle-ci ne résulte pas davantage d’accords ou instructions applicables au sein de leur groupe. 

A l’occasion de ce questionnement, qui procède de la mise en œuvre du principe du contradictoire imposée par l’article L. 2141-11 du code, l’acheteur pourra utilement rappeler aux opérateurs que le 1° de l’article L. 2141-8 susvisé lui permet également d’exclure les opérateurs « qui ont fourni des informations trompeuses susceptibles d'avoir une influence déterminante sur les décisions d'exclusion, de sélection ou d'attribution ».

A ce sujet, il est regrettable que l’arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste limitative des documents et renseignements pouvant être exigés à l’appui des candidatures (NOR : ECOM1830221A, annexe 9 au Code de la commande publique) ne permette pas à l’acheteur d’exiger à ce stade la communication des liens capitalistiques des opérateurs candidats.

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