Le 22 août 2021, la loi « Climat et Résilience » fixait un objectif national de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols en 2050. A mi-chemin, un but intermédiaire : diviser par deux la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2031. Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement a déjà fait paraître deux décrets d’application dont un relatif à la nomenclature de l'artificialisation des sols (Décret n°2022-763 du 29 avril 2022).
Concrètement, cette classification définit les sols comme artificiels ou non en fonction d’une nomenclature que l’on pourrait facilement qualifier de trop binaire. En effet, quelles que soient les techniques employées, tout sol aménagé y est forcément considéré comme artificiel. Une vision quelque peu manichéenne, oubliant l’impact positif des sols perméables (végétalisés ou minéraux) sur l’environnement et les services écosystémiques que ces derniers rendent.
La désartificialisation des sols : une nécessité
À l’aune des épisodes météorologiques extrêmes vécus cet été, de la canicule aux inondations en passant par les glissements de terrain, il semble plus qu’urgent de désartificialiser massivement les sols et de leur rendre ainsi leurs fonctions naturelles. La résilience urbaine doit être au coeur des politiques d’aménagement afin de limiter les conséquences du réchauffement climatique et de garder viables nos zones urbaines face aux hausses de températures
Au travers de l’objectif ZAN, il faut donc profiter de chaque opération de réhabilitation et de reconstruction pour améliorer les fonctions écologiques des sols aménagés. Dans cette stratégie de renouvellement, chaque espace peut être repensé de façon à réintroduire la nature, à redonner une place à l’eau et à la végétation au milieu du bâti, et ainsi recréer des continuités écologiques.
On parle désormais d’urbanisme circulaire. La ville se reconstruit sur elle-même, souvent avec une logique de densification et au profit de la création d’espaces de nature et d’aménagements plus durables. C’est précisément sur ces opérations de renouvellement que la carte de la désartificialisation peut être jouée, mais seulement si la nouvelle nomenclature peut s’adapter aux réalités terrain. En effet, en fonction des usages, il n’est pas toujours possible de renaturer à 100% les espaces mais des solutions existent néanmoins pour restituer les fonctions naturelles des sols.
Il faut prendre en compte les fonctions écologiques des sols construits
Lors de la publication des décrets d’application du 29 avril 2022, des débats houleux ont animé sénateurs et élus locaux. La raison principale de cette inquiétude : la fameuse nomenclature des sols artificialisés qui décourage, selon eux, les initiatives de renaturation
en ville. Tant et si bien que le Ministre de la Transition écologique lui-même, Christophe Béchu, a demandé aux préfets début septembre de ne pas se précipiter dans la mise en oeuvre de l’objectif ZAN car des points lui apparaissaient comme "objectivement
améliorables". Un exemple particulièrement incohérent pour le ministre : les parcs et jardins sont considérés par la nomenclature comme des espaces artificialisés… Ainsi, même si le calendrier d’application ne changera pas, le ministre a confirmé être ouvert à
une réécriture des décrets remis en cause.
Il semble en effet indispensable que la future nomenclature prenne en compte les fonctions écologiques des sols construits. Ceci est par exemple possible via un système de pondération des sols aménagés qui viendrait nuancer cette classification binaire "sol artificiel" ou "sol naturel". Cela ne concerne pas, bien entendu, les sols artificialisés pour les besoins du bâti (catégorie 1), mais toutes ces surfaces au sein des infrastructures et de l’espace public : places, trottoirs et voies pédestres, aires de stationnement, espaces verts, aires de loisirs et parcs, etc. Finalement, il s’agirait de tous ces espaces répondant aux besoins des activités humaines et dont l’usage permet des techniques de construction moins destructives.
Catégories de surfaces
Surfaces artificialisées | 1° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison du bâti (constructions, aménagements, ouvrages ou installations). |
2° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison d'un revêtement (artificiel, asphalté, bétonné, couvert de pavés ou de dalles). | |
3° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont stabilisés et compactés ou recouverts de matériaux minéraux. | |
4° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont constitués de matériaux composites (couverture hétérogène et artificielle avec un mélange de matériaux non minéraux). | |
5° Surfaces à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d'infrastructures notamment de transport ou de logistique, dont les sols sont couverts par une végétation herbacée, y compris si ces surfaces sont en chantier ou sont en état d'abandon. | |
Surfaces non artificialisées | 6° Surfaces naturelles qui sont soit nues (sable, galets, rochers, pierres ou tout autre matériau minéral, y compris les surfaces d'activités extractives de matériaux en exploitation) soit couvertes en permanence d'eau, de neige ou de glace. |
7° Surfaces à usage de cultures, qui sont végétalisées (agriculture, sylviculture) ou en eau (pêche, aquaculture, saliculture). | |
8° Surfaces naturelles ou végétalisées constituant un habitat naturel, qui n'entrent pas dans les catégories 5°, 6° et 7°. |
Un peu à la manière du calcul du coefficient de Biotope par Surface (CBS) qui tient compte de certaines fonctions écologiques des surfaces aménagées, il est possible d’imaginer un classement ou une pondération de ces sols artificialisés selon leurs fonctions biologiques, hydriques et climatiques.
En partant de la nomenclature actuelle, on pourrait par exemple transformer les catégories 3, 4 et 5 pour en faire une catégorie intermédiaire. Celle-ci permettrait de mettre en valeur les fonctions liées à la perméabilité, au couvert végétal ou encore à la présence de matière organique dans des sols certes construits, mais qui assurent certaines fonctions écologiques de par leur conception.
Les sols : des outils reconnus dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité
Les sols ont aujourd’hui un rôle prépondérant à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans la recolonisation de la biodiversité urbaine, et doivent donc être au coeur des politiques d’aménagement durables.
En perméabilisant des sols urbains, on restaure les maillons manquants du cycle de l’eau en zone urbaine en rétablissant les échanges air-eau-sol, tout en leur redonnant certaines fonctions naturelles - épuration de l’eau, régulation thermique, réservoir à biodiversité et
siège de la biomasse… Autant de services écosystémiques essentiels au maintien de l’équilibre environnemental, social et économique de nos villes. En parallèle, des études scientifiques ont également pu prouver ces dernières années que les sols perméables permettaient de lutter activement contre les îlots de chaleur urbains grâce à une régulation thermique accrue, tout en étant des terrains favorables au développement d’une pédofaune variée.
Connaissant les bénéfices pour l’environnement des sols perméables et leur rôle potentiel dans la transition écologique des territoires, n’est-ce-pas alors dommage de les considérer uniquement comme… artificiels ?