La prise en compte de la sécurité publique dans l’aménagement urbain n’est pas nouvelle. Collectivités, bailleurs sociaux et gestionnaires d’équipements déploient différents dispositifs pour empêcher les actes de malveillance. Les solutions sont d’ordre technique (éclairage renforcé, vidéosurveillance, plots anti-bélier) ou portent sur l’amélioration de la gestion des immeubles et des espaces extérieurs. Plus en amont, elles consistent aussi pour les concepteurs à intégrer certains principes de composition urbaine dans leurs projets : visibilité, qualité des accès, clarté du maillage, résidentialisation…
Cependant, s’il n’existait jusqu’à présent aucune disposition réglementaire dans le domaine de la sécurité publique, le décret du 3 août 2007, introduit par la loi de la prévention sur la délinquance, rend désormais obligatoires les études de sûreté et de sécurité publique (ESSP) dans les opérations d’urbanisme de grande envergure et les établissements recevant du public de première catégorie (lire p. 67). Leur finalité ? Vérifier au moment du projet que les principes architecturaux et urbains retenus ne favorisent pas les actes de malveillance et n’empêchent pas les forces de sécurité et les secours d’accomplir leurs missions.
Ce décret vient appuyer une tendance sécuritaire fondée sur la prévention situationnelle. Ce concept anglo-saxon, développé par l’Américain Oscar Newman en 1970, part du constat que les actions éducatives ne peuvent pas tout et qu’il faut donc protéger les cibles par un traitement approprié du contexte architectural et spatial. Les ESSP sont à la charge des maîtres d’ouvrage et des aménageurs, qui doivent intégrer leur coût dans leurs budgets : de l’ordre de 30 000 à 40 000 euros pour les bâtiments et de 100 000 euros pour les ZAC, selon Eric Chalumeau, P-DG du cabinet de conseil Icade-Suretis et coauteur d’un guide méthodologique sur le sujet avec l’atelier d’architecture Landauer. Dans ce dernier cas, une mission AMO peut venir en complément, afin que les prescriptions soient techniquement prises en compte par les futurs maîtres d’œuvre.
Les ESSP, qui peuvent être confiées à des bureaux d’études spécialisés, sont examinées par les sous-commissions pour la sécurité publique, créées à cette fin, au sein des actuelles commissions départementales de sécurité et d’accessibilité.
Pas de norme imposée
« Cette nouvelle réglementation n’impose aucune check-list. La sûreté doit être une ressource pour le projet et non une contrainte. Plus on s’y prend tôt et moins on va vers des dispositifs sécuritaires qui, mis en œuvre après coup, sont susceptibles d’altérer les projets », explique Eric Chalumeau. Pas de norme donc, mais sous-jacente à ces études, la volonté de prendre en compte les spécificités locales de manière à édicter des mesures ad hoc, qui porteront sur la conception de l’ouvrage, sur l’exploitation et la gestion des bâtiments, ou auront un caractère plus technique.
Au niveau national, une cinquantaine d’études a été lancée depuis le 1er octobre 2007, date de l’entrée en vigueur de leur obligation. Un nombre relativement restreint mais qui permet aux bureaux d’études spécialisés d’avoir un premier retour.
Surenchère sécuritaire pour certains urbanistes
« Je suis surpris par le degré d’exigence de ces commissions, sensibilisées aux menaces qui pèsent sur leurs confrères, observe Eric Chalumeau. Certaines précisions sont ainsi difficiles à donner, comme celles concernant l’exploitation et la gestion des futurs bâtiments par exemple, car les promoteurs n’ont pas toujours commencé la commercialisation au moment de l’expertise. » Même constat du côté des aménageurs, qui souhaitent que ces études aillent plus loin que l’évaluation des principes directeurs des projets urbains, et fixent aussi les prescriptions des futures opérations de construction, pour les inclure dans les cahiers des charges de cession foncière.
Certains architectes et urbanistes voient dans ce décret une surenchère sécuritaire (voir les réactions). Ces études soulèvent aussi un certain nombre de questions. Quel périmètre prendre en compte pour que le diagnostic social et urbain soit vraiment pertinent ? Sur quels critères se baser pour évaluer le risque sociologique, plus impalpable que le risque incendie ? Comment s’assurer que ces mesures sont réellement efficaces ? Enfin, en cas de défaillance de conception, à qui revient la responsabilité juridique ?
« Ce décret représente une avancée pour les services de police et tous les acteurs qui œuvrent à la sécurité. La prévention de la délinquance et la prise en compte de la sécurité deviennent désormais un enjeu de la politique urbaine », estime Aurore Toulgoat-Ficholle, directrice de la sécurité publique locale et de la prévention à Clichy-La-Garenne. « Mais il faut travailler sur tous les autres aspects : la gestion globale de proximité, la prévention sociale, la présence policière, le tissu associatif. La sécurité ne peut s’appréhender que globalement, et avec tous les partenaires, pour être efficace. »