Interview

«Nous testons le marché global de performance énergétique à paiement différé sur deux premiers bâtiments», Serge Grouard (maire d’Orléans)

Pour doter deux écoles d'un système géothermique, Orléans (Loiret) va recourir au premier marché global de performance énergétique à paiement différé (c'est-à-dire avec tiers-financement) depuis la création de cet outil en mars 2023. Un projet qui doit permettre de baisser les émissions de gaz à effet de serre des deux établissements de plus de 90%, selon le maire ex-LR, Serge Grouard. Avec l'avocat associé chez Lexcity, Olivier Ortega, qui a conseillé la Ville pour la préparation de cette procédure, il détaille les raisons ayant conduit à opter pour ce montage inédit. 

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Serge Grouard (à gauche), maire d'Orléans, et Olivier Ortega (à droite), avocat associé chez Lexcity.

Quelles sont les caractéristiques du projet, approuvé jeudi 23 mai par le conseil municipal d'Orléans ?

Serge Grouard : Il s'agit d'un marché global de performance énergétique à paiement différé (MGPE-PD) portant sur la rénovation énergétique du groupe scolaire du Necotin, qui réunit une école élémentaire et une école maternelle. D’une surface de près de 4000m², il accueille environ 450 enfants. En premier lieu, l’objet du contrat, dont la durée sera de dix ans, est de réaliser des travaux pour passer de chaudières au gaz à un système de géothermie sèche, consistant à utiliser la température de la roche à une faible profondeur pour produire de la chaleur via des pompes.

La période de travaux est fixée à six mois. Ensuite le titulaire aura la charge d’entretenir et de piloter ce système, pendant les 9,5 années de contrat restantes. L’objectif est de lancer la procédure de passation vers la mi-juillet pour pouvoir attribuer le marché avant fin 2024. Nous prévoyons une réalisation des travaux entre juillet et décembre 2025, pour une mise en service de la géothermie en janvier 2026.

Il s'agira de la première procédure de mise en concurrence pour un MGPE-PD, depuis sa création à titre expérimental pour cinq ans par une loi du 30 mars 2023. Pourquoi avoir choisi de recourir à cette forme de marché public ?

Nous avons vocation à étendre le dispositif sur d’autres bâtiments de la Ville et de la métropole, peut-être une centaine

—  Serge Grouard

S.G. : D’abord pour la logique de tiers-financement qu’il intègre. Le titulaire préfinance les travaux. C’est la clé pour massifier la rénovation énergétique, car une collectivité ne peut pas porter l’ensemble des investissements. Dès lors que l’on souhaite rénover massivement, la question budgétaire devient un obstacle. Le paiement différé permet de le franchir. S’agissant de ce projet en particulier, nous aurions pu envisager de le financer de manière classique, son coût étant relativement faible, de l’ordre de 1,5M€. Mais nous le voyons comme une expérimentation : d’une part sur le plan technique avec l’utilisation de la géothermie, d’autre part sur le véhicule juridique avec le recours au MGPE-PD. Nous avons vocation à étendre le dispositif sur d’autres bâtiments de la Ville et de la métropole d’Orléans : une centaine pourraient être concernés à l’avenir.

Olivier Ortega : Plusieurs points font la force du MGPE-PD. En particulier, la collectivité conserve le contrôle car elle demeure maître d’ouvrage, contrairement au marché de partenariat qui est l’autre contrat de la commande publique autorisant le paiement différé. Ensuite il permet d’assigner au cocontractant des objectifs de performance énergétique sur lesquels la personne publique va disposer d’une assiette de garantie plus importante que dans un MGPE de droit commun. Elle peut agir à la fois sur le prix d’exploitation mais aussi sur le prix correspondant au remboursement de l’investissement préfinancé par le titulaire.

Ces objectifs de performance sont-ils déjà fixés ?

La rénovation énergétique apparaît comme l’une des rares sources d'économie des dépenses de fonctionne-ment pour les collectivités.

—  Serge Grouard

S.G. : Oui, nous avons prévu deux engagements pour le titulaire : un sur les économies d’énergie et l’autre sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’atteinte des objectifs doit permettre de diminuer les consommations d’énergie de 75% et les émissions de CO2 de 93%, par rapport à une situation de référence que nous avons définie.

Il faut préciser que les gains en matière d’émissions carbone sont en grande partie décorrélés des gains en matière de consommation énergétique. Ils sont avant tout liés à l’utilisation de la géothermie, qui est décarbonée. C’est une dimension primordiale car il me semble que la rénovation axée uniquement sur les économies d’énergie est difficile à mener d’un point de vue financier, notamment dans une optique de massification.

Dans ce modèle, si on veut atteindre des résultats intéressants, de l’ordre d’une baisse de 30 à 60% des consommations, cela implique des investissements colossaux, et l’effet sur les émissions de GES est limité au seul impact des économies d’énergie. Alors que se doter d’outils de production d’énergie décarbonée en circuit court coûte généralement moins cher pour une collectivité, surtout si c'est associé au modèle du paiement différé, et permet de réduire davantage les émissions carbone. 

O.O. : Le MGPE-PD permet réellement d’embarquer le sujet de la décarbonation dans la rénovation, ce qui est novateur. La performance ne se limite pas à la consommation d’énergie mais inclut également les émissions de GES. Ces deux aspects apparaissent clairement et distinctement dans le décret du 3 octobre 2023 qui définit le contenu des deux études à réaliser avant de recourir à un tel marché.

Quel est le montant prévisionnel du marché ?

O.O. : Il est d’environ 2M€, avec 1,5M€ correspondant au montant des investissements initiaux préfinancés par le titulaire. Le reste correspond au coût de l’exploitation, de la maintenance et du gros entretien et renouvellement. Le coût moyen pour la collectivité est de 200 000€ par an, lissé sur la durée du contrat. C’est un bon signal parce qu’aujourd’hui la rénovation énergétique est plutôt réfléchie avec des gros projets, comme si des marchés de plusieurs dizaines de millions d’euros permettaient d’aller plus vite. Mais le ticket entre 2 et 10M€ représente l’essentiel du marché, y compris dans les grandes collectivités qui font souvent des lots avec des logiques fonctionnelles. Ce marché doit démontrer que, même sur un projet de faible montant, il est possible d’être vertueux et efficace.

S.G. : Nous avons estimé les économies d’énergie à 43 000€ TTC par an, à coût constant, sur la base de l’engagement de consommations du titulaire. De plus le modèle permet aussi de dérisquer largement la collectivité sur le coût de l’énergie, avec un prix fixe, global et forfaitaire, indexé périodiquement. Or l’enjeu pour l’avenir dans les collectivités est la maîtrise des dépenses de fonctionnement. La rénovation énergétique apparait à cet égard comme l’une des rares sources de baisse des charges. Cela permet d’augmenter l’épargne et les intérêts, ce qui est intéressant dans un contexte de raréfaction des ressources publiques.

Ce marché doit démontrer que, même sur un projet de faible montant, il est possible d’être vertueux et efficace.

—  Olivier Ortega

Comment se déroule la préparation d'un MGPE-PD ? 

O.O. : S'agissant d'un contrat dérogatoire au droit commun des marchés publics qui prohibe le paiement différé, le recours au MGPE-PD est conditionné à la réalisation de deux études. Uneétude préalable de faisabilité [à télécharger en cliquant ici, NDLR], pour laquelle le cabinet Lexcity a assisté la Ville, qui vise notamment à démontrer l'intérêt d'utiliser ce type de marché par rapport aux autres contrats de la commande publique. Elle est remise pour avis à Fin Infra, la Mission d'accompagnement au financement des infrastructures rattachée à la Direction générale du Trésor. Nous avons d'ailleurs accompagné le processus avec cet organisme. Il s'agissait aussi de son premier avis relatif à un MGPE-PD, les services en ont ainsi profité pour affiner leurs attentes. Le travail sur l'étude de faisabilité a débuté le 14 février 2024 et nous avons obtenu un avis favorable le 15 mars. 

S.G. : La seconde étude à réaliser est celle de soutenabilité budgétaire [à télécharger en cliquant ici, NDLR], pour établir que le MGPE-PD est supportable pour les finances de la Ville. Elle est transmise à la Direction régionale des finances publiques (DRFip), qui a nous également remis un avis favorable. Nous étions accompagné par le cabinet Partenaires Finances Locales. Je tiens à saluer la qualité des échanges avec les services de l'Etat (Fin Infra et DRFip), qui a permis que la procédure soit très fluide. Il faut cela soit le cas à l'avenir pour toutes les collectivités qui souhaitent recourir au MGPE-PD, notamment les plus petites. 

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