«Nous avons besoin de présentiel, sinon, l’esprit d’entreprise s’assèche», Jérôme Goze, La Fabrique de Bordeaux Métropole

Coup d’arrêt net pour les chantiers de la Fabrique de Bordeaux Métropole mi-mars, à l’annonce du confinement. La SPL a maintenu le travail administratif à distance, mais la crise sanitaire va générer des décalages dans les livraisons des logements — 1 150 étaient prévues cette année — et a nécessité de repousser certaines attributions de marchés. A ce jour, le retard accumulé ne peut être estimé et ne sera pas rattrapé au détriment de la sécurité.

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Jérôme Goze, directeur général délégué de la Fabrique de Bordeaux Métropole (La Fab)

Comment la Fabrique de la Métropole a-t-elle géré la mise en place du confinement ?

A la suite des annonces du gouvernement, les entreprises se sont retirées des chantiers. Nous avions six chantiers actifs : deux opérations Aménager Innover Redessiner Entreprendre (Aire) au Haillan et à Saint-Médard-en-Jalles et quatre chantiers Habiter, s’épanouir, 50 000 logements accessibles par nature au Bouscat, à Bègles, Villenave-d’Ornon, Eysines et Mérignac-Marne. Nous n’avons pas eu de contacts avec les entreprises jusqu’à la fin d’avril, si ce n’est le constat de leur retrait de nos chantiers. Nous avons maintenu nos interventions liées à l’entretien.

La communication avec les entreprises a-t-elle été apaisée au moment de l’arrêt des chantiers ?

Du jour au lendemain, ça s’est arrêté. C’est toute la chaîne qui a été figée, y compris les maîtrises d’œuvre. Quand ces maîtrises d’œuvre sont éclatées et ont les mêmes préoccupations qu’un citoyen lambda, ça allonge le temps de la discussion sur l’avancée des chantiers ou leur suspension. Il n’y a pas eu d’arrêts de chantier, mais des suspensions.

« Le guide de l’OPPBTP n’a pas été totalement reconnu par différentes fédérations »

Comment s’est passé le retour sur les chantiers ?

Le guide de l’OPPBTP a mis les grands principes sur la table, mais il n’a pas été totalement reconnu par différentes fédérations (aménageurs, entreprises publiques ou promoteurs immobiliers), en raison du rôle qu’il conférait aux maîtres d’ouvrage. Il y a une réflexion et des allers-retours au sujet des responsabilités de chacun : entreprises, maître d’œuvre et maître d’ouvrage. Tout le monde avait envie de reprendre. Nous avons bien déterminé les rôles et les périmètres. Le rôle de nos coordonnateurs SPS est monté en charge. Nous avons adapté les dispositifs en fonction de nos connaissances. Je salue l’intelligence collective qui vise le même enjeu : sortir des logements. Trois semaines avant la fin du confinement, nous avons relancé la machine, travaillé sur les conditions de relance. Cela relève d’un travail d’écriture minutieux et beaucoup d’échanges entre MOE, MOA et entreprises pour voir à quelles conditions on pouvait intervenir et les impacts sur le chantier. Le nouvel ordonnancement engendre un allongement du chantier.

Êtes-vous en mesure d’estimer les impacts financiers ou sur les délais ?

Non, nous découvrons encore des organisations de chantier car celles imaginées initialement nous freinent fortement. On doit bien évaluer les temps d’intervention pour faire en sorte que nous ayons le moins de coactivité possible, voire pas de coactivité du tout. Par ailleurs, d’autres paramètres engendrent du retard : il a beaucoup plu et nous avons assisté à la réinstallation d’une biodiversité pendant cette période. Cela nécessite beaucoup d’attention car des secteurs ont été recolonisés. Ces questions n’avaient pas été anticipées. Une opération sur la ZAC de Carès Cantinolle à Eysines doit d’ailleurs réinterroger la commission nationale du patrimoine naturel.

« Dans nos métiers d’aménageurs, il y a énormément d’informel et d’échange d’informations à la machine à café »

De quelle manière s’est poursuivi le travail administratif ?

Le télétravail ayant été mis en place fin 2015 à "la Fab'', tout le monde était déjà équipé et avait accès au réseau. Du coup, nous avons eu une continuité de productivité de cahiers des charges, de marchés et de facturations. La directrice financière et moi étions tous les deux présents pour signer les engagements. Nous n’avons pas eu de baisse d’activité à ce niveau-là. Les autres personnes de l’équipe ont travaillé pendant deux mois 100 % en télétravail. Je trouve cela intéressant quand nous avons des procédures, un cadre, c’est efficace, même plus productif qu’en présentiel. En revanche, dans nos métiers d’aménageurs, il y a énormément d’informel et d’échange d’informations à la machine à café et là, nous avons une perte sèche en termes d’innovation, de créativité. Nous avons besoin de présentiel, sinon, l’esprit d’entreprise s’assèche et on ne bénéficie plus de toute cette intelligence collective. Aujourd’hui, nous avons deux jours de présence à la Fab, j’ai nommé un coordonnateur qui a fixé les conditions de reprise.

Comment avez-vous géré les consultations ?

Nous avons dû décaler les commissions d’appels d’offres avec les élus pour l’AMI Aire (phase 2) et certaines consultations car des candidats ne pouvaient pas travailler, cela entraînait une rupture d’égalité de traitement. Le calendrier de remise d’offre final pour Aire a été décalé au printemps 2021, au lieu de novembre initialement. Même chose pour les remises d’offres de l’îlot 7 sur la ZAC du Haillan Cœur de ville au Haillan, décalée d’un mois.

Quelle conséquence aura eu la suspension d’instruction des permis de construire ?

Cela a généré du retard. Mais au vu des élections qui ont flotté sur cette période, il n’y avait de toute façon pas de prises de décision. Maintenant, il faut voir comment l’administration va traiter cette masse de permis de construire. Je ne peux pas savoir le retard que cela va générer, mais il y aura des décalages dans les livraisons, c’est certain. Nous avions des PC pour plus de 1 000 logements en préparation et plus de 260 PC déposés. Aujourd’hui, je constate que l’instruction a repris, mais ça ne peut pas être accéléré. Le process est déjà tendu. Toutes les collectivités ne sont pas sur des projets de numérisation, on y viendra.

« Il ne s’agit pas de dégrader la manière de produire le logement pour accélérer les délais »

1 150 logements de l’opération Habiter, s’épanouir, 50 000 logements accessibles par nature devaient être livrés en 2020 et tous ne pourront pas l’être. Pensez-vous déjà au rattrapage du retard ?

Ma préoccupation porte plus sur le fait d’être en conformité avec les prescriptions de la haute autorité de santé. Ma question est : « est-ce que les gens sont en sécurité sur les chantiers ? » J’entends bien le besoin d’accélération des délais pour sortir les logements, mais aujourd’hui la question centrale porte sur la sécurité de nos chantiers car cela relève de notre responsabilité de maître d’ouvrage. Il ne s’agit pas de dégrader la manière de produire le logement pour accélérer les délais. Nous avons une exigence de qualité. C’est difficile de livrer avec du retard, mais la situation est exceptionnelle. Il y aura des délais qui dérapent, mais on ne transigera pas sur la sécurité des chantiers. Mais si nous avons possibilité de perdre moins de temps, je reste preneur.

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