Avec un arrêt rendu l'été dernier (, tables du Recueil), le Conseil d'Etat a enrichi sa jurisprudence relative aux vices du consentement affectant la validité d'un contrat public dans le cadre d'un recours en contestation de sa validité - dit recours « Tarn-et-Garonne ». En l'espèce, un préfet avait engagé un déféré contestant la validité d'un marché public de fournitures, en soulevant notamment le fait que la collectivité avait appliqué une méthode de notation des offres différente de celle annoncée par le règlement de la consultation.
Vices justifiant - ou non - l'annulation. La cour administrative d'appel (CAA) de Marseille a considéré que ce changement de méthode de notation avait conduit à inverser les résultats de l'analyse, et donc « affecté les conditions dans lesquelles la personne publique a exprimé son consentement ». Et que cela justifiait l'annulation rétroactive du marché.
Cette appréciation a été censurée par le Conseil d'Etat. Comme le développe le rapporteur public Gilles Pellissier dans ses conclusions, seuls trois types de vices peuvent conduire à l'annulation d'un contrat. Or, l'irrégularité constatée ici n'entre dans aucune de ces hypothèses :
- elle ne relève pas d'une illicéité du contenu du contrat, strictement cantonnée au cas d'un contrat dont l'objet est contraire à la loi ;
- elle ne correspond pas davantage à un vice d'une particulière gravité, lequel ne peut pas être lié à la méconnaissance des règles de passation (réserve faite de la conclusion du contrat dans des conditions frauduleuses []) ;
- elle ne constitue pas plus un vice du consentement, contrairement à ce qu'estimait la CAA.
Cette dernière notion renvoie en effet à deux situations. D'une part, il y a vice du consentement dans les trois hypothèses civilistes que sont l'erreur, le dol et la violence, lesquelles supposent une manœuvre émanant du candidat. Cela ne peut donc pas s'appliquer à un manquement commis par l'acheteur public lui-même. D'autre part, vicient le consentement les illégalités les plus graves affectant la compétence du signataire du contrat. Ne peuvent être regardés comme tels les manquements à la transparence en cours de procédure.
La modification irrégulière d'une méthode de notation ne relève donc d'aucune hypothèse d'annulation du contrat, et notamment pas d'un vice du consentement, retenu par erreur par le juge d'appel. Le Conseil d'Etat renvoie donc l'affaire à la cour administrative d'appel qui devra adopter une autre sanction, appropriée à l'irrégularité commise.
Sanction envisageable. Si l'annulation, issue la plus sévère, ne saurait donc être appliquée, une telle irrégularité devrait toutefois être vraisemblablement sanctionnée, dès lors qu'un tel vice ne peut être régularisé a posteriori (). C'est ainsi que la cour de Nancy, saisie d'une méthode de notation irrégulière, a récemment validé la résiliation immédiate du marché, c'est-à-dire sa disparition pour l'avenir ().
Cette sanction paraît effectivement la plus probable face à une irrégularité telle que celle analysée ici, qui a eu un impact sur le classement final des offres. Le caractère immédiat ou différé de la résiliation dépend en revanche d'une appréciation au cas par cas, en fonction de l'atteinte éventuelle portée à l'intérêt général (). En outre, le concurrent qui aurait dû remporter la procédure par application de la méthode originellement annoncée pourrait solliciter l'indemnisation du préjudice résultant de son éviction irrégulière (, Recueil).
En conclusion, l'arrêt commenté n'offre pas plus de latitude qu'avant aux acheteurs publics pour modifier la méthode de notation annoncée initialement. Une telle irrégularité sera en effet sanctionnée, a priori par une résiliation du contrat. Or, il est fréquent qu'en cours de procédure, la méthode de notation annoncée ne se révèle pas parfaitement adaptée. Afin de ne pas courir de risque, il nous semble donc largement préférable de ne pas annoncer dans les documents de la consultation la méthode de notation, puisque cela n'est pas obligatoire (, tables du Recueil ; ).