"Ne privons pas les marchés de partenariat de leur intérêt !", Bruno Cavagné, président de la FNTP

Le président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) fait le point pour Le Moniteur sur l'ordonnance du 23 juillet réformant les marchés publics. Si le texte comprend selon lui des mesures positives (allotissement, cycle de vie,...) pour la profession, il en déplore certaines, comme la réintroduction du seuil plancher de recours aux marchés de partenariat.

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Bruno Cavagné, président de la FNTP

Comment appréciez- vous la réforme des marchés publics ?

Bruno Cavagné : Nous reconnaissons à Emmanuel Macron la volonté d’avancer sur ce sujet. Mais nous restons vigilants car, sur les marchés de partenariat, il nous avait annoncé la suppression du seuil  de prohibition. Il y avait effectivement une fragilité juridique par rapport à la loi d’habilitation. Le seuil a été réintroduit. Par ailleurs, la compilation de l’ensemble des textes en un seul n’est pas nécessairement gage de simplification. Mais un certain nombre de mesures, comme l’allotissement, le cycle de vie, les offres anormalement basses, sont positives.

Pourquoi craignez-vous que le seuil dans les marchés de partenariat ne devienne une « usine à gaz » ?

B.C : Nous ne critiquons pas la réforme mais nous craignons que cela soit compliqué. La formule de l’ordonnance est alambiquée. Il y aura plusieurs seuils, qui seront notamment appréhendés en fonction du risque pour l’acheteur. Le plus simple serait de fixer des seuils par taille de collectivités. Nous serons vigilants pour arriver à une formule qui ne soit pas rédhibitoire pendant la consultation publique sur le décret. Il ne faut pas perdre de vue que les PPP  sont conformes à la logique du plan Juncker, qui repose largement sur les financements privés. Gardons cet outil, ne le privons pas de son intérêt a priori, en le soumettant à des seuils qui ne vont pas permettre de nous en servir. En éclairage public, nous avons des PPP à deux ou trois millions d’euros. S’il y a un seuil à quinze millions d’euros, de fait on élimine les partenariats. L’encadrement des marchés de partenariat est déjà très strict avec l’évaluation préalable (qui est une bonne chose), le bilan plus favorable et la soutenabilité budgétaire. Pour nous le seuil est superflu.

Comment accueillez-vous l’apparition de la procédure concurrentielle avec négociation ?

B.C : Elle ne change rien pour nous par rapport aux conditions actuelles de négociation dans les marchés qui sont en grande majorité des marchés à procédure adaptée dans les travaux publics. La négociation est déjà très utilisée et tourne malheureusement essentiellement autour du prix. Pouvoir négocier jusqu’à cinq millions d’euros était la fausse bonne idée. Cela d’autant qu’actuellement, les demandes de rabais, les pénalités pour toutes raisons se multiplient.

La concurrence entre le privé et le public vous inquiète. Pourquoi ?

B.C : La réforme territoriale pousse à la mutualisation des services, positive dans son principe, mais qui risque de conduire à des services avec beaucoup d’effectifs. L’ordonnance marchés publics, qui transpose littéralement les directives, renforce les quasi-régies (prestations In house) et la mutualisation. Celles-ci vont pouvoir intervenir sur le marché privé à hauteur de 20% de leurs activités. Mais nous n’avons aucune indication sur la façon dont ce seuil va être contrôlé et sanctionné. Il ne faut pas que ces regroupements et « marchés réservés » soient la fausse bonne idée qui exclut les entreprises de travaux publics pour des motifs qui n’ont rien à voir avec la rationalité des choix de gestion et le bon usage des fonds publics.

D’autant que côté marchés, vous souffrez déjà beaucoup…

B.C : Oui, et notre vrai cheval de bataille aujourd’hui est le niveau d’activités. Il faut arriver à endiguer la baisse. Au-delà de la réforme de la commande publique, il faut que l’on sache où l’on va. Le niveau d’activité [de nos entreprises] est à quasiment moins 12% sur les cinq premiers mois. Et en dehors du plan de relance autoroutier, dont les premiers appels d’offres devraient être lancés en septembre, nous n’avons toujours aucune visibilité sur l’avenir, même à court terme.

Vous avez rencontré le ministre du budget Christian Eckert le 29 juillet. Vous a-t-il laissé entrevoir des perspectives positives ?

B.C : Le ministre du budget m’ a assuré que le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) serait au même niveau qu’en 2014 (1,9 milliard d’euros). Mais les arbitrages n’ont pas encore été rendus. Et quand bien même le budget serait maintenu à ce niveau, il ne sera pas suffisant pour financer l’ensemble des projets annoncés, que ce soit ceux des contrats de plan Etat-Régions, l’entretien du réseau routier national ou ferroviaire et des grands projets comme le Canal Seine Nord. La France doit se donner les moyens de ses ambitions, et c’est pourquoi j’ai encore l’espoir que le président de la République ou le Premier ministre décident in fine d’étoffer le budget de l’Afitf. Par ailleurs, on devrait en savoir plus en septembre sur le fonds d’un milliard d’euros dédié aux investissements des communes qu’avait proposé Manuel Valls à l’Association des maires de France en mai dernier. Cela pourrait donner de l’air aux entreprises. Car aujourd’hui, nous nous enfonçons toujours un peu plus dans la crise : les défaillances d’entreprises ont augmenté de 19% sur les cinq premiers mois. C’est très inquiétant.

Sur ce point de la défaillance des entreprises, l’ordonnance apporte-t-elle un changement ?

B.C : Pour nous, l’accès des PME à la commande publique se pose davantage en termes de trésorerie et de capacités financières des entreprises. L’ordonnance sur les marchés publics n’a aucun impact sur les défaillances d’entreprises. Raison pour laquelle, nous souhaitons que le décret renforce les règles en matière de soutien à la trésorerie des entreprises, notamment en termes d’avances obligatoires qui pourraient être augmentées de 5% à 10%. Il y a d’autres choses simples à mettre en place telles que le fléchage des aides à la trésorerie de la BPI.

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