Je réponds au courrier des lecteurs intitulé "Cité des Courtillères à Pantin : le point de vue d'un habitant" publié sur votre site le 24 octobre et signé Dominique Mangematin.
Monsieur, en lisant votre article, on ne peut qu'être touché par votre témoignage et comprendre votre exaspération, sur un sujet sensible et dont je ne doute pas qu'elle soit justifiée, sur un sujet dont je ne suis pas partie prenante. Toutefois votre message aurait eu plus de pertinence s'il ne faisait pas de la profession d'architecte le bouc émissaire de votre plaidoyer. Non, les architectes n'habitent généralement pas les immeubles qu'ils construisent, pas plus que les maçons, les charpentiers, les promoteurs ou les maîtres d'ouvrage institutionnels : et alors ? L'architecte qui a construit votre cité en 1959 l'a fait dans un autre contexte de société, le mieux qu'il l'a pu dans son temps. Il est mort depuis, paix à son âme.
Certains défendent cette œuvre, qui est effectivement originale dans la production de l'époque.
Pourquoi n'en auraient-ils pas le droit ? Si l'on croit à la démocratie délibérative, ils ont aussi droit à la parole, qu'ils soient architectes ou non : mais n'en tirez pas des conclusions hâtives sur toute une profession. Que vous soyez d'accord avec eux ou non, ils le font sans haine. Tout parti esthétique est discutable et il n'y a pas de vérité normalisée en la matière.
Vous dites que cette "cité n'a pas été entretenue pendant plus de 40 ans" et que plus rien n'est aux normes, que les jardins ne sont pas entretenus, que la pelouse n'est pas tondue, qu'il y a des nids de poule. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une responsabilité de l'architecte ? Pensez-vous sérieusement qu'en 1959 la mise en place de poubelles par l'architecte aurait résolu les problèmes qui se posent 50 ans plus tard ? Pensez-vous qu'en 1959 l'architecte aurait pu anticiper les normes des décennies suivantes ?
Ne faites pas des architectes d'aujourd'hui les boucs émissaires de la mauvaise gestion d'un quartier de plus de 40 ans. Tournez les pages du Moniteur et vous constaterez que les réalisations présentées doivent beaucoup au travail des architectes, le plus généralement à leur honneur. Sachez qu'ils sont mobilisés aussi pour faire reconnaître à leur niveau l'importance de la parole du citoyen : ce combat est le vôtre, il est aussi celui des architectes au travers de la remise annuelle du Prix du Projet Citoyen à des projets exemplaires qui ont su faire la place aux Maîtres d'usage.
Je lis sur le site du CEDIDELP à propos de la concertation dans votre quartier : "Le projet de réhabilitation a fait l’objet d’une concertation mais, peu familiers de la prise de parole, les résidents se sont peu mobilisés. D’ailleurs, les réunions étaient plutôt dirigistes ("des monologues de l’office", se rappelle-t-on), dans la mesure où les choix décisifs étaient déjà arrêtés ("les espaces verts ont été refaits sans concertation, sans réflexion sur le passage des gens... il n’y a pas d’aires de jeux pour les gosses". Cependant, même avec un dialogue mal instauré, l’amicale des locataires a parfois eu gain de cause". Beaucoup reste à faire pour que chacun parvienne à ne plus se défier de l'autre : là est l'espace de combat.
La fin de votre lettre est plus crédible : vous demandez légitimement aux intellectuels qui s'expriment de le faire dans le quartier. Je souhaite que vous y parveniez et qu'ils puissent dialoguer avec vous des sujets concrets. Et que le mépris et l'ignorance disparaissent.
Dominique Jouffroy, architecte à Dijon et responsable de l'organisation du Prix du Projet Citoyen remis annuellement depuis 2001 par l'UNSFA.