Que vous inspirent les propos récemment tenus par la ministre du Travail, qui reproche aux organisations patronales de faire pression sur les branches afin de les empêcher de publier les référentiels « métier » sur la pénibilité ?
Alexia Alart Mantione : Au-delà de ces considérations politiques, il est certain que l’attente est grande sur le terrain pour les employeurs, qui se sentent démunis. Les référentiels représenteraient en effet un moule dans lequel ils pourraient couler les salariés selon le poste occupé, plutôt que de devoir évaluer seuls les facteurs de pénibilité. Homologués par le ministère du Travail et opposables aux travailleurs, ils sont en outre censés constituer un gage de sécurité juridique.
Les employeurs, et notamment ceux du BTP, ont pu, en juillet dernier, alors que les référentiels n’étaient pas prêts, escompter un nouveau report de l’application du compte pénibilité. Avec l’espoir sous-jacent de le voir ensuite supprimé à la faveur des élections présidentielles. Mais dans un contexte politique de tension avec la loi « travail », le gouvernement est resté sur sa position. Aussi, pour l’heure, il s’agit bien d’appliquer la loi.
Tout d’abord, dès le 1er janvier prochain, les employeurs seront redevables d’une cotisation solidaire qui s’élève à 0,01 % de la masse salariale. S’y ajoutera, le cas échéant, une cotisation spécifique, assise sur la seule rémunération des salariés exposés à la pénibilité au-delà des seuils, de 0,10 % pour l’année 2016, et de 0,20% à compter de l’année 2017 pour une exposition à un seul facteur (le double en cas de pluri exposition) . Mais les entreprises sont surtout censées avoir commencé le travail d'identification de la pénibilité pour leurs salariés.
Quelle est, à ce titre, la marche à suivre pour les employeurs du BTP ?
A.A.M. : Il s’agit tout d’abord de mettre à jour son document unique. Une obligation qui s’impose aux employeurs une fois par an, voire davantage en cas de modification des conditions de travail (extension d’activité ou déménagement par exemple). Rappelons à cet égard que le document unique est un outil vivant, qui n’a donc pas vocation à prendre la poussière en haut d’une armoire. Il permet en effet, pour partie, de démontrer la mise en œuvre d’une politique santé et sécurité dynamique dans l’entreprise.
Les employeurs sont désormais tenus d'établir un pré-diagnostic pénibilité dans leur document unique, afin d'identifier les facteurs de pénibilité potentiellement présents dans l'entreprise. Une fois ce travail effectué, il faut déterminer pour chaque facteur relevé, si pour certains salariés, les niveaux d’exposition dépassent les seuils (auquel cas, le facteur de pénibilité n'est plus potentiellement, mais véritablement présent). Rappelons qu’il ne s’agit pas d’une mesure d’ordre absolu : les mesures de protection individuelles et collectives doivent être prises en compte avant confrontation avec les seuils concernés.
Les facteurs avérés de pénibilité doivent être mentionnés, salarié par salarié, via la déclaration annuelle des salaires (DADS) ou la déclaration sociale nominative (DSN).
Mais vous n’êtes pas sans savoir que c’est précisément cette phase d’évaluation qui relève du casse-tête pour les entrepreneurs du BTP ?
A.A.M. : Cette phase représente en effet un travail important, qui n’est pas forcément accessible aux employeurs. Les référentiels leur auraient, sans conteste, rendu service. Reste néanmoins que si un employeur s’est trompé dans le cadre de l’évaluation de la pénibilité, il aura jusqu’au mois d’avril 2017 pour rectifier sa déclaration. En pratique, s’il ne se sent pas en état de donner des éléments, il a donc jusqu’au 5 ou au15 avril 2017 pour corriger une déclaration qui ne comporterait aucun facteur de pénibilité (un délai de trois ans s’applique aux corrections en faveur du salarié)… Dans l’espoir qu’entre temps, les référentiels arrivent, voire que le dispositif ne soit jamais pérennisé à la suite des élections présidentielles !
Que risque un employeur rétif à se mettre en conformité avec ses obligations ?
A.A.M. : En cas d’absence de mise à jour du document unique, l’employeur encourt une amende de 1500 euros même si, dans les faits, il lui est laissé un mois pour se mettre en conformité avec ses obligations. L’amende est toutefois doublée si l’entreprise continue à refuser de jouer le jeu.
Les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) peuvent en outre déclencher un contrôle. En effet, dans certains secteurs comme celui du BTP, elles pourraient s’étonner de ne voir apparaître aucune mention liée aux facteurs de pénibilité sur la déclaration annuelle des salaires. En cas de défaut de déclaration, l’employeur risque le paiement d’une amende d’un montant égal, par salarié, à la moitié du montant du plafond mensuel de la Sécurité sociale (soit 1609 euros pour cette année). En pratique, le risque n’est pas nul, même s’il est mesuré : tout dépend de la capacité de la Carsat à mener ce type de contrôle.
Autre enjeu : le défaut de mise à disposition du pré-diagnostic pénibilité aux représentants du personnel - qui doivent avoir accès au document unique- peut relever du délit d’entrave.
Comment communiquer auprès des salariés ?
A.A.M. : Les salariés travaillant dans le BTP sont, pour beaucoup, dans l’attente de connaître le nombre de points qui leur seront octroyés au titre des facteurs de pénibilité auxquels ils sont exposés. Mais certains risquent des déconvenues au premier trimestre 2017 au moment de la consultation de leur compte. C’est ce qui s’est produit l’année dernière au titre du travail de nuit. Certains salariés concernés par ce type d’organisation du travail se figuraient obtenir obligatoirement des points de ce fait, alors qu’ils ne remplissaient pas toutes les conditions : travailler 120 nuits par an, avec -pour chaque nuit- une heure de travail au moins entre minuit et cinq heures du matin. On peut ainsi recommander aux employeurs une démarche pédagogique auprès de leurs salariés : qui dit présence d'un facteur de pénibilité (exemple la manutention manuelle de charges) ne dit pas obligatoirement réalité de la pénibilité (via le dépassement des seuils réglementaires).