Saisi à trois reprises - les 11, 15 et 18 juillet – par plus de 180 parlementaires, de la conformité à la Constitution de la loi dite Duplomb visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (définitivement adoptée le 8 juillet dernier), le Conseil constitutionnel a censuré partiellement le texte ce 7 juillet 2025. Notamment la disposition la plus controversée qui prévoyait la réintroduction sous conditions de l'acétamipride, un pesticide interdit de la famille des néonicotinoïdes.
En revanche, il a validé l’article 5 de la loi qui tend à faciliter la construction d'ouvrages de stockage d'eau à finalité agricole (comme les mégabassines), en émettant toutefois deux réserves d’interprétation (*).
(*) Une réserve d’interprétation permet de valider une disposition qui, sans le respect de cette réserve, devrait être censurée. Elle s'impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
(Source : Conseil constitutionnel)
Intérêt général majeur et RIIPM
Cet article 5 insère un article L. 211-1-2 au Code de l’environnement qui prévoit que certains ouvrages de stockage d’eau et les prélèvements sur les eaux associés sont présumés d’intérêt général majeur. Cette présomption vise à permettre aux porteurs de projet de bénéficier de dérogations aux objectifs de qualité et de quantité des eaux prévus par l’article L. 212-1 dudit Code.
Cet article 5 introduit également un nouvel article L. 411-2-2 au sein du même code prévoyant que ces mêmes ouvrages et prélèvements sont présumés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) de nature à justifier la délivrance d’une dérogation aux interdictions de porter atteinte à des espèces protégées ainsi qu’à leurs habitats.
Atteinte à l’environnement, certes…
Les députés et sénateurs requérants soutenaient que ces dispositions méconnaissaient entre autres le droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et des exigences découlant des articles 1er (droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé), 3 (principe de prévention) et 5 (principe de précaution) de la Charte de l’environnement, « compte tenu des effets nocifs que ces ouvrages peuvent avoir sur la ressource en eau, sur les espèces protégées et sur leurs habitats. »
Ils estimaient également « qu’en restreignant excessivement la possibilité pour le public de débattre sur le caractère d’intérêt général majeur ou la [RIIPM] d’un projet de stockage d’eau », ces dispositions méconnaîtraient le droit à l’information et la participation du public (art. 7 de la Charte de l’environnement).
… mais préservation de la production agricole oblige
Les Sages de la rue de Montpensier admettent que la réalisation de ces ouvrages et des prélèvements associés est susceptible de porter atteinte à l’environnement en raison de leurs incidences sur la ressource en eau et la biodiversité. Néanmoins, le législateur a poursuivi un but d’intérêt général, à savoir « préserver la production agricole dans des zones soumises à un déficit quantitatif pérenne d’eau susceptible d’affecter la capacité de production ».
Présomptions encadrées
Ils relèvent également que le législateur a bien encadré le dispositif :
- les présomptions sont réservées aux ouvrages et prélèvements situés dans des zones affectées d’un déficit quantitatif pérenne d’eau compromettant le potentiel de production agricole,
- elles ne s’appliquent que s’il y a eu une démarche territoriale concertée sur la répartition de la ressource en eau,
- les projets doivent s’accompagner d’un engagement des usagers dans des pratiques sobres en eau et concourir à un accès à l’eau pour tous les usagers.
Conformité sous conditions
Pour autant, pour exclure toute méconnaissance du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, le Conseil constitutionnel formule deux réserves d’interprétation :
- ces nouvelles dispositions ne sauraient être interprétées comme permettant la réalisation de prélèvements au sein de nappes inertielles - qui se vident ou se remplissent lentement,
- les présomptions instituées doivent être « réfragables », c’est-à-dire qu’elles doivent pouvoir être contestées devant un juge.
De surcroît, le Conseil rappelle utilement que la présomption ne dispense pas les projets concernés du respect des autres conditions prévues pour la délivrance d’une dérogation espèces protégées : absence d’autre solution satisfaisante et absence de nuisance au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle (art. L. 411-2 du Code de l’environnement).
Autres dispositions validées
Les Sages ont validé sans réserve des dispositions très attendues par certains agriculteurs facilitant l'agrandissement ou la construction de bâtiments d'élevages de bovins, porcs ou de volailles :
- l’article 3 I 1° qui modifie les modalités de consultation du public afin de définir des modalités particulières de recueil des contributions du public pour certains projets soumis à autorisation environnementale (art. L. 181-10-1 du Code de l’environnement),
- l’article 3 I 2° b qui modifie l’article L. 512-7 du Code de l’environnement relatif aux ICPE pour prévoir que certaines installations d’élevage peuvent être soumises à enregistrement plutôt qu’à autorisation,
- l’article 3 III qui vise à faciliter, pour certaines installations, la modification de la nomenclature ICPE. Cet article dispose que le principe de non-régression ne s’oppose pas, en ce qui concerne les élevages bovins, porcins et avicoles, au relèvement des seuils de la nomenclature.
CC, décision n° 2025-891 du 7 août 2025