Par un arrêt du 11 octobre 2021, le Conseil d’Etat admet dans un considérant de principe inédit que « le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat […] Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage ».
La société requérante était, en l’espèce, titulaire du lot « gros œuvre » d’un marché de travaux passé par une commune et un établissement public foncier en vue de réaliser un pôle éducatif et familial d’un lotissement. Estimant que le retard de huit semaines pris par un autre constructeur pour mener à bien les travaux du lot « charpente » lui a fait prendre du retard sur l’exécution de son propre lot, elle demande au juge administratif de condamner cet autre constructeur à des dommages-intérêts, en raison des frais engendrés par ce retard. L’affaire est portée devant le Conseil d’Etat, après rejet de la demande en réparation en première instance et en appel.
La mise en jeu d’une responsabilité quasi-délictuelle
Le constructeur qui a « commis des fautes [ayant] contribué à l'inexécution des obligations contractuelles [d’un autre constructeur] à l'égard du maître d'ouvrage » peut voir sa responsabilité quasi-délictuelle engagée. Il n’est pas nécessaire que ces deux constructeurs soient liés entre eux par un contrat. Et le titulaire d’un marché public peut obtenir réparation de son préjudice, malgré l’absence de faute commise par le maître d’ouvrage.
Cette décision de la haute juridiction administrative est dans la lignée de sa jurisprudence « Région Haute-Normandie » (CE, 5 juin 2013, n° 352917, mentionné dans les tables du Recueil) qui a mis fin à ce que beaucoup ont appelé le « guichet unique » de responsabilité : le maître d’ouvrage n’a pas à être automatiquement responsable des fautes commises par les autres titulaires du marché.
Les fautes invocables
Si, en principe, le tiers à un contrat administratif ne peut aucunement se prévaloir de ses stipulations (CE, 30 juillet 2003, n° 233172, mentionné dans les Tables), le Conseil d’Etat ouvre ici la possibilité au titulaire d’un marché public de travaux d’invoquer, en réparation du préjudice financier subi du fait du retard dans la réalisation du lot qui lui a été attribué, la méconnaissance des obligations contractuelles incombant à l’autre constructeur. La qualité de tiers n’a aucune incidence sur la demande en réparation.
Les juges précisent que la société requérante n’a pas à se limiter « à la violation [par l’autre constructeur] des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires » mais peut également alléguer, comme c’est le cas en l’espèce, du non-respect par ce dernier des délais d’exécution prévus dans la réalisation de son lot.