Marchés publics : quels niveaux de garantie pour l'assurance RC facultative ?

Les acheteurs stipulent rarement les montants exigés, mais le CCAG travaux 2021 devrait davantage sécuriser leurs pratiques.

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En matière d'assurance obligatoire de responsabilité civile (RC) décennale, les polices d'assurance souscrites par les constructeurs peuvent prévoir des plafonds de garantie ainsi que l'admet l'article L. 243-9 du Code des assurances (C. ass.). Cependant, le montant assuré pour l'ouvrage considéré ne saurait être inférieur « au coût total de construction déclaré par le maître de l'ouvrage, ou à 150 millions d'euros si ce coût est supérieur à 150 millions d'euros », en vertu de l'article R. 243-3 du même code.

Ce niveau de garantie - que le constructeur doit pouvoir justifier à l'ouverture du chantier - ne peut être revu à la baisse par une clause limitative de responsabilité. Celle-ci serait, en application de l'article 1792-5 du Code civil, réputée non écrite. Le plafond (Cass. 2e civ., 22 février 2007, n° 06-10.125) comme la franchise (annexe I à l'article A. 243-1 du C. ass.) éventuellement prévus ne peuvent pas, en tout état de cause, être opposés par l'assureur au tiers lésé et donc, le cas échéant, au maître d'ouvrage public.

La RC hors décennale et ses applications

Rien de tel en matière de RC hors décennale : son assurance, facultative, ne fait l'objet d'aucun encadrement spécifique, si ce n'est celui issu du droit commun des assurances et celui prévu, le cas échéant, par le contrat. Cette liberté n'est pas sans poser de difficultés en matière de marchés publics de travaux.

Avant et après la réception. L'enjeu n'est pourtant pas des moindres. Du fait de son caractère résiduel, cette responsabilité et la police d'assurance la garantissant ont vocation à être mobilisées non seulement au stade de l'exécution des travaux, mais aussi postérieurement à leur réception, pour les désordres qui ne seraient pas couverts par la garantie de bon fonctionnement et la garantie décennale. Tel est le cas des sinistres survenus en cours de chantier et des dommages apparents réservés au moment de la réception et de leurs conséquences matérielles et immatérielles. Ou encore des préjudices immatériels résultant d'un désordre de nature décennale (tels que la perte ou le trouble de la jouissance du bien immobilier) qui ne sont pas compris dans le champ de l'assurance obligatoire (Cass. 3e civ., 5 mars 2020, n° 18-15.164) en dépit du principe de réparation intégrale résultant de l'article 1792 du Code civil (Cass. 3e civ., 15 février 2024, n° 22-23.179).

Exclusion en droit public des dommages intermédiaires. En revanche, le Conseil d'Etat refuse de faire application, en matière de marchés publics, de la théorie des dommages intermédiaires mise en œuvre par les juges judiciaires dans les marchés privés. Cette théorie, selon laquelle relèvent pendant dix ans de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs les désordres apparus postérieurement à la réception qui ne sont pas de nature décennale, ne joue pas à ce jour en droit public, limitant ainsi le champ de la RC et de son assurance (CE, 11 décembre 2013, n° 364311, mentionné aux Tables).

   En matière d'assurance de RC contractuelle, les franchises et surtout les plafonds sont opposables au maître d'ouvrage.

Des encadrements contractuels insuffisants jusqu'en 2021

Témoignant de l'étendue de cette mobilisation potentielle, il est d'usage de retrouver, dans les cahiers des clauses administratives particulières (CCAP) des marchés publics de travaux, une clause imposant au titulaire du contrat de souscrire une police d'assurance destinée à couvrir sa RC en cas de préjudices causés à des tiers, y compris le maître d'ouvrage, à la suite de tout dommage corporel, matériel et immatériel consécutif, du fait de l'opération en cours de réalisation ou après sa réception.

Un niveau de garantie souvent omis. Cependant, de manière proportionnellement inverse aux enjeux financiers en présence, les documents contractuels dans les marchés publics n'encadrent que trop rarement le niveau de ces garanties facultatives. En effet, si l'article 4.3 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) travaux 1976 exigeait une garantie « suffisante », l'article 9.1 du CCAG travaux 2009 - qui s'applique encore à de nombreux marchés lancés avant 2021 - prévoit seulement que « le titulaire doit contracter les assurances permettant de garantir sa responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage, du représentant du pouvoir adjudicateur et des tiers, victimes d'accidents ou de dommages, causés par l'exécution des prestations ».

Quant aux CCAP, ils ne sont bien souvent guère plus précis : rares sont les contrats dans lesquels des niveaux de garantie sont expressément stipulés par le maître d'ouvrage. Ces clauses sont pourtant fondamentales car, en matière d'assurance de RC contractuelle, les franchises (Cass. 1re civ., 25 février 1992, n° 89-12.138, publié au Bulletin) et surtout les plafonds (Cass. 1re civ., 12 mai 1993, n° 90-14.444, Bull.) sont opposables au maître d'ouvrage.

Des risques pour les deux parties. La liberté contractuelle régissant ces garanties n'est donc pas ici gage de sécurité. Si certains CCAP indiquent en effet que le titulaire fera son affaire personnelle d'une absence ou d'une insuffisance des garanties, c'est bien concrètement le maître d'ouvrage qui, in fine, pourrait se retrouver à devoir assumer le coût final de ces désordres, notamment pour le reliquat qui excéderait le plafond de garantie souscrit par le constructeur si celui-ci n'était pas solvable. Et en pratique, ce n'est généralement qu'au stade de la survenance du désordre que l'insuffisance de couverture se fait jour, puisque là encore, il n'est que rarement exigé du titulaire désigné qu'il transmette son attestation d'assurance de RC facultative avant la notification du marché (comme le relevait déjà une tribune publiée dans ces colonnes il y a presque vingt ans [1]).

Cette situation aboutit inévitablement à un dénouement malheureux tant pour le maître d'ouvrage qui risque de ne pas être intégralement indemnisé du préjudice subi que pour le constructeur défaillant qui, en l'absence d'une couverture assurantielle adaptée, se trouve contraint d'indemniser le maître d'ouvrage à ses frais sans l'avoir véritablement anticipé.

Le nouveau CCAG change la donne

Ce risque est cependant en passe d'être mieux maîtrisé, grâce au CCAG travaux 2021. Son article 8.1.1 est venu préciser, au sujet de l'assurance de RC professionnelle, que « le niveau des garanties exigées par le maître d'ouvrage est adapté aux risques relatifs à l'opération de construction objet du marché ». Cette rédaction induit que le maître d'ouvrage définisse au stade de la consultation des entreprises des minima de garantie afin, justement, de ne pas se voir ultérieurement opposer de plafond. Cette exigence supposerait en outre un contrôle plus systématique de ces niveaux de garantie au stade de l'attribution du marché, puisque cela toucherait probablement la question de la régularité des offres. C'est donc à ce stade que la communication des attestations d'assurance devrait être systématiquement sollicitée.

Rédaction consensuelle. Reste à déterminer ce niveau de garantie « adapté aux risques relatifs à l'opération ». Il émane de cette clause une rédaction consensuelle puisqu'il n'est pas exigé que ce niveau soit déterminé, comme en matière décennale, en considération du « coût total de la construction » qui s'entend, selon les clauses types (annexe I à l'article A. 243-1 C. ass.), « du montant définitif des dépenses de l'ensemble des travaux afférents à la réalisation de l'opération de construction, toutes révisions, honoraires, taxes et s'il y a lieu travaux supplémentaires compris », ce coût intégrant également « la valeur de reconstruction des existants totalement incorporés dans l'ouvrage neuf et qui en deviennent techniquement indivisibles ». Cette exigence n'a probablement pas été retenue afin de ne pas rehausser de manière trop substantielle le coût des travaux, sur lequel se répercuterait nécessairement celui de l'assurance.

Inégalités d'accès potentielles. L'exercice demeure cependant délicat puisque potentiellement générateur d'inégalités dans l'accès à la commande publique, selon que le soumissionnaire dispose ou non d'une surface financière conséquente lui permettant de négocier des garanties avantageuses en termes de franchise (plus elle est élevée, moins le coût de l'assurance l'est) et de plafonds. Et donc de proposer un prix plus ou moins compétitif. L'avenir contentieux nous le dira.

(1) P. Cossalter et J.-P. Lentilhac, « La gestion des assurances non obligatoires », « Le Moniteur » du 15 décembre 2005.

Ce qu'il faut retenir

  • L'absence d'encadrement et de contrôle a priori du montant des garanties assurantielles facultatives en matière de responsabilité civile souscrites par les constructeurs au stade de l'attribution d'un marché public de travaux n'est pas sans poser de difficultés.
  • En cas de dépassement du plafond de la police, il reviendrait probablement au maître d'ouvrage d'assumer la charge financière pour la part des désordres qui excéderait ce plafond.
  • Ce cadre juridique défaillant devrait toutefois être amené à évoluer avec l'entrée en vigueur du CCAG travaux 2021 et la pratique contractuelle en découlant.
  • Il incombe désormais au maître d'ouvrage qui s'y soumet de définir des niveaux de garantie adaptés aux risques induits par l'opération.
  • Cette évolution n'est cependant pas sans interroger sur ce niveau de garantie au regard du principe d'égalité d'accès à la commande publique et sur les conséquences contentieuses potentielles.
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