Marchés publics Que faire en attendant le Code 2006 ?

On ne le répètera jamais assez : le droit communautaire, même s’il n’est pas transposé en droit interne, a des effets directs dans l’ordre juridique de chaque Etat membre. Le Code 2006 se faisant attendre, la période qui s’est ouverte le 31 janvier, date limite de transposition des directives européennes, est susceptible de poser quelques difficultés juridiques. Plusieurs dispositions du droit interne ne sont pas, en effet, compatibles avec le droit communautaire. Analyse.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
CARICATURE - moniteur 5335 sup.eps

Aux termes de l’article 80 de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, la France avait jusqu’au 31 janvier 2006 au plus tard pour transposer en droit interne les dispositions de ce texte. Cette date limite n’a pas été respectée, ouvrant ainsi une période d’incertitudes. S’il est quasiment impossible d’établir ici une liste exhaustive des points de notre droit national incompatibles avec le droit européen, il est indispensable de relever les dispositions qui peuvent poser problème.

Contrats exclus du champ d’application du CMP

Le Code des marchés publics 2004 exclut les contrats que la pratique a nommés « in house ». Or, cette disposition n’existe pas dans la directive. Par ailleurs, la jurisprudence européenne est devenue très restrictive sur ce point.

Marchés de services « de l’article 30 »

L’, issu d’un décret en date du 24 août 2005, exclut l’obligation de faire paraître une publicité, voire même d’effectuer une mise en concurrence, dès lors que de telles formalités sont manifestement inutiles ou impossibles à mettre en œuvre. Or, force est de constater que le droit européen ne contient pas de dispositions similaires.

Procédures négociées

L’ donne trois listes de cas qui permettent la conclusion d’un marché négocié. Dans quatre cas, l’administration peut conclure le marché à la suite d’une procédure négociée précédée d’une publicité et d’une mise en concurrence, dans deux cas l’administration peut utiliser une procédure négociée sans publicité, mais avec une mise en concurrence préalable et, dans quatre cas, l’administration peut conclure un marché négocié sans publicité et sans mise en concurrence. La directive européenne n’a pas du tout la même structure. Elle comprend seulement deux listes:

• Une liste de quatre cas exigeant la publication préalable d’un avis d’appel public à la concurrence (article 30 de la directive) ;

• Une liste de quatre cas permettant une négociation directe avec un opérateur économique.

En premier lieu (mais ce n’est pas le plus grave), le retard pris par le Code 2006 prive les acheteurs publics d’outils très intéressants dans la pratique, notamment la possibilité de conclure un marché sans mise en concurrence en cas d’urgence impérieuse.

En second lieu, et c’est plus important, des incompatibilités nombreuses sont à relever entre le droit français actuel et le droit européen. Ainsi, le droit européen distingue la possibilité de conclure un marché négocié à la suite d’offres irrégulières ou en cas de dépôt d’offres inacceptables, après publicité préalable, et la possibilité de conclure un marché négocié lorsqu’aucune offre, ou aucune offre appropriée, n’a été déposée, cette fois-ci sans publicité préalable. Tous ces cas sont regroupés dans le Code 2004, au « I » de l’article 35, qui vise les marchés n’ayant fait l’objet d’aucune offre ou pour lesquels il n’a été proposé que des offres irrecevables ou inacceptables.

Par ailleurs, et au-delà des cas permettant d’utiliser la procédure négociée, force est de constater que cette procédure est mieux encadrée aujourd’hui en droit européen qu’en droit français. Ainsi, le Code 2004 ne vise pas formellement l’interdiction de donner, de manière discriminatoire, des informations susceptibles d’avantager certains soumissionnaires par rapport à d’autres. Il ne prévoit pas non plus la possibilité de négocier par phase.

Variantes

Aux termes de l’, les candidats peuvent toujours présenter une offre en variante, sauf si l’avis d’appel public à la concurrence interdit lesdites variantes. L’article 24 de la directive européenne impose… le contraire. En effet, à défaut d’indication, les variantes ne sont pas autorisées. La prudence commande d’indiquer, pendant la période transitoire, de manière systématique le sort réservé aux variantes.

Procédures de passation

La directive européenne prévoit quatre procédures de passation : les procédures ouvertes, les procédures restreintes, les procédures négociées et le dialogue compétitif. Au contraire, l’ prévoit sept procédures de passation : l’appel d’offres ouvert ou restreint qui correspond aux procédures ouvertes et restreintes du droit européen, le dialogue compétitif, la procédure négociée, mais aussi la procédure de conception-réalisation, la procédure de concours et la procédure des marchés de définition, trois procédures qui n’existent pas telles quelles en droit européen.

Délais de réception

Le droit français, pour l’ensemble des procédures à l’exception des « MAPA », prévoit des délais minimaux de remise des candidatures ou des offres. Force est de constater que ces délais sont aussi des délais maximum. Le droit européen n’a pas la même approche dans son article 38. Pour fixer les délais, l’administration doit tenir compte en particulier de la complexité du marché et du temps nécessaire pour préparer les offres, sans préjudice des délais minimaux fixés par le présent article. En d’autres termes, et en droit européen, les délais de remise des candidatures et des offres doivent être adaptés à chaque cas particulier. Toutefois, même si l’étude du cas particulier démontre que des délais inférieurs seraient adéquats, le pouvoir adjudicateur ne peut pas abaisser les délais en- deçà d’un certain seuil, par exemple 52 jours pour les procédures ouvertes. Cette disposition est susceptible de générer des contentieux. En effet, dans chaque procédure, une entreprise ou un fournisseur pourrait contester que le caractère adéquat du délai, au sens de l’article 38 de la directive du 31 mars 2004.

Invitation à présenter une offre

Dans les procédures restreintes, le droit européen dispose que l’invitation à présenter une offre doit comporter un certain nombre de mentions minimum. Or, une telle disposition n’existe pas aujourd’hui dans le Code 2004.

Procès- verbaux

Dans l’ensemble des procédures, et aux termes de l’article 43 de la directive, les procès-verbaux contenant un certain nombre d’indication minimum doivent être établis. Ici aussi, force est de constater qu’une telle obligation n’existe pas dans notre droit national.

Marché conclu à la suite de plusieurs marchés de définition

L’ prévoit que les prestations qui font suite à plusieurs marchés de définition ayant le même objet et conclus à l’issue d’une seule procédure peuvent être attribués, sans nouvelle mise en compétition, à hauteur de la solution retenue. Deux remarques s’imposent:

En premier lieu, il faut bien admettre que le Conseil d’Etat () comme la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 4 octobre 2004, aff. C-340/02) ont considéré que ces dispositions étaient illégales.

En second lieu, et que l’on lise la directive du 31 mars 2004 dans sa version française, anglaise, polonaise ou italienne, force est de constater qu’il n’existe pas de possibilité de conclure un marché à la suite de plusieurs marchés de définition en droit européen.

Concours

Dans l’ (pour le concours « de droit commun »), comme dans l’article 74 spécifique au concours de maîtrise d’œuvre, le concours est considéré comme une procédure de passation dès lors que, au terme du concours, un marché est conclu.

Tel n’est pas le cas en droit européen. Certes, les articles 66 et suivants sont relatifs aux règles applicables aux concours dans le domaine des services. Toutefois, la procédure n’a pas pour but de conclure un marché, mais, aux termes de l’article 1er de la directive, de permettre « au pouvoir adjudicateur d’acquérir, principalement dans le domaine de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’architecture et de l’ingénierie ou des traitements de données, un plan ou un projet qui est choisi par un jury après mise en concurrence ».

Le fait que le concours ne soit pas une procédure de passation est par ailleurs confirmé par deux articles de la directive:

• l’article 28 de la directive ne vise que les procédures ouvertes, restreintes, négociées et le dialogue compétitif. Il n’est pas fait état du concours dans les procédures ;

• l’article 31 permet de conclure un marché à la suite d’une procédure négociée dès lors que « le marché considéré fait suite à un concours ». En d’autres termes, le concours n’est pas une procédure, il permet seulement, à son terme, d’utiliser la procédure négociée.

On peut relever que même le Code 2004 n’est pas cohérent. D’un côté, aux articles 70 et 71, le concours est considéré comme une procédure de passation. De l’autre, l’article 35.3.III permet d’engager une procédure négociée à la suite d’un concours. Cette disposition n’aurait pas lieu d’être si le concours était une procédure à part entière.

En conclusion, on doit relever que, depuis le 31 janvier 2006 la légalité des procédures de passation est devenue incertaine. Dans une situation économique difficile, les entreprises et les fournisseurs n’avaient certainement pas besoin de ces difficultés juridiques supplémentaires.

Image d'illustration de l'article
CARICATURE - moniteur 5335 sup.eps CARICATURE - moniteur 5335 sup.eps
Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires