L’effort de simplification des procédures de marchés publics, avec notamment le Dume simplifié qui a pris la relève du Dume classique pour candidater aux marchés publics, porte-t-il ses fruits ? L’accès à la commande publique s’est-il réellement amélioré ?
De manière générale, je dirais qu’il est en effet plus facile de répondre. Le Dume simplifié est plaisant à utiliser même s'il demande intellectuellement un petit temps d’apprentissage. En tant que chef d’entreprise ou mandataire, cela facilite grandement les choses, nous n’avons plus besoin de signer des DC1, DC2, DC4 ou de parapher chaque page d’un marché, ce qui n’avait pas de sens. Mais le vrai sujet des entreprises reste celui de la trésorerie et des délais de paiement. Je dis souvent à mes confrères qui viennent de créer leur entreprise qu’il faut surtout avoir un peu de trésorerie pour se lancer dans les marchés publics. La mauvaise image du secteur public en matière de paiement nuit encore fortement à l’attractivité de ses contrats.
L’outil de facturation électronique Chorus Pro, utilisé dans le cadre des marchés publics, ne répond-il pas aux attentes en termes de respect des délais de paiement ?
Sur le papier, l’outil est magnifique, mais nous avons tout de même une vraie problématique concernant la validation de nos situations de travaux. A partir du moment où nous déposons nos factures, le maître d’œuvre dispose de sept jours pour les valider (article 12.2.2 du CCAG-travaux, NDLR). Mais si le maître d’œuvre prend plus de temps, potentiellement car il a oublié, alors il n’y a pas de sanction. De plus, nous ne sommes pas tenus au courant de la validation de nos factures, nous ne recevons pas de notification. On se retrouve ainsi avec des décalages de paiement importants, car les trésoriers des maîtres d’ouvrage ne peuvent pas payer sans validation préalable.
Pourtant les maîtres d’œuvre, notamment les architectes qui peuvent être de petites structures, doivent tous utiliser Chorus Pro pour leurs propres factures depuis près de deux ans (les TPE ont basculé le 1er janvier 2020). Comment expliquer cette situation ?
En effet, tant que les architectes n’utilisaient pas Chorus Pro pour leurs propres besoins, le fait qu’ils n’y viennent pas naturellement pour nos factures pouvait s’entendre. Mais plus maintenant. Nous considérons aujourd’hui que l’architecte est dans l’obligation de valider nos factures avant de pouvoir prétendre au paiement des siennes. Or, ce n’est pas ce qui se passe en réalité car ce sont deux canaux différents sur Chorus Pro.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Nous sommes bien conscients que dans le monde de la maîtrise d’œuvre, ce sont souvent des petites structures qui n’ont pas de personnel administratif dédié. C’est l’architecte lui-même, qui en plus du suivi de chantier s’occupe de la facturation, il peut donc être pris par le temps. Il apparaît important dans un premier temps de faire de la pédagogie auprès de ces architectes, leur faire comprendre que lorsqu’ils ne valident pas les situations de travaux, cela décale toute la chaîne de paiement. Il faut aussi que les maîtres d’ouvrage soumis à Chorus Pro l'indiquent dans les CCAP qui ne doivent plus prévoir, à la place de Chorus Pro, des systèmes payés par les entreprises.
Ensuite, il serait bien qu’au bout de sept jours après le dépôt de nos situations de travaux, il y ait une transmission automatique des factures au maître d’ouvrage si cela n’a pas été fait par le maître d’œuvre. La FFB continue de demander à la DAJ du ministère de l’Économie et à l’AIFE (1) que soit respecté ce délai de 7 jours prévu dans le CCAG travaux : la situation de l’entreprise est transmise au maître d’ouvrage qui doit payer les sommes qu’il admet. Le but de cette procédure est que le maître d’ouvrage se retourne vers le maître d’œuvre afin qu’il l’aide à déterminer les sommes dues à l’entreprise en vérifiant la situation de l’entreprise.
Nous demandons également qu’en cas de retard de paiement, les intérêts moratoires soient réellement versés, car ce n’est toujours pas le cas, et il est souvent délicat d’aller les réclamer. Chorus Pro devrait les calculer automatiquement. La DAJ de Bercy a entendu nos doléances, nous espérons des avancées dans les prochains mois.
La facturation électronique en BtoB sera rendue obligatoire dans les prochaines années. Cela représente-t-il un gros changement pour les entreprises ?
A l’instar de la facturation avec nos clients publics, la facturation électronique en BtoB va s’imposer progressivement jusqu’en 2026 selon la taille des entreprises. Cela va donc arriver très vite, il faut s’y préparer dès maintenant et notamment prévoir des équipements supplémentaires (serveurs, logiciels, etc.). Nous devrons également faire de l’accompagnement car beaucoup d’entreprises dans le bâtiment ne travaillent pas avec Chorus Pro, c’est une grosse mutation. Et je suis persuadé qu’à terme la facturation aux particuliers sera elle aussi assujettie à la dématérialisation.
A plus brève échéance, des bouleversements profonds s’annoncent, à commencer par la mise en place d’une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) pour les produits et matériaux de construction. Quelles conséquences cela aura-t-il sur vos marchés ?
Sur le principe, les entreprises sont partantes car ce nouveau dispositif contribue au développement durable, à l’amélioration de la filière de recyclage et à la recherche permettant le développement de nouveaux matériaux de construction. Aujourd’hui, le taux de valorisation dans le bâtiment est de 67 %, il faudrait dans les prochaines années tendre vers les 100 %. Il faudrait donc agréer au plus vite les éco-organismes pour connaître le coût par matériau afin que les entreprises l’intègrent à leurs devis. Les carnets de commande sont en moyenne établis à neuf mois, donc les marchés que nous commencerons à exécuter début 2022 sont déjà prêts, et l’éco-contribution,qui représentera sans doute entre 1 et 8 % du prix des matériaux, n’a pas pu y être prise en compte ! Le report au 1er janvier 2023 est donc une bonne nouvelle. D’autant plus que ces difficultés s’ajoutent à celles de la hausse des prix des matériaux et de leur pénurie.
Quid de l’impact de la RE 2020 ?
Il y a notamment un sujet autour des fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES), qui indiquent le niveau de carbone de chaque produit. Il y a plusieurs niveaux de certification : certaines fiches sont générales, d’autres de filière, et d’autres individuelles. Or pour répondre aux appels d’offres, nous aurons besoin de calculer très précisément le montant carbone de notre prestation. Si le bureau d’études s’est fondé sur des FDES très spécifiques pour faire son propre calcul, il faudrait qu’on en ait connaissance, pour que notre offre soit dans les clous ! Je rappelle que la RE2020 porte sur la totalité de la construction et non lot par lot.
Donc, dès lors que des FDES spécifiques seront utilisées par la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, ceux-ci auront tout intérêt à être transparents dès l’appel d’offres et à les mentionner dans les cahiers des charges. Ensuite, la communication entre les architectes, les BET et les entreprises tout au long de l’opération ne doit pas être négligée dans le but de gagner le pari de la neutralité carbone. D’autant plus que si le calcul - vérifié à la fin du chantier - est incorrect, il faudra savoir quel intervenant est responsable…
(1) Agence pour l'informatique financière de l'Etat.