Marchés publics : les pénalités de retard plafonnées peuvent-elles être excessives ?

La possibilité de demander au juge de modérer le montant des pénalités doit être revisitée au regard du plafonnement introduit dans les CCAG.

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Le contentieux lié à l'application des pénalités de retard par les maîtres d'ouvrage publics est assez fourni. Le recours au juge administratif s'est en effet développé depuis la décision « OPHLM de Puteaux » rendue par le Conseil d'Etat en 2008 (CE, 29 décembre 2008, n° 296930, publiée au Recueil). Par ce revirement de jurisprudence, ce dernier avait finalement admis que les parties au contrat puissent demander au juge de modérer ou d'augmenter le montant des pénalités de retard appliquées conformément au marché, si celui-ci se révélait manifestement excessif ou dérisoire par rapport au montant dudit contrat.

Réparation forfaitaire. En 2017, le juge a retenu un critère additionnel permettant de déterminer le caractère draconien ou négligeable des pénalités appliquées : l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations (CE, 19 juillet 2017, n° 392707, publié au Recueil). Il a précisé également que la circonstance que le retard établi n'a provoqué aucun préjudice au maître d'ouvrage ou que le préjudice subi est inférieur au montant des pénalités infligées ne peut pas établir leur caractère excessif. En effet, ces dernières réparent forfaitairement les conséquences de la méconnaissance du délai contractuel. Le titulaire du marché doit alors démontrer le caractère excessif des pénalités par tout autre élément, telles que les clauses de pénalités stipulées dans des marchés comparables ou les caractéristiques particulières du marché en cause.

Des pénalités parfois élevées validées par les juges

L'examen de la jurisprudence montre que le caractère excessif est parfois apprécié de façon assez sévère pour le titulaire du contrat, malgré des montants élevés. Ainsi, pour ne citer que trois illustrations, des pénalités représentant 48 % du montant du marché, sanctionnant un dépassement du délai contractuel à hauteur de 50 %, n'ont pas été jugées excessives (CAA de Lyon, 22 juin 2017, n° 15LY01307) ; des pénalités à hauteur de 427 890 euros, soit près de 91 % du montant du marché, ont été réduites à 289 102 euros, soit 61 % de ce montant (CAA de Nancy, 27 décembre 2019, n° 18NC01947) ; et des pénalités à hauteur de 331 % du montant du marché ont été ramenées à 80 % de ce montant compte tenu de l'ampleur du retard et de ses conséquences pour l'acheteur (CAA de Bordeaux, 19 octobre 2022, n° 20BX02818).

Relevons également l'approche inédite du juge d'appel marseillais à propos d'un litige où quelque 4,64 millions d'euros de pénalités de retard étaient en jeu, soit un peu plus de 48 % du montant du marché. Cela sanctionnait 481 jours de retard sur un délai contractuel de 178 semaines (soit un dépassement à hauteur de 39 %). La cour de Marseille a considéré que la formule de calcul des pénalités de retard prévue par le CCAG applicables aux marchés publics industriels (MI), « (V x R) / 3 000 » (V désignant la valeur des prestations sur laquelle est établie la pénalité et R le nombre de jours de retard) constitue le mode de calcul applicable dans des marchés comparables. Selon cette formule de calcul du CCAG, les pénalités se seraient élevées à 1,55 million d'euros (soit 16 % du montant du marché). Pour le juge, le CCAP du marché ayant dérogé au CCAG en retenant la formule « (V x R) / 1 000 », le niveau des pénalités qui en résulte est excessif au regard du montant qui aurait été applicable dans des marchés comparables, sur la base du CCAG MI. Le montant des pénalités est ainsi ramené à 2 millions d'euros, soit un peu plus de 20 % du montant du marché (CAA de Marseille, 14 mars 2022, n° 20MA04339).

Un plafonnement contractuel protecteur ?

Face à l'envolée des montants des pénalités de retard tolérés parfois par la jurisprudence, la réforme des CCAG intervenue en 2021 a abouti à l'instauration d'un plafonnement à 10 % du montant HT du marché, prévu par l'ensemble de ces clausiers types de l'achat public.

Un taux de 10 % dans les CCAG 2021. Le principe même d'un plafonnement des pénalités ne posait guère de difficultés aux acheteurs. Toutefois, certaines voix ont pu signaler à la Direction des affaires juridiques de Bercy, lors des groupes de travail mis en place dans le cadre du projet de refonte de ces CCAG, que le taux de 10 % pouvait sembler un peu bas compte tenu du seuil « acceptable » de l'ordre de 30 % qui semblait se dégager à l'époque de la jurisprudence. L'absence de prise en compte de l'importance du retard dans ce plafonnement avait également été discutée.

Au final, et sans surprise, la pratique des acheteurs vis-à-vis de cette limitation des pénalités de retard à 10 % se révèle hétérogène. D'aucuns écartent purement et simplement toute référence à un quelconque plafonnement des pénalités (s'en remettant alors à la position du juge en cas de contestation éventuelle), certains appliquent le taux de 10 % des CCAG, là où d'autres stipulent un taux supérieur, fixé en général entre 20 et 30 %.

La question pouvait alors se poser de la possibilité de démontrer le caractère excessif ou dérisoire des pénalités dans l'hypothèse où les parties ont convenu d'un plafonnement contractuel de leur montant.

Première réponse jurisprudentielle. La circonstance que les pénalités de retard mises à sa charge ne dépassent pas le plafond fixé contractuellement ne devrait pas s'opposer à ce que le titulaire du contrat puisse démontrer leur caractère manifestement excessif.

Cette position semble résulter d'un arrêt rendu par la cour de Toulouse concernant un contrat de concession : « D'une part, les pénalités en litige n'excèdent pas le plafond de pénalités de 16,5 millions d'euros prévu [dans] la convention au titre des retards dans la construction du réseau. D'autre part, en se bornant à demander à la cour d'exercer son pouvoir de modulation des pénalités en litige, [la société concessionnaire] ne produit aucun élément circonstancié, relatif notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, pourtant nécessaires à l'appréciation du caractère manifestement excessif du montant des pénalités mises à sa charge […] » (CAA de Toulouse, 25 juin 2024, n° 23TL01761). Cette solution est transposable aux marchés publics, les conditions de modulation des pénalités de retard posées par la jurisprudence étant applicables à l'ensemble des contrats de la commande publique.

Dès lors, le plafonnement des pénalités de retard dans le contrat, qu'il s'agisse du taux de 10 % résultant des CCAG ou d'un autre taux stipulé par les pièces particulières du contrat, ne garantirait pas à l'acheteur que ce plafond n'est pas pour autant excessif. Selon le juge d'appel toulousain, le titulaire dispose malgré tout de la faculté de démontrer le montant excessif des pénalités mises à sa charge à l'aune des clauses de pénalités habituellement prévues dans des contrats comparables.

Selon toute vraisemblance, par équité et réciproquement, le plafonnement contractuel du montant des pénalités ne devrait pas davantage garantir au titulaire du marché que ce montant n'est pas dérisoire.

Ce qu'il faut retenir

  • Depuis 2008, les parties à un contrat de la commande publique peuvent demander au juge de modérer ou d'augmenter le montant des pénalités de retard appliquées conformément au marché, si celui-ci se révélait manifestement excessif ou dérisoire par rapport au montant dudit contrat.
  • Mais l'examen de la jurisprudence montre que des montants de pénalités assez voire très élevés sont régulièrement validés par les juges. Depuis 2021, un plafonnement des pénalités de retard à 10 % du montant du marché a donc été introduit dans tous les CCAG.
  • Un arrêt rendu par la juridiction d'appel toulousaine indique cependant que la circonstance que les pénalités de retard mises à la charge du titulaire ne dépassent pas le plafond fixé contractuellement ne devrait pas s'opposer à ce que celui-ci puisse démontrer leur caractère manifestement excessif.
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