Avec plus de 2 000 avis publiés en moyenne chaque jour, le site du « Journal officiel de l’Union Européenne » [1] est un incontournable pour les acheteurs publics de l’Union et pour les opérateurs économiques en quête d’opportunités commerciales. En 2019, l’Office des publications de la Commission européenne a lancé un vaste projet de refonte du système de mise en ligne des avis de publicité, qui a vu son aboutissement le 31 janvier dernier, après un report de quelques semaines.
Désormais, tous les acheteurs publics des 27 pays membres de l’Union (soit plus de 250 000 entités) utilisent ces nouveaux eForms. Tant bien que mal… Et tous les opérateurs économiques à qui ils s’adressent, peuvent les consulter. Tant bien que mal…
Des acheteurs publics peu préparés
Rappelons-le : les nouveaux formulaires doivent permettre d’améliorer la saisie en ligne et la transmission à l’Office des publications, réduire la charge administrative de l’acheteur, améliorer la fiabilité des données par l’utilisation d’un standard et d’une terminologie commune, et idéalement faciliter la publication volontaire d’avis dont la valeur est inférieure aux seuils européens [2].
Face aux difficultés techniques d’harmonisation, le projet a été essentiellement concerté avec des éditeurs de solutions logicielles et pendant presque quatre ans, n’a pas retenu l’attention des acheteurs publics qui ont découvert bien trop tard la grande difficulté à remplir correctement les centaines de champs demandés.
Dans les pays membres, très peu de communications des organismes compétents ont été faites sur le sujet - en France, la Direction des affaires juridiques de Bercy est restée relativement discrète. Les éditeurs eux-mêmes avouent avoir dû massivement investir pour s’interfacer de façon correcte et stable avec la nouvelle plateforme.
Aujourd’hui, nombreux sont les acheteurs publics qui s’agacent (c’est un euphémisme) du manque de documentation existante et du peu d’accompagnement mis en place. Traductions étonnantes, rubriques au titre exotique, champs obligatoires non signalés, message d’erreurs abscons voir mystiques (« error.code.503 »), serveurs souvent inaccessibles (« servor.error »), incompréhensibles messages de non-complétude (« votre avis est incomplet. Merci de vérifier tous les champs obligatoires »), la plateforme suscite encore de nombreux mécontentements. Or, au-delà de l’embrouillamini que l’acheteur doit affronter, c’est surtout pour le fournisseur, lecteur final, que l’affaire se gâte.
Un avis de publicité moins lisible
L’avis de publicité est le grand garant du principe de transparence des marchés publics de l’Union européenne, dont le Traité de fonctionnement établit la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services... In fine, chaque opérateur économique européen doit pouvoir accéder à l’ensemble des marchés de l’Union. Et pour cela, il doit pouvoir compter sur les avis de publicité. Que penser alors de ce nouveau format ?
Pour le fournisseur, la lecture sera certainement plus longue (les nouveaux avis s’étalent sur plus de six pages là où les anciens formulaires tenaient sur un double A4 en moyenne) et plus ardue (malgré quelques améliorations, le texte, comme frappé au kilomètre, n’est pas encore très agréable à regarder). Mais surtout, l’information essentielle de l’avis (qui veut acheter quoi ?) est noyée parmi les rubriques surnuméraires. « Quelle méthode sera utilisée pour réduire l’incidence environnementale? » « Quel objectif social est recherché? » « S’agit-il d’une acquisition innovante ? » « Quels sont les critères d'achat vert? » « Quel est l’objectif social de la passation de marché? » « Le marché public relève-il du champ d’application de la directive sur les véhicules propres? »…
Dans les faits, on peut craindre que seuls les opérateurs économiques aguerris, dotés d’un système de veille et d’alerte sur la plateforme Simap, puissent déchiffrer les attendus de l’acheteur, désormais noyés dans un document encore assez indigeste, il faut l’avouer.
Un avis de publicité utilisé essentiellement à des fins statistiques
Mais il est vrai qu’avec plus de 700 000 avis publiés par an [3], l’Office de publication dispose d’un formidable réservoir à statistiques, qui permet d’évaluer en théorie l’efficacité des réglementations européennes et de l’action publique. Les données liées au verdissement de la commande publique, à la décarbonation des achats, à la transition énergétique, à l’accès des PME aux marchés publics… permettent d’objectiver la mise en application concrète des politiques publiques.
D’autant plus qu’un règlement modificatif en date du 20 décembre 2023 [4] prévoit déjà l’arrivée, à partir de juin 2024, de nouvelles rubriques avec une cinquantaine de données supplémentaires (subventions étrangères, réglementation IMPI, et autres adaptations des formulaires).
Enfin, pour ajouter du piment à l’affaire, une communication de la Commission européenne de mars 2023 [5], a annoncé le futur espace européen de données sur les marchés publics (Public Procurement Data Space ou PPDS), un « espace de données pour améliorer les dépenses publiques, stimuler l’élaboration de politiques fondées sur des données et faciliter l’accès des PME aux appels d’offres […] un nouvel espace, qui révolutionnera l’accès aux données sur les marchés publics et leur utilisation ».
Cela pourra en effrayer plus d’un.
[1]https://simap.ted.europa.eu/fr
[2] Ce qui représente tout de même 80 % des marchés publics.
[3]https://ted.europa.eu/fr/simap/statistics-on-ted-notices
[4]https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:L_202302884
[5]https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52023XC0316(02)