Voici un point de vue dont la lecture ne laissera pas indifférentes certaines administrations. En effet, la Commission Européenne s'accommode mal de cette résistance du jurislateur national, face aux exigences de l'Europe des marchés publics. Et l'examen actuel des dernières dispositions de l'article 73 du Code 2006 des marchés publics relatives au marché de définition (à la passation d'un marché à la suite de plusieurs marchés de définition) révèle l'étendue de cette résistance.
La nouvelle rédaction de l'article 73 dénature en effet certaines procédures du Code et génère pour les maîtres d'ouvrage publics des risques non négligeables, dès lors que la passation d'un marché d'exécution à la suite de plusieurs marchés de définition est une pratique limitée au territoire national.
Définition des marchés de définition
L'article 1er II du Code dispose qu'il existe des contrats portant sur des travaux, des fournitures et des services. Par ailleurs, les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) distinguent les services courants, les prestations intellectuelles et les marchés d'études. Enfin, les dispositions des articles 73 et 74 du Code distinguent les études de définition et les marchés de maîtrise d'œuvre.
Les marchés de définition sont donc des marchés d'étude, qui « ont pour objet d'explorer les possibilités et les conditions d'établissement d'un marché ultérieur, le cas échéant au moyen de la réalisation d'une maquette ou d'un démonstrateur. Ils doivent également permettre d'estimer le niveau des prix des prestations, les modalités de sa détermination et de prévoir les différentes phases de l'exécution des prestations ». Autrement dit et de manière moins juridique, les marchés de définition sont des contrats portant sur la définition d'un besoin. Ils permettent à l'administration d'en déterminer la nature et l'étendue, pour pouvoir ensuite conclure un contrat qui en permettra la réalisation concrète.
Aux termes des dispositions de l'article 5 du Code, l'administration doit déterminer avec précision la nature et l'étendue de ses besoins avant tout appel public à la concurrence. L'administration est ainsi dans l'obligation de quantifier son besoin avant de lancer une procédure de passation. Dans ce cadre, quatre solutions existent:
- L'administration peut faire quantifier son besoin par ses propres services ;
- Elle peut faire appel à un prestataire extérieur ;
- Elle peut considérer qu'elle a besoin ou qu'il est préférable pour elle de faire définir son besoin par plusieurs prestataires dans le but évident de pouvoir comparer mais aussi d'insuffler un esprit de compétition ;
- Elle va définir son besoin en partenariat avec les entreprises dans le cadre d'un dialogue compétitif.
Ainsi, si l'on fait le parallèle avec le concours de maîtrise d'œuvre, ce dernier permet également de recueillir plusieurs projets, et donc de comparer, mais aussi de mettre en compétition.
Passation des marchés de définition
Les marchés de définition ne constituent pas une procédure de passation, mais sont des marchés d'études. Dès lors, il est nécessaire de s'interroger sur les règles de passation à mettre en œuvre. Deux hypothèses peuvent être envisagées:
- L'administration conclut un seul marché de définition, qui lui permettra ensuite de confier à un tiers l'élaboration ou la mise en place d'un cahier des charges. nécessaire dans le cadre du marché de réalisation ultérieur.
- La personne publique confie simultanément à plusieurs prestataires des études de définition ayant exactement le même objet, en faisant travailler en même temps plusieurs équipes sur la définition du projet soumis à leur examen.
La suite d'un marché de définition
Le marché à conclure à la suite d'un ou plusieurs marchés de définition trouve en pratique deux fondements pour sa passation:
- Lorsque l'administration a conclu un seul marché de définition, le marché ultérieur ne bénéficie d'aucune dérogation spécifique quant à ses règles de passation. La personne publique doit dans cette hypothèse relancer une mise en concurrence pour le marché de réalisation. On peut cependant poser la question de la légalité, voire de l'opportunité de permettre la remise en concurrence de l'auteur à l'origine de la définition du besoin. Le respect du principe d'égalité des entreprises devant la commande publique peut être mis à mal par le procédé car, sauf à être naïf, il semble évident que celui qui est à l'origine de la définition du besoin sera le mieux placé pour en permettre la réalisation.
- Lorsqu'elle a fait réaliser plusieurs définitions de son besoin, elle est tentée d'utiliser la possibilité qui lui est offerte par le nouvel article 73 d'attribuer le marché ultérieur après remise en concurrence des seuls titulaires des marchés de définition.
En prévoyant, dans le cadre de l'article 73, que le marché ultérieur de réalisation sera dorénavant attribué après publicité et remise en concurrence des titulaires des marchés de définitions, le pouvoir réglementaire a sans doute tiré les conséquences de la décision du Conseil d'Etat du 3 mars 2004, par laquelle ce dernier a considéré, qu'en vertu de la , la personne publique qui entend se réserver la possibilité de conclure, sans remise en concurrence, un marché de réalisation avec l'auteur de la solution retenue à la suite de plusieurs marchés de définition, doit faire connaître son intention dés le stade de l'avis de marché. Mais ce faisant, il n'a pas vraiment adressé de signe d'apaisement à la Commission Européenne.
Cela étant, il convient d'observer que le Conseil d'Etat n'a nullement absous la procédure des marchés de définition (le marché conclut à la suite de plusieurs marchés de définition) de ses péchés communautaires (le Conseil d'Etat était saisi dans le cadre d'un référé précontractuel, ceci expliquant cela). Notons d'ores et déjà l'incohérence qui consiste, dans l'avis d'appel public à concurrence, à exiger l'indication du montant estimé des études de définition et du marché d'exécution. En effet, comment demander à un maître d'ouvrage de connaître à l'avance le montant des prestations d'un marché, précisément censé lui apporter l'information ?
En tout état de cause, au-delà des seuils européens et quelque soit la solution retenue par le pouvoir réglementaire, il faut bien admettre qu'un décalage subsiste entre les textes français et européens. En effet, la directive du 31 mars 2004 ne reprend pas la possibilité de conclure un marché négocié après remise en concurrence à la suite de plusieurs marchés de définition. Or, la seule possibilité qui est admise par la directive est la passation d'un marché négocié à la suite d'un concours et après mise en concurrence de tous les lauréats.
Dès lors, aucun doute n'est permis quant à l'illégalité de l'article 73.III au-delà des seuils européens. Cette possibilité de passer un marché à la suite de plusieurs marchés de définition est une pratique purement nationale vouée à disparaître. On peut d'ailleurs se poser la question de l'intérêt de conserver cette procédure, qui n'est finalement qu'un concours en droit européen.
En premier lieu, au sens de la directive, il n'existe pas de concours spécifique pour la maîtrise d'œuvre ; le concours permet dans tous les domaines d'obtenir des plans ou des projets (une définition du besoin) et, par la suite, de conclure un marché négocié ; mais après mise en concurrence de tous les lauréats du concours
En second lieu, la CJCE a, dans le cadre d'un arrêt du 14 octobre 2004, « Commission c. République française », aff. C-340/02, condamné la France pour avoir organisé un marché de définition dans des conditions non conforme aux concours. La CJCE semble avoir de surcroît définitivement enterré le marché de définition en considérant que les prestations à exécuter par le titulaire du marché, qui fait suite au concours, ne peuvent qu'être fonctionnellement liées à l'acquisition d'un plan ou d'un projet. L'Avocat général Geelhoed a ainsi pu affirmer qu'il doit exister un lien fonctionnel entre le concours et le marché qui le suit. Le pouvoir adjudicateur doit être en mesure d'établir préalablement, à savoir dans l'avis de marché, qu'un des lauréats sera impliqué dans le marché d'exécution ultérieur. Si ce lien fonctionnel fait défaut, alors le marché qui suit ne peut être réservé aux lauréats et il doit être attribué de manière séparée, en tenant compte des règles générales de la directive.
Enfin, deux arrêts, respectivement de la Cour administrative de Paris (« Tricoire ») en date de 1993, et de la Cour administrative de Marseille en date du 27 janvier 2004, considèrent que la seule procédure permettant la remise de prestations au maître d'ouvrage est le concours.
Cela étant, l'article 74 distingue les marchés de maîtrise d'œuvre et l'on doit donc constater que ces marchés constituent une catégorie de marchés de définition ayant ses règles propres. Certains bien entendu doutent de cette position, et analysent ces nouveaux marchés de définition comme relevant:
- soit du dialogue compétitif ;
- soit d'un accord-cadre.
Il paraît difficile de souscrire à une telle analyse. En effet, il ne peut s'agir d'un accord-cadre pour au moins deux raisons fondamentales:
- la première, parce que l'accord-cadre n'autorise pas le commencement d'exécution d'une prestation, contrairement au marché de définition.
- la seconde, parce que l'accord-cadre ne permet pas la remise d'un début d'exécution d'une prestation à l'instar du concours.
De même, ne pourrait-il s'agir d'une procédure de dialogue compétitif pour au moins trois raisons également:
- la première tient au fait que le dialogue compétitif est une procédure dérogatoire, ce que n'est pas le concours. L'administration ne peut recourir au dialogue compétitif que dans le cadre des conditions posées par les dispositions de l'article 36 du Code.
- la seconde tient au fait que le dialogue se fait au niveau de la candidature alors que la définition du besoin dans le cadre du marché de définition constitue une remise de prestation.
- quant à la troisième, le marché de définition n'a pas pour objet la réalisation de la prestation, cette dernière faisant l'objet d'un marché ultérieur.
Conclusion
Il faut bien admettre que même, dans sa version « euro compatible », l'article 73 du Code 2006 est voué à disparaître (bien entendu, la passation d'un seul marché de définition continuera d'être un instrument utile pour l'administration). Par ailleurs, force est de constater qu'il n'existe pas de possibilité de conclure un marché d'exécution à la suite de plusieurs marchés de définition en droit européen.
Aussi peut-on légitimement se poser la question de la résistance des pouvoirs publics français sur ce point, à moins qu'il ne s'agisse d'une tentative de lobbying pour faire adopter, par les instances européennes, les marchés de définition dans le cadre d'une prochaine directive. La tentative est sans doute louable car, sur le fond, les marchés de définition présentent un intérêt certain. Mais persister à proposer aux acheteurs publics français une procédure non conforme au droit communautaire n'est pas un service à leur rendre.
Aucun acheteur public de France ne devrait donc utiliser les dispositions de l'article 73 du Code 2006, car l'euro compatibilité vantée par ses promoteurs nous paraît plutôt synonyme d'instabilité juridique.