L'adoption de la visant à ouvrir le tiers-financement à l'Etat, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique, crée un dispositif expérimental dans le droit de la commande publique. Ce texte fait suite à celui adopté sous forme d'amendement à la loi de finances pour 2022, dont il reprend l'économie générale, et qui avait été censuré en tant que cavalier législatif par le Conseil constitutionnel.
Il prévoit ainsi qu'« à titre expérimental, pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, l'Etat et ses établissements publics ainsi que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements peuvent déroger aux articles à du Code de la commande publique [CCP] pour les contrats de performance énergétique [CPE] conclus sous la forme d'un marché global de performance [MGP] mentionné à l'article L. 2171-3 du même code, pour la rénovation énergétique d'un ou de plusieurs de leurs bâtiments. […] ».
Les dispositions de cette loi, qui constituent une nouvelle exception à la règle de prohibition du paiement différé, se justifient par les mécanismes spécifiques des marchés globaux de performance énergétique et supposent d'anticiper les conditions et modalités de leur mise en œuvre.
La protection des personnes publiques contre elles-mêmes
Le CCP proscrit en son article L. 2191-5 « tout paiement différé dans les marchés passés par l'Etat, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements ».
Fondements de la règle. L'interdiction dans un marché public de toute clause de paiement différé ou par annuités existe depuis les années 1950. Elle a pour finalité de prévenir tout endettement occulte des personnes publiques. Elle vise, dans une approche non remise en cause par les actes successifs de décentralisation, à protéger celles-ci contre elles-mêmes au motif que le paiement différé reviendrait à inclure sournoisement dans le prix du marché global le coût du financement accordé, bon gré mal gré, par le titulaire.
Cette règle a acquis une force significative dans les années 2000 par l'effet conjugué d'une décision du Conseil d'Etat de 1999 (, publiée au Recueil) et de l'analyse critique de la Cour des comptes (« Rapport annuel 2000 », p. 772). Ces deux positions, prises à l'occasion d'affaires portant sur des marchés d'entreprise de travaux publics (METP) et les pratiques douteuses qu'ils avaient pu générer à l'époque, paraissent avoir emporté le paiement différé avec les METP.
Exceptions à la règle. Pour autant, cette règle d'interdiction n'est pas demeurée sans exceptions. La plus notable d'entre elles est celle pratiquée dès 2003 dans les baux sectoriels, puis dès 2004 dans les contrats de partenariat, maintenue pour les marchés de partenariat de l'actuel CCP au titre de leur mission globale pouvant porter sur le financement (art. L. 1112-1).
Parce qu'il contient une garantie de performance, le CPE appelle un traitement financier spécifique.
Mais cette dérogation, fondée sur la nature globale du partenariat public-privé (PPP), n'a pas été étendue aux autres marchés dotés eux aussi d'un objet intrinsèquement global. Une telle extension a été envisagée à l'occasion de la transposition des directives marchés publics de 2014. Il était prévu, dans l'une des versions de travail du futur code, qu'en cas de MGP, la rémunération des prestations d'exploitation ou de maintenance pouvait contribuer au paiement de la construction, « si des objectifs de performance directement liés à la construction des ouvrages, équipements ou biens immatériels sont assignés au titulaire ». Cette disposition a finalement été retirée.
Depuis, l'interdiction est demeurée inchangée si bien que le CCP confirme en son article L. 2191-6 qu'en cas de « marché global ayant pour objet la réalisation et l'exploitation ou la maintenance d'un ouvrage, la rémunération des prestations d'exploitation ou de maintenance ne peut contribuer au paiement de la construction ».
Une nouvelle donne pour les CPE
Parce qu'il contient une garantie de performance, consécutive à l'obligation de résultat souscrite par le titulaire, le CPE appelle un traitement financier spécifique, ce qui est le sens de l'expérimentation prévue.
Pertinence de la nouvelle exception. Dans le cadre d'un MGP, le paiement est jusqu'à présent effectué sous forme d'avances, d'acomptes, puis de solde, au fur et à mesure de l'avancement des travaux, de la livraison des fournitures ou de la réalisation des prestations. Le cadre juridique de droit commun ne permet donc pas de lisser le coût des travaux sur la durée du marché. Le recours à des marchés publics de performance énergétique, pour les projets les plus simples, pâtit de cette règle qui impose à l'acheteur public de rechercher, directement ou indirectement, une garantie de la garantie de performance énergétique, alors qu'une imputation de l'indemnité due en cas d'insuffisance des résultats sur le prix global aurait été évidemment plus simple et plus légère.
La solution du paiement différé avait été préconisée dès 2011 dans le rapport sur les CPE remis à la ministre de l'Ecologie (cf. O. Ortega, « Les contrats de performance énergétique », proposition n° 6, p. 78). A défaut en effet, l'acheteur public se trouve privé d'un moyen efficace de sécuriser son marché. Le paiement différé permet de placer à risque une partie de la rémunération du titulaire de sorte que, s'agissant d'un MGP, le défaut d'atteinte de la performance contractuelle peut être indemnisé directement par compensation sur le prix restant dû. Dans ce cadre, l'acheteur n'a plus besoin, pour récupérer son indemnité, d'émettre un titre de recettes ou de faire jouer les garanties financières prévues par le marché.
Cinq ans pour tester. L'expérimentation relative au paiement différé introduite par la loi sera conduite pour une durée de cinq ans. Un rapport d'évaluation sur les contrats conclus sera remis au Parlement dans les trois ans et mis à jour au bout de quatre ans et demi. Celui-ci pourra alors statuer sur la poursuite de l'expérimentation et la pérennisation éventuelle du dispositif.
L'anticipation nécessaire des nouveaux mécanismes du tiers-financement
La présente loi ouvre opportunément la possibilité de mutualiser les rénovations énergétiques des bâtiments publics et instaure par ailleurs des étapes préalables à la conclusion d'un marché avec tiers-financement.
La mutualisation encouragée. Le texte prévoit ainsi que les EPCI et la métropole de Lyon, dotés d'un plan climat-air- énergie, et les syndicats d'énergie pourront prendre en charge pour leurs membres tout ou partie des travaux. Cela permettra un accompagnement significatif des collectivités qui souhaiteront s'adosser financièrement à leur EPCI. Il est en revanche regrettable que le terme « travaux » de l' n'ait pas été remplacé à cette occasion par celui « d'actions d'amélioration de la performance énergétique » pour éviter de donner l'impression - qui n'était vraisemblablement pas dans l'intention du législateur -de ne pas inclure les fournitures et services dans le champ de la mesure. Par ailleurs, lorsque la réalisation d'un projet relève simultanément de la compétence de plusieurs acheteurs, il est possible de désigner par convention l'un d'eux pour conduire la procédure voire conclure le marché.
L'instruction d'un MGP avec tiers-financement. Avant de procéder à l'expérimentation, l'acheteur public doit franchir un certain nombre d'étapes, largement calquées sur celles des marchés de partenariat. Ainsi, il doit procéder à une « étude préalable » ayant pour objet de démontrer que le recours à ce type de contrat est plus favorable que le recours à d'autres véhicules de la commande publique. Ce dispositif, cousin de celui applicable en marché de partenariat (cf. ), s'il peut s'expliquer par le souhait prudent du législateur d'alerter l'acheteur et de conforter le caractère dérogatoire du marché à venir, ne va toutefois pas sans poser de questions. Le juge administratif, on le sait, est exigeant sur la teneur de l'étude préalable en matière de marchés de partenariat (cf. , § 13). Il est donc susceptible, pour l'étude préalable du MGP expérimental, de faire preuve de la même exigence que celle manifestée, par exemple, dans le projet d'accord-cadre de marchés de partenariat pour une opération de rénovation des écoles de Marseille. La prudence est donc de mise et les conseils de l'acheteur comme l'acheteur lui-même devront décider ou non de structurer cette étude comme celle des marchés de partenariat (cf. ) et seront bien inspirés de donner à leur étude une densité forte évitant le reproche de développements stéréotypés.
Il est ensuite possible de s'interroger sur le périmètre de cette étude préalable. Qu'elle compare le projet en MGP expérimental et en marchés séparés va de soi ; qu'elle compare le projet en MGP expérimental et en marché de partenariat, également, dès lors que le statut différent de la maîtrise d'ouvrage entre ces deux véhicules donne lieu, à lui seul, à une vraie comparaison. Qu'elle compare le projet en MGP expérimental et en MGP classique pose en revanche un problème sérieux. En effet, le principal atout du MGP, en raison de son caractère global permettant d'associer le concepteur et le réalisateur par déroga-tion au droit commun de la commande publique, réside dans l'optimisation des interfaces entre la phase de conception- réalisation et la phase d'exploitation-maintenance. Cette optimisation n'est pas différente en MGP expérimental et en MGP classique et ne permettra donc pas de faire la différence ; seul le financement sera donc à même de fonder, entre ces deux variétés de MGP, le bilan plus favorable du MGP expérimental. Or, à ce stade, il ne sera pas facile pour l'acheteur d'anticiper ab initio les conditions de financement des candidats potentiels, d'autant plus que ceux-ci ne feront probablement pas appel à des financements structurés dont les taux de marché peuvent être connus, mais à leur propre financement corporate qui varie considérablement d'un opérateur économique à un autre.
Les acheteurs qui voudront s'essayer à ce nouvel outil souhaiteront aussi se ménager une porte de sortie vers un MGP classique.
Les deux autres formalités d'instruction, à savoir l'étude de soutenabilité budgétaire et la délibération ou la décision préalables selon la forme de l'acheteur, également cousines de celles du marché de partenariat (cf. art. à et à du CCP), ne posent pas de difficultés particulières, si ce n'est de rallonger le processus global.
Le choix de la procédure de consultation. L'acheteur doit ensuite déterminer la procédure de passation de son MGP. Ce choix n'est pas neutre et doit être mis en perspective avec la place de la maîtrise d'ouvrage en MGP. Si les proximités du MGP expérimental et des marchés de partenariat sont légion, une différence essentielle distingue en effet les deux véhicules : en MGP, l'acheteur conserve la maîtrise d'ouvrage alors qu'en marché de partenariat, elle est transférée au titulaire. Cette situation pourrait faire douter de l'efficacité du MGP en ce qu'il laisserait subsister chez le pouvoir adjudicateur la totalité des risques du projet. Cette idée procède pourtant d'une approche assez théorique des MGP dès lors que, conclus après une procédure en dialogue compétitif ou une procédure avec négociation, ces MGP conduisent les candidats à prendre position sur leurs solutions constructives et techniques et sur les effets desquelles ils souscriront une obligation de résultat au travers de la garantie de performance énergétique. Ce faisant, même sans transfert de la maîtrise d'ouvrage, la personne publique est parfaitement en capacité de sécuriser les solutions qui lui sont proposées. Les pratiques avancées des MGP énergétiques de droit commun en attestent… comme les candidats qui se plaignent parfois que le marché leur fait porter trop de risques.
L'acheteur, adepte du pari pascalien ? Compte tenu de l'appareillage procédural et contractuel prévu par la loi, le recours au MGP expérimental doit être décidé avant le lancement de la consultation. L'acheteur souhaitera néanmoins s'assurer de l'efficacité de sa consultation et avoir la certitude qu'à son terme, il pourra conclure un MGP. L'intérêt économique des MGP expérimentaux demeure pour l'heure à établir et justifie d'ailleurs leur caractère expérimental, mais il y a fort à parier que les acheteurs pionniers qui voudront s'essayer à ce nouvel outil souhaiteront se ménager une porte de sortie vers un MGP classique si les offres des candidats, notamment au plan financier, leur paraissent non pertinentes.
La tentation sera donc grande d'organiser une consultation unique permettant de disposer pour chaque candidat d'une offre avec tiers-financement et d'une offre sans. Les modalités pratiques de cette option restent toutefois à clarifier (offre de base et variante obligatoire, par exemple). Et la faisabilité juridique d'une consultation unique portant sur un marché expérimental et un marché de droit commun reste à confirmer ; l'aporie tenant à retenir in fine un MGP classique quand l'étude préalable a établi le bilan plus favorable du MGP expérimental reste à dépasser. Beaucoup de sujets qui relèvent du pari pascalien de l'achat public.