Marchés publics Honorer les architectes (2)

Après avoir examiné dans notre précédent numéro le traitement des honoraires dans les contrats de droit privé, nous abordons cette semaine le régime particulier des marchés publics. Ceux-ci sont soumis à des règles de concurrence qui peuvent faire l’objet d’offres d’honoraires fermes ou de négociations. Ils contiennent aussi des clauses qui peuvent être différentes selon le système d’honoraires choisi et le type de marché retenu par le maître d’ouvrage public.

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CARICATURE - RGL ARCHITECTE A 45.eps

L’obligation d’un marché écrit

L’obligation d’un écrit dans les marchés publics a pour corollaire l’impossibilité de réclamer des honoraires, même si des études ou des plans ont été effectués. En revanche, l’architecte est en droit de réclamer des indemnités qui, non seulement ne seront pas supérieures aux honoraires, mais qui, le plus souvent seront inférieures de 10 à 50 %, du fait de l’imprudence de l’architecte à avoir accepté de remplir sa mission sans respecter le formalisme des marchés publics (1). A défaut de contrat, le maître d’œuvre ne peut se prévaloir du mode de calcul des rémunérations des autres intervenants, ni du fait que ses travaux aient été réutilisés par eux (2).

Faute du maître d’ouvrage. Un architecte qui a établi l’avant-projet et le projet principal, avec dossier de consultation, d’un groupe scolaire qu’une commune se proposait de réaliser sans qu’un contrat soit intervenu entre lui et la ville, ne saurait se prévaloir d’un engagement contractuel pour obtenir le paiement de ses honoraires (3). Mais, dès lors qu’après lui avoir demandé d’établir un projet et donné son accord de principe au projet présenté, la ville a renoncé à faire construire le groupe scolaire, elle a commis une faute engageant sa responsabilité, tandis que l’architecte a commis une imprudence en établissant un projet sans engagement régulier de la ville.

Si l’architecte est en droit de prétendre au paiement d’une indemnité qui ne saurait excéder le montant des honoraires dont il a été privé en l’absence de contrat, les 4/5e du préjudice indemnisable doivent être mis à la charge de la ville.

Avant-projet sommaire et définitif. Un architecte dont la collaboration n’a pas été retenue alors qu’il a établi un avant-projet sommaire (APS) et un avant-projet définitif (APD) avec demande de permis de construire et dossier de consultation des entreprises ne saurait prétendre à des honoraires s’il s’avère, d’une part, qu’aucun contrat écrit n’est intervenu entre lui et la commune, maître d’ouvrage, d’autre part que celle-ci a été contrainte de refuser le projet en raison de son coût prévisionnel trop élevé et de confier la réalisation des travaux à un autre architecte qui a élaboré un nouveau projet à un coût inférieur.

Il ne saurait non plus fonder sa demande en indemnisation sur un enrichissement sans cause de la commune, s’il n’établit pas que celle-ci a tiré un quelconque profit des études qu’il a réalisées. Une telle preuve ne peut résulter du simple fait que, devant les premiers juges, la commune ait accepté, à titre subsidiaire, de verser à l’architecte une somme correspondant à une partie des honoraires (4).

Imprudence de l’architecte. Une commune qui, pendant plus de deux ans, a entretenu des relations avec un architecte pour la mise au point et le remaniement d’un projet de village de vacances est censée lui avoir confié le rôle de maître d’œuvre dans l’opération. En l’absence de tout contrat régulièrement établi, cette commune a commis une faute engageant sa responsabilité extracontractuelle, en demandant à l’architecte de poursuivre activement l’étude du projet auquel elle a par la suite renoncé. Toutefois, sa part de responsabilité à l’égard de l’architecte s’est trouvée atténuée dans la limite de 25 % en raison de l’imprudence commise par ce dernier qui a accepté de réaliser des études sans avoir signé de contrat (5).

Ainsi, l’architecte et l’équipe de maîtrise d’œuvre prennent un risque certain s’ils s’engagent sans marché. Ils ne pourront percevoir que des indemnités inférieures aux honoraires prévus.

Prestations supplémentaires. En cas d’études supplémentaires ou de prolongation de délai de sa mission, l’architecte et l’équipe de maîtrise d’œuvre doivent pouvoir faire signer l’avenant par le décideur public avant même que la prestation ne soit engagée. C’est rarement le cas. Mais la maîtrise d’œuvre ne sera pas sanctionnée si elle a au moins obtenu un ordre de service l’enjoignant de procéder aux études supplémentaires ou à prolonger les délais de sa mission.

Certaines décisions jurisprudentielles estiment que le marché de maîtrise d’œuvre étant forfaitaire, il n’y a pas lieu de demander d’honoraires pour prestations supplémentaires (6). Néanmoins, même en l’absence d’écrit, s’il effectue des prestations supplémentaires non prévues contractuellement mais dont il peut être démontré qu’elles ont été utiles, l’architecte et la maîtrise d’œuvre pourront obtenir une indemnisation et le remboursement de leurs frais sur le terrain juridique de l’enrichissement sans cause (7).

Clauses exorbitantes du droit commun

Pour la doctrine et la jurisprudence, les clauses exorbitantes du droit commun sont notamment celles qui, par des prérogatives de puissance publique dont dispose l’administration, s’imposent unilatéralement au cocontractant (8). Parmi les clauses exorbitantes qui peuvent s’imposer aux architectes ou aux équipes de maîtrise d’œuvre concernant les honoraires, il y a celles qui permettent au décideur public de :

• procéder au recouvrement des créances par état exécutoire. Ainsi, le maître d’ouvrage public prétend que, suite aux fautes de la maîtrise d’œuvre, il veut recouvrer tout ou partie des honoraires déjà versés ;

• suspendre d’office l’exécution du contrat sans mise en demeure préalable et interrompre le règlement des honoraires ;

• prononcer la résiliation unilatérale du marché qui peut être exécutée sans mise en demeure préalable et sans indemnité (9).

Néanmoins, la plupart des marchés de services qui concernent les architectes (marchés de maîtrise d’œuvre, marchés de définition, etc.) sont soumis à un cahier des clauses administratives générales de prestations intellectuelles (CCAG-PI). Celui-ci prévoit (article 36) un régime de résiliation sans faute, respectueux des droits et surtout des dommages subis par le titulaire du marché. En effet, outre une somme forfaitaire d’au minimum 4 % (si elle n’est pas négociée) de la partie résiliée du marché, elle prévoit un système de remboursement des frais tout à fait correct dès lors que le titulaire peut en justifier.

Prescription quadriennale

Depuis la 250 du 31 décembre 1968, les architectes, comme tout créancier d’une entité publique, disposent de quatre ans pour réclamer les honoraires. En termes de marchés publics, le concept d’honoraires fait place à celui de prix, qui est celui de la prestation de services. Ce prix n’est pas négociable dans le cadre d’appels d’offres. En revanche, il est l’objet central de la négociation dans le cadre de marchés négociés. C’est un prix le plus souvent forfaitaire, ferme, actualisable ou révisable, dont les retards de paiement donnent droit obligatoirement à des intérêts moratoires.

Les changements de condition du marché initial

Modifications de programme. Les modifications de programme sont soumises au décret du 29 novembre 1993 (article 30 III). La rémunération de la maîtrise d’œuvre se fait sur la base du programme modifié avec rectification des modalités de l’engagement de la maîtrise d’œuvre sur le coût prévisionnel (10). Les cotraitants de la maîtrise d’œuvre ont tout intérêt à ne pas oublier d’intégrer dans l’avenant une prolongation de la durée de leur marché.

Certaines juridictions administratives refusent d’admettre le principe même des rémunérations dues au fait de modifications de programme, estimant que les prestations supplémentaires exécutées font partie du forfait (11). Toutefois, elles admettent le principe de supplément de rémunération, surtout lorsque le litige a été soumis à l’avis d’un des comités régionaux de conciliation en matière de marchés publics (CCRA) et qu’elles le suivent souvent pour le quantum de rémunération estimé dans son rapport.

Prolongation de la durée du marché. Ce point est plus délicat que le précédent, surtout si les pièces du marché n’ont pas prévu de durée. Néanmoins, si l’opération « dérape » et qu’un retard significatif provient d’une cause non imputable à l’architecte ou à la maîtrise d’œuvre, les maîtres d’ouvrage publics admettent le bien-fondé de la demande de rémunération et acceptent de signer un avenant entérinant les retards dus le plus souvent aux entreprises (12). Pour ce faire, ils peuvent s’appuyer sur l’article 15 du CCAG-PI, quasiment toujours visé dans les pièces de ce type de marché.

Dépassement du coût prévisionnel des travaux. La souplesse instaurée par la loi MOP et le décret du 29 novembre 1993 permet à la maîtrise d’œuvre de ne s’engager définitivement sur le coût des travaux qu’à partir de la phase de l’APS ou de l’APD, ou même jusqu’à la phase projet (PRO) selon l’extension légalisée par la réforme récente de la loi MOP (13). Mais toute rémunération supplémentaire est exclue dans la mesure où les appels d’offres sont infructueux : la maîtrise d’œuvre doit alors reprendre gracieusement ses études. Si elle n’y parvient pas, le maître d’ouvrage peut résilier le marché.

Cependant, si le dépassement du coût prévisionnel prend sa source dans les modifications du programme ou la prolongation de la durée de la mission de la maîtrise d’œuvre en dehors de toute faute, l’architecte et la maîtrise d’œuvre seront bien-fondés à demander une rémunération supplémentaire. Toutefois, se pose le problème de l’importance du dépassement du coût des travaux et de celle de l’augmentation de la rémunération qui en est le corollaire.

Un problème complexe

Les honoraires d’architectes constituent un problème culturel, structurel et économique.

• Un problème culturel : celui de la reconnaissance des prestations intellectuelles effectuées par les architectes. Il aurait fallu aborder la rémunération des architectes au titre de la cession de leurs droits patrimoniaux. Or il est consternant d’observer que celle-ci est totalement occultée au point que certains maîtres d’ouvrage omettent même de prévoir une clause de cession de ces droits d’auteur.

• Un problème structurel : la non-rémunération de certaines prestations architecturales ou leur non-évaluation sont dues à des pratiques liées au financement, aux prévisions budgétaires ou aux structures d’entreprises. Les grandes entreprises sans direction immobilière qui disposent de budgets importants ne sont pas choquées lorsqu’un architecte leur demande d’être réglé à la journée dans une fourchette de 1 000 à 2 000 euros HT ou à la semaine 5 000 à 10 000 euros HT. Les architectes sont enfermés dans une logique de rémunération qui les dessert, celle du pourcentage en fonction du coût des travaux.

• Un problème économique : l’enchérissement du coût de la construction et la course sauvage aux prestations supplémentaires se font le plus souvent au détriment des architectes. Ces derniers se voient au surplus réduire leur mission (mais pas leur responsabilité) au point que certains acceptent de ne faire que du projet d’architecture pour le permis de construire, faute d’être suffisamment réglés.

Même si le paysage des relations entre les architectes et leurs maîtres d’ouvrage est préoccupant, il ne faut pas oublier que ces derniers prennent peu à peu conscience de l’importance de l’architecture pour la vie quotidienne, pour leur propre image et pour la qualité de leurs produits. De ce fait, ils entretiennent des relations sereines et souvent cordiales avec leurs architectes. C’est aussi leur manière de les honorer. Ne pas honorer les architectes, c’est bien souvent les déshonorer, mais ne pas bien servir le maître d’ouvrage (sans être asservi et en toute indépendance) c’est aussi porter atteinte à l’honneur des architectes.

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