Jurisprudence

Marchés publics globaux: confirmation de l’exception aux obligations d’allotissement et de constitution d’un jury

S’ils n’ont jamais été érigés en principes généraux de la commande publique, l’allotissement et la constitution d’un jury restent cependant des obligations dont les dérogations sont strictement encadrées et ne peuvent donner lieu à interprétation, a rappelé le Conseil d’État.

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Allotissement
Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2019/04/08N°426096

Un marché public global est-il soumis à l’obligation d’allotissement ? Une telle interrogation semble, du fait de l'intitulé même de ce contrat, appeler une réponse négative ; mais telle n’était pas l’interprétation du tribunal administratif de La Réunion. Celui-ci a en effet répondu par l'affirmative dans une ordonnance de référé précontractuel rendue à la demande d'une société évincée de la passation d’un marché public global de performance (MPGP) portant sur la conception, la réalisation, l'exploitation et la maintenance d'une infrastructure de communications à très haut débit (TA La Réunion, ord. 23 nov. 2018, n° 1800910).

Le Conseil d'Etat, saisi par la région Réunion et la société attributaire du contrat, a cependant annulé cette ordonnance, en confirmant notamment que l’obligation d’allotissement n’est pas applicable à ce type de marché (CE, 8 avril 2019, n° 426096).

Une exception à l’allotissement applicable à l’ensemble des marchés publics globaux

L’allotissement n’est certes pas un principe général, mais il est une règle de base s’appliquant à un vaste champ de marchés publics.

L’article 32 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (ci-après « l’ordonnance »), en vigueur au moment des faits, disposait en effet que « les marchés publics autres que les marchés publics de défense ou de sécurité sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes ». Le principe a été repris dans le Code de la commande publique (CCP) à l’article L. 2113-10 pour les marchés publics dits « classiques » (et toujours aussi souplement à l’article L. 2313-5 pour les marchés de défense ou de sécurité, qui peuvent, mais ne doivent pas, être passés en lots séparés).

Cette règle était cependant tempérée en ce que les marchés globaux étaient directement exclus par cet article 32, ce que n’a pas manqué de noter le Conseil d’Etat : l’obligation d’allotissement n’est applicable que « sous réserve des marchés publics globaux mentionnés à la section 4 ». Cette section 4, ajoute-t-il, englobe dans l’ordonnance trois sous-sections, chacune concernant un type de marché global spécifique : les marchés publics de conception-réalisation (art. 33), les marchés publics globaux de performance (art. 34) et les marchés publics globaux sectoriels (art. 35).

En jugeant que les marchés publics globaux de performance étaient soumis à une obligation d’allotissement, le juge du tribunal administratif commettait une erreur de droit : l’obligation énoncée par l’article 32 de l’ordonnance « ne s’applique pas aux marchés qui entrent dans l’une des trois catégories mentionnées à la section 4 ».

Si la porte d’une interprétation de ces dispositions avait pu être entrouverte par l’auteur de l’ordonnance du référé, le Conseil d’Etat l’a définitivement fermée. Et les dispositions du Code de la commande publique, bien que non applicables à l’époque des faits (il est entré en vigueur le 1er avril 2019), viennent renforcer la fermeté de cette décision : les marchés globaux passés par dérogation au principe d’allotissement sont désormais explicitement listés par l’article L. 2171-1 du nouveau code.

Le caractère facultatif de la désignation de jury circonscrit à certains cas

De nombreux arguments étaient avancés par la société évincée à l’appui de la demande d’annulation de la procédure de passation qui lui était défavorable. Tous ont cependant été rejetés par le juge administratif.

L’intégralité du rapport d’analyse des offres aurait dû lui être communiquée ? La société n’avait pourtant pas requis de la région qu’elle lui communique les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue.

Les besoins auraient été insuffisamment définis ? « Les conditions d’affermissement de chaque tranche optionnelle et la détermination de la consistance des tranches sont définies de manière précise par les documents de la consultation. »

Les spécifications techniques du marché auraient été illégales en ce qu’elles auraient eu pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ? Le juge réfute cette position, rappelant que le modèle de données constituant un ensemble de spécifications est « accessible, avec les sources et la documentation associée, sous licence libre et mis en œuvre avec des logiciels libres et dans le cadre d’un développement ouvert. » Ce qui ne peut, en ce cas précis, conduire à favoriser ou éliminer un opérateur économique.

Un point d’éclaircissement retiendra cependant notre attention : l’obligation de constitution d’un jury. Par la combinaison de plusieurs articles du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics (ci-après « le décret »), il était en effet prévu que la désignation de ce jury par l’acheteur serait conditionnée par la valeur estimée d’un besoin égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée. Cette obligation concernait tant les marchés publics de conception-réalisation (art. 91-II-1°) que ceux de maîtrise d’œuvre (art. 90-II-2°), mais également les marchés globaux de performance (art. 92-III).

Au vu de cette dernière disposition, la société évincée, arguant de l’absence de constitution d’un jury dans le cadre de la procédure de passation d’un MPGP, aurait pu sembler voir sa requête aboutir favorablement. C’était sans compter sur la vigilance de la Haute juridiction qui, citant l’article 91-II-2° du décret, rappelle le caractère facultatif de la désignation du jury dans le cas précis des « marchés publics de conception-réalisation passés par les pouvoirs adjudicateurs dans les hypothèses énumérées aux a à c du 1° du II de l'article 90 ». Par renvoi au c) de cet article 90-II-1°, elle vise ensuite et précisément les « marché(s) public(s) de maîtrise d’œuvre relatif(s) à des ouvrages d’infrastructure ». Le rapprochement avec le cas d’espèce n’a plus qu’à être effectué, et la démonstration juridique à être exécutée : le marché litigieux ayant pour objet « la conception, la réalisation et l’exploitation d’une infrastructure de communications électroniques à très haut débit, relève de cette dérogation ».

L’acheteur qui voudra, à l’avenir, user de cette dérogation, se référera similairement aux 1° de l’article R. 2171-16 et 3° de l’article R. 2172-2 du CCP désormais en vigueur : la désignation du jury reste, pour ce cas spécifique, toujours facultative.

Conseil d'État, 8 avril 2019, n° 426096 et 426914, mentionné aux tables du recueil Lebon

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