Réformant en profondeur le droit des procédures collectives, la loi de « sauvegarde des entreprises » est entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Le législateur a voulu inciter les chefs d’entreprises et leurs partenaires à anticiper les difficultés le plus tôt possible, notamment par le biais de mesures de prévention. Les procédures visant à anticiper les difficultés de l’entreprise sont multipliées. Une procédure de conciliation se substitue au règlement amiable, tandis qu’une sauvegarde est créée. Certaines sanctions encourues par les dirigeants sont allégées pour les inciter à saisir la juridiction commerciale et à lever leurs éventuelles appréhensions. Par ailleurs, les créanciers sont encouragés à prendre part à la recherche de solutions pour l’entreprise en difficulté et leur sort est amélioré sur certains points (paiement privilégié de certaines créances, suppression de l’extinction automatique des créances non déclarées, etc.). Cette réforme, abondamment commentée dans ses conséquences en droit des sociétés (1) est également susceptible de produire des effets en matière de marchés publics.
Deux nouvelles procédures
La procédure de conciliation
La procédure de conciliation (art. L.611-4à 15 du Code de commerce), destinée à permettre aux entreprises d’anticiper, en accord avec les créanciers, certaines difficultés à venir, se substitue à l’ancien « règlement amiable » et le modifie sur de nombreux points. Elle est ouverte aux entreprises qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours. Son objectif est de favoriser la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers, ainsi que les cocontractants habituels, sous la houlette d’un conciliateur nommé par le président du tribunal de commerce.
Durée de la procédure
Pendant toute la période de conciliation, le redressement ou la liquidation judiciaire ne pourront pas être demandés par un créancier. L’entreprise débitrice échappera donc à ces procédures pendant une durée maximum de 6 mois et demi. Soulignons ici une difficulté pour la personne publique contractante : cette procédure pourra bénéficier à des entreprises dont les difficultés ne sont que prévisibles, mais également à d’autres qui sont déjà en état de cessation des paiements (depuis moins de 45 jours) et pourront se maintenir dans cette situation pendant une certaine durée, sans pour autant avoir mis en œuvre une procédure de redressement judiciaire.
Homologation de l’accord
En cas d’accord, et dans l’hypothèse où le débiteur n’est pas en état de cessation des paiements (ou si l’accord met fin à cet état), celui-ci pourra être homologué par le tribunal de commerce. L’homologation de l’accord met fin à la procédure de conciliation et suspend toute poursuite de la part des créanciers ayant signé cet accord. A défaut d’accord, à l’issue de la période de conciliation, le tribunal doit se saisir d’office afin de statuer sur l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, voire de liquidation judiciaire.
La procédure de sauvegarde
Cette procédure constitue la véritable innovation de la loi du 26 juillet 2005. Elle est ouverte à la demande du débiteur qui « justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements » (art. L.620-1 du Code de commerce). Contrairement à la conciliation, la procédure de sauvegarde ne peut être ouverte que pour des difficultés avérées (et non prévisibles). Par ailleurs, le débiteur ne doit pas se trouver, à l’ouverture ou en cours de procédure, en état de cessation des paiements. A défaut, le tribunal devra obligatoirement convertir la procédure en redressement ou en liquidation judiciaire.
Période d’observation
Au prononcé du jugement s’ouvre une période d’observation d’une durée maximale de 6 mois. Dès l’ouverture de cette période d’observation, il est réalisé un inventaire du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent. L’administrateur est chargé d’élaborer un bilan économique et social de l’entreprise qui doit lui permettre de proposer un plan de redressement ou de liquidation. A tout moment, le tribunal peut ordonner la cession partielle de l’activité, convertir la procédure en redressement ou en liquidation judiciaire, mettre fin à la procédure, si les difficultés qui ont justifié son ouverture ont disparu.
Plan de sauvegarde
Au vu du bilan économique et social, et après avoir consulté les créanciers, le tribunal arrête le plan de sauvegarde qui ne peut excéder 10 ans. Le jugement peut imposer des modifications du périmètre d’activité de la société (par des cessions, des adjonctions, des arrêts de certaines activités). En revanche, le plan de sauvegarde ne peut pas imposer la cession totale de l’entreprise. Le plan fixe les obligations et les engagements nécessaires à la sauvegarde de l’entreprise. Il désigne les personnes responsables de l’exécution du plan, expose et justifie le niveau et les perspectives d’emploi. A l’issue de la période d’exécution du plan, est instituée une procédure de constatation d’exécution. Toutefois, le plan pourra être résolu en cas d’inexécution de ses engagements par le débiteur ou par la survenance de l’état de cessation des paiements en cours d’exécution du plan. Dans cette dernière hypothèse, le tribunal devra nécessairement décider la résolution du plan et prononcer la liquidation judiciaire.
La sélection des entreprises en difficulté
Le Code 2006 des marchés publics (CMP) a modifié la présentation des conditions dans lesquelles les entreprises en difficulté peuvent soumissionner à un marché public. L’article 43 renvoie aux dispositions de l’article 38 de l’ relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics.
Informations à communiquer
L’entreprise en redressement judiciaire doit produire, à l’appui de sa candidature, copie du ou des jugements prononcés à cet effet. Dès lors que la durée d’observation couvre la durée d’exécution du marché, l’entreprise ne peut voir sa candidature écartée pour ce motif. Le CMP est en revanche silencieux sur la possibilité qu’aurait un pouvoir adjudicateur d’exiger des renseignements quant à l’implication éventuelle du candidat dans une procédure de conciliation ou de sauvegarde.
Or, en matière de sélection des candidatures, les renseignements et les pièces listés à l’ présentent, par principe, un caractère limitatif. La jurisprudence administrative sanctionne toute demande aux candidats de documents non mentionnés dans le Code (2). Une demande de justification sur l’existence d’une procédure de sauvegarde ou de conciliation pourrait donc être un motif d’annulation de la procédure de passation.
Les limitesEn cas de conciliation
La procédure de conciliation étant par nature confidentielle, l’administration qui aurait connaissance de l’existence d’une telle procédure ne pourrait exiger de l’entreprise candidate qu’elle justifie être habilitée à poursuivre son activité pendant la durée d’exécution du marché. La conciliation n’est pas une procédure collective. En outre, elle a précisément pour objet d’anticiper certaines difficultés à venir, et l’activité de l’entreprise se poursuit. Enfin, l’ouverture de cette procédure permet à l’entreprise d’échapper à un redressement ou à une liquidation judiciaire jusqu’à la clôture de la procédure et, au maximum, pendant six mois et demi après la cessation des paiements. Dès lors, il serait inéquitable de rendre obligatoire la transmission de cette information au pouvoir adjudicateur.
En cas de sauvegarde
La procédure de sauvegarde est une procédure collective. A cet égard, le pouvoir adjudicateur à intérêt à savoir si la période d’observation couvre ou non la durée d’exécution du marché, puisque l’activité de l’entreprise objet du marché public en cause pourrait être arrêtée à l’issue de celle-ci. En outre, si le tribunal constate que l’entreprise ne peut pas être sauvegardée, il pourra prononcer soit le redressement judiciaire qui ouvre alors une nouvelle période d’observation, soit – et c’est là que demeure le risque – la liquidation judiciaire.
Poursuite des marchés en cours
Lors de l’exécution d’un marché public, l’entreprise est susceptible d’être confrontée à des difficultés qui la contraindront à se placer, entre autres, soit sous le régime de la conciliation, soit sous celui de la sauvegarde. L’administration, co-contractant de l’entreprise en difficulté, devra alors se déterminer sur une éventuelle poursuite du contrat, sur l’octroi de délais ou sur d’autres modifications au contrat d’origine.
Sauvegarde : le sort du contrat
Aux termes de l’article L.622-13 du Code de commerce, « l’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. Le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure adressée à l’administrateur restée plus d’un mois sans réponse ». Aucune résiliation du marché public ne pourra donc résulter du seul fait de l’ouverture de la procédure de sauvegarde. Toutefois, l’administration pourra désormais, comme tout créancier dont le contrat n’est pas poursuivi par l’administrateur, demander le paiement de dommages-intérêts qui seront déclarés au passif de la procédure collective. En outre, dans le cadre d’un plan de sauvegarde, peut être envisagée la cession de telle ou telle activité ou de tel ou tel contrat ou actif. Or, la cession à un tiers d’un marché public qui aurait pour conséquence une modification du titulaire des droits et obligations souscrits dans le cadre dudit marché va se heurter à la nécessité d’obtenir l’accord préalable de l’administration (3). Cet accord pourra être refusé notamment si le cessionnaire ne présente pas les garanties financières suffisantes à la poursuite du contrat. En revanche, les caractéristiques principales du contrat (durée, nature de la prestation, prix, etc.) ne pourront pas être remises en cause par le cessionnaire.
Conciliation : vers une renégociation ?
La mission principale du conciliateur est de « favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers, ainsi que, le cas échéant, ses contractants habituels, d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise » (art. L.611-7 du Code de commerce). A ce titre, il pourra être amené à formuler des propositions d’aménagement des marchés conclus par l’entreprise en difficulté. Or, les contractants privés bénéficient d’une latitude que n’offre pas le droit des marchés publics, qu’il s’agisse de la possibilité d’accorder de nouveaux contrats, de la renégociation des délais d’exécution ou des remises de dette (voir encadré).
En définitive, un équilibre devra être trouvé entre le déterminisme des procédures collectives et le souci des maîtres d’ouvrage de voir les prestations commandées, notamment en matière de travaux, achevées dans les meilleurs délais. Les quelques avancées du Code 2006 pour remédier aux situations d’entreprises défaillantes (procédure adaptée pour les « petits lots » dont l’exécution est inachevée après résiliation du marché, modification du groupement en cas de défaillance d’un co-traitant) apportent des solutions.

