MARCHES PUBLICS Des règles unifiées pour les personnes non soumises au Code

L’adoption des nouvelles directives « Marchés publics » a conduit, il y a peu, la France à faire évoluer les règles du Code des marchés publics. Avec l’ordonnance du 6 juin dernier, qui entrera en vigueur au 1er septembre, c’est maintenant au tour de la réglementation des marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics mais dont l’action reste encadrée au niveau communautaire.

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L’ relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics, dont l’entrée en vigueur a été fixée au 1er septembre prochain, vise avant tout à parfaire la transposition en droit interne des règles de passation des marchés publics issues du droit européen (1).

Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, hors l’application du Code, les marchés d’un certain nombre d’organismes publics (établissements publics à caractère industriel et commercial de l’Etat, Opac, OPHLM,…) mais surtout privés (sociétés d’économie mixte, SA d’HLM,…) se trouvent soumis au respect d’obligations de publicité et de mise en concurrence. Ces obligations ressortaient essentiellement, jusqu’à aujourd’hui, du titre II de la soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence et la loi n° 92-1182 du 11 décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports, et des télécommunications.

Emportant abrogation de ces textes (2), l’ordonnance du 6 juin 2005 leur substitue un seul et même corps de règles. Elle permet de clarifier quelque peu le régime de passation des marchés de l’ensemble des organismes non soumis au Code des marchés publics mais dont l’action reste encadrée au niveau communautaire.

Un champ d’application toujours relativement complexe

Sont soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 « les contrats conclus à titre onéreux avec des opérateurs économiques publics ou privés par les pouvoirs adjudicateurs (…) ou les entités adjudicatrices (…), pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services » (3) (article 1er).

Pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices. L’ordonnance consacre désormais clairement la distinction opérée en droit communautaire entre « pouvoir adjudicateur » et « entité adjudicatrice ».

Sont considérés comme des pouvoirs adjudicateurs (4):

– les organismes de droit public ou privé dotés de la personnalité juridique, qui ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, et soumis à l’influence dominante d’un autre pouvoir adjudicateur, soit que ce dernier en finance majoritairement l’activité, soit qu’il en contrôle la gestion, soit encore qu’il désigne plus de la moitié des membres du conseil d’administration, de direction ou de surveillance de l’organisme ;

– les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique et constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun ;

– et enfin la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations (5).

Une entité adjudicatrice n’est quant à elle, dans la majorité des cas, rien d’autre qu’un pouvoir adjudicateur exerçant une activité dite d’opérateur de réseaux. Quatre secteurs sont ici principalement concernés : l’énergie (électricité, gaz, chaleur), l’eau (et dans une certaine mesure l’assainissement), les transports (terrestres, mais également aériens et maritimes) et les services postaux (nouvelle catégorie d’activité qui n’entrait pas jusque-là dans le champ de la réglementation des marchés des opérateurs de réseaux). Les services de télécommunications ne sont dorénavant plus visés. On notera que l’activité d’opérateur de réseaux s’entend, au sens de l’ordonnance, non seulement de l’exploitation ou de l’alimentation desdits réseaux, mais également de l’organisation ou de la mise à disposition de ces mêmes réseaux, y compris désormais dans le domaine des transports.

Double activité. Les entités adjudicatrices sont, dans la plupart des cas, des pouvoirs adjudicateurs exerçant une activité de réseaux. Cela conduit à ce qu’un même organisme puisse parfois avoir à satisfaire un besoin lié à la fois à une activité classique et à une activité de réseau et soit, par conséquent, amené à agir à la fois en tant que pouvoir adjudicateur et en tant qu’entité adjudicatrice. L’ordonnance prévoit dans ce cas la possibilité de passer un seul marché ou deux marchés distincts, avec, en cas de marché unique, l’obligation de se soumettre aux règles applicables à l’activité à laquelle le besoin à satisfaire est principalement lié (article 36).

Au nombre des entités adjudicatrices figurent aussi les entreprises publiques, définies comme « tout organisme doté de la personnalité juridique qui exerce des activités de production ou de commercialisation de biens ou de services marchands et sur lequel un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs (…) exercent, directement ou indirectement, une influence dominante en raison de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent », ainsi que les organismes détenteurs de droits spéciaux ou exclusifs ayant pour effet « de leur réserver l’exercice d’une ou de plusieurs des activités [de réseaux] et d’affecter substantiellement la capacité des autres opérateurs économiques d’exercer ces activités ».

L’ordonnance ajoute : « Ne sont pas considérés comme des droits spéciaux ou exclusifs pour l’application de ces dispositions les droits accordés à l’issue d’une procédure permettant de garantir la prise en compte de critères objectifs, proportionnels et non discriminatoires » (article 4). Cette précision a son importance : elle devrait permettre de lever les incertitudes quant au fait de savoir si les contrats conclus avec des tiers par les délégataires de service public opérateurs de réseaux sont ou non soumis au respect d’obligations de publicité et de mise en concurrence. Hors le cas des concessionnaires de travaux (6), la réponse semble être négative. Il paraît en effet difficile de soutenir qu’en l’état de la réglementation applicable à la dévolution des délégations de service public, et si celle-ci est respectée, la passation des délégations ne s’effectue pas selon des critères objectifs, proportionnels et non discriminatoires.

Exclusions. Un certain nombre de marchés demeurent exclus, en raison de leur objet, du champ d’application de l’ordonnance. Ces exclusions sont pour beaucoup les mêmes que celles prévues par le Code des marchés publics et portent par exemple sur les marchés ayant pour objet l’acquisition ou la location de biens immobiliers, les marchés de services financiers relatifs à l’émission de titres ou encore les marchés passés pour l’achat d’œuvre d’art (article 7).

Sont également exclus les marchés dits « in house » conclus entre un pouvoir adjudicateur et un cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de ses activités pour lui, à condition que ce cocontractant applique, lui, les règles de l’ordonnance ou du Code des marchés publics (articles ).

Dans le même esprit, deux séries d’exclusions méritent encore de retenir l’attention. La première a trait aux marchés conclus par une entité adjudicatrice avec une entreprise liée c’est-à-dire avec une entreprise dont les comptes sont consolidés avec les siens ou, s’agissant des marchés passés par les entreprises publiques de réseaux, avec une entreprise exerçant une influence dominante sur ladite entreprise publique ou inversement (article 29). Echappent également en deuxième lieu aux règles posées par l’ordonnance, les contrats conclus pour l’alimentation en gaz, en chaleur, en électricité ou encore en eau potable de réseaux de service public lorsque la production du fluide a été rendue nécessaire par une activité autre qu’une activité de réseau et que les quantités livrées ne dépassent pas un certain seuil (article 27).

Un contenu normatif encore très général

Si l’ordonnance détermine très précisément le champ d’application des règles relatives aux marchés conclus par les personnes publiques ou privées non soumises au Code, elle ne définit que très peu de ces règles. Elle renvoie pour cela à de nombreux décrets en Conseil d’Etat à paraître (voir encadré). On relèvera néanmoins l’affirmation des principes fondamentaux qui régissent le droit de la commande publique, à savoir les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, dont on sait qu’ils doivent conduire pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices à adopter, par-delà les règles écrites, une déontologie de comportement particulièrement rigoureuse.

Interdictions de soumissionner. Les seules règles qui soient véritablement détaillées au stade de l’ordonnance sont les interdictions de soumissionner. Là encore, on retrouve les interdictions déjà prévues par le Code des marchés publics (personnes en état de liquidation judiciaire, personnes n’ayant pas satisfait à leurs obligations fiscales et sociales…), auxquelles s’ajoutent d’autres interdictions directement issues des directives communautaires concernant par exemple les personnes ayant été condamnées pour un délit affectant leur moralité professionnelle (escroquerie, abus de confiance, blanchiment…) ou s’étant rendues coupables de faux. Et l’on notera avec intérêt que l’ordonnance prévoit de rendre ces interdictions également applicables aux soumissions aux marchés conclus sur le fondement du ).

Procédures de passation. S’agissant des procédures de passation des marchés, l’ordonnance prévoit qu’elles puissent être ouvertes (« lorsque tout opérateur économique intéressé est admis à présenter une offre ») ou restreintes (« lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice invite un certain nombre de candidats choisis sur la base de critères objectifs et non discriminatoires à participer à la procédure »).

Quatre types de procédures sont énumérés (article 12) : appel d’offres, dialogue compétitif, procédure négociée, et concours. L’ordonnance renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de définir les cas dans lesquels il est possible d’avoir recours à ces différents types de procédures et leurs modalités de mise en œuvre.

Contenu des marchés. Le contenu des marchés est également évoqué, l’ordonnance prévoyant notamment la fixation par décret des conditions de détermination de la durée (article 20) ou encore du prix et de ses modalités d’évolution en cours d’exécution (article 19). On relèvera aussi l’interdiction d’insérer des clauses de paiement différé dans les marchés passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. Cela devrait signifier que de telles clauses sont admises dans les marchés conclus par les personnes privées soumises à l’ordonnance et dont les deniers bénéficient ainsi d’une moindre protection que les deniers publics.

Recours précontractuels. L’ordonnance reprend enfin les dispositions des lois du 3 janvier 1991 et du 11 décembre 1992 relatives aux recours précontractuels permettant de saisir le juge du contrat des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence commis à l’occasion de la passation du marché, avec toujours une spécificité concernant les manquements commis par les entités adjudicatrices tenant à la possibilité de solliciter leur condamnation sous astreinte (article 33). Les marchés visés par l’ordonnance pouvant relever soit du droit public, soit du droit privé, il est tenu compte de la dualité juridictionnelle pour en connaître avec un renvoi aux dispositions du Code de justice administrative, s’agissant des règles applicables aux recours précontractuels relatifs à la passation des marchés de droit public. Pour ce qui concerne les marchés de droit privé, les modalités de répartition des contentieux au sein de l’ordre judiciaire ne sont pas abordées. Dans nombre de cas, les hésitations entre la saisine du juge civil ou du juge commercial devraient perdurer. Sur ce point encore, l’ordonnance du 6 juin 2005, si elle offre une meilleure lisibilité de la réglementation, n’en résout malheureusement pas vraiment la complexité de mise en œuvre.

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