Marchés publics : conseils de pros pour obtenir une indemnité d'imprévision

Les entreprises victimes de hausses de prix des matériaux consumant leurs marges doivent être méticuleuses dans leurs dossiers adressés à la maîtrise d'ouvrage pour invoquer l'imprévision.

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L'entreprise doit fournir des factures, des devis ne suffisent pas.

Le dispositif de l'imprévision, qui permet au titulaire d'un marché public d'être indemnisé « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat » (article L. 6 du Code de la commande publique), connaît un regain de popularité avec la crise des matériaux et les hausses de prix. Mais son application n'a rien d'automatique, et les entreprises n'ont pas toujours les clés pour le faire jouer. Heureusement, elles peuvent se faire accompagner. C'est notamment dans cette optique que Lise Pesta et Cécilia Kieffer, responsables de l’offre de services « Artisans & Commande Publique » respectivement à la chambre de métiers et de l'artisanat de Région Grand-Est et à la chambre de métiers d’Alsace, ont animé un webinaire « Exécution des marchés publics : comment éviter les mauvaises surprises ? Spécial hausse des prix » le 7 juin.

Lire le contrat, anticiper !

Cécilia Kieffer livre des conseils très concrets aux entreprises, pour actionner en premier lieu des leviers plus simples et jouant plus en amont que celui de l'imprévision. « Tout d'abord, lisez le contrat ! Le règlement de consultation, le CCTP, le CCAP... pour vérifier ce qui a été convenu avec l’acheteur, l’existence ou non de clauses de révision de prix, de réexamen, ou de sauvegarde, leur contenu, leurs modalités. »

Si le contrat ne prévoit rien pour faire face aux hausses de prix actuelles, il faut envisager d’autres actions. « Et surtout, toujours anticiper, prévenir l’acheteur en cas de difficulté, ne pas glisser la poussière sous le tapis ! », conseille Cécilia Kieffer. Il s’agira ainsi de discuter avec lui pour voir s’il est possible de geler les pénalités de retard et d’aménager les délais afin d’éviter des surcoûts supplémentaires ; de modifier le contrat par avenant, par exemple pour remplacer un matériau par un autre, pour prévoir des travaux supplémentaires… « Mais certains acheteurs sont parfois réticents à s’engager sur cette voie », prévient-elle.

Emilie Frey, directrice adjointe de la commande publique à la Métropole du Grand Reims, avance d'autres pistes : « Le CCAG travaux permet aujourd’hui de faire des acompte sur approvisionnements. Il est également envisageable de mettre en place une convention tripartite avec les fournisseurs pour faire une délégation de paiement permettant à l’acheteur public de régler directement les factures aux fournisseurs ».

Des factures, pas des devis

Quand ces leviers ne suffisent pas, les parties peuvent se tourner vers le mécanisme de l'imprévision. « La fixation de l'indemnité prendra la forme d’un nouveau contrat annexé au marché initial, explique Cécilia Kieffer, et des concessions réciproques doivent être consenties. Autrement dit, l’entreprise doit conserver à sa charge une partie du surcoût. Le dispositif est relativement lourd, car c’est à l’entreprise d’argumenter sur les difficultés, et d’apporter toutes les preuves nécessaires pour obtenir une indemnité. Cela suppose un certain travail. »

A la Métropole du Grand Reims, Emilie Frey confirme : « Nous sommes très précautionneux sur les justificatifs demandés aux entreprises ; une collectivité ne peut signer de chèque en blanc ! Et nous veillons à bien leur expliquer quoi nous fournir, et pourquoi ». La métropole a été très sollicitée depuis l’an dernier par des prestataires souhaitant voir évoluer les conditions de variation de prix de leurs marchés, « ce qui n’est pas possible en raison du principe d’intangibilité des prix, estime la directrice adjointe. Nous leur avons proposé de formuler des demandes d’indemnité d’imprévision, mais pendant longtemps, très peu d’entre eux l’ont fait. Ces derniers jours, les demandes commencent à affluer ».

Pauline Wibratte, du bureau Litiges et Contentieux de l’Esid de Metz (ministère des Armées), détaille : « Pour débloquer des fonds au titre de l’imprévision, nous demandons à nos cocontractants de prouver le déficit d’exploitation – et pas un simple manque à gagner - en fournissant des factures [de matériaux, par exemple, NDLR]. De simples devis ne suffisent pas. Ils doivent également nous remettre le détail de la décomposition du prix global et forfaitaire pour matérialiser les différences de prix ».

Dialogue et transparence

« La situation s’emballe, constate Catherine Heinz, responsable achats chez Batigère Grand Est (entreprise sociale pour l’habitat). De nouveaux secteurs d’activité sont à présent en difficulté. Malheureusement, certaines entreprises ont senti l’effet d’aubaine et nous ont demandé + 30 % sur la totalité de leur marché ! Il faut vraiment justifier, et analyser chaque élément de la demande ». Elle invite également ses partenaires à soigner leur approche : « Il est fondamental d’être transparent. Je sais que cela embête les entreprises de constituer des dossiers, mais pour nous c’est très important. Et surtout, éviter l’agressivité pour formuler sa demande… Nous sommes ouverts au dialogue et recevons volontiers les titulaires. »

Un souci du dialogue partagé par Emilie Frey : « Nous ne sommes pas là pour être bloquants, il est dans notre intérêt d’aider nos fournisseurs à constituer les dossiers d'indemnités pour assurer in fine une bonne exécution du contrat ». Elle souligne un point délicat : « Les demandes doivent faire état du prix initial, mais aussi de la marge du cocontractant, afin de pouvoir évaluer la perte subie. Nous rencontrons certaines réticences des entreprises à communiquer sur ce point. Mais ce sont les recommandations de la circulaire [du Premier ministre du 30 mars 2022, NDLR] ». Emilie Frey ajoute que si l’imprévision ne permet d’indemniser que le passé - sur factures -, et pas de traiter les difficultés futures, « le versement d’une indemnité provisionnelle en cours de marché est possible en cas de problèmes particulièrement lourds ».

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