La constitution de groupements momentanés d’entreprises (GME) est une technique de coopération aujourd’hui largement pratiquée. Le juge ne la sanctionne plus tant qu’elle respecte les règles élémentaires du droit des groupements (avis n° 05-A-23 du 5 décembre 2005 du Conseil de la concurrence). Le besoin qu’éprouvent les entreprises à se regrouper répond à un souci de pouvoir soumissionner de nouveaux marchés auxquels elles ne pourraient accéder seules. La force d’une telle union permet de présenter au maître d’ouvrage une équipe aux compétences élargies et variées. Le GME présente un intérêt quantitatif (une capacité accrue), mais aussi qualitatif (une offre diversifiée).
La participation des entreprises à la réalisation de l’ouvrage commun peut s’opérer à divers niveaux : soit certaines entreprises décident de contracter directement avec le maître d’ouvrage tout en concluant entre elles un accord de coopération (c’est l’hypothèse de la cotraitance) ; soit certaines d’entre elles ne souhaitent intervenir qu’en arrière-plan et n’établir de rapport contractuel qu’avec l’un des cotraitants (c’est l’hypothèse de la sous-traitance). Ces deux situations se combinent souvent pour donner naissance à des schémas originaux de coopération, où les rôles respectifs des intervenants prêtent parfois à confusion.
Distinction de la sous-traitance et de la cotraitance
D’un point de vue structurel
La sous-traitance est l’opération par laquelle l’entrepreneur principal soumet la réalisation de tout ou partie du marché qu’il a passé avec le maître d’ouvrage à un ou plusieurs sous-traitants. Un rapport hiérarchique – voire chronologique – entre le marché principal et le (ou les) sous-traité(s) s’impose, conférant à cette structure un aspect linéaire et vertical, où seul l’entrepreneur principal est contractant du maître d’ouvrage.
En revanche, la cotraitance est l’opération par laquelle tous les entrepreneurs conviennent individuellement avec le maître d’ouvrage des conditions de réalisation de leur propre lot, avant de passer entre eux une convention de GME destinée à déterminer les modalités de leur coopération. La cotraitance devient dès lors une structure circulaire et horizontale, où tous les intervenants sont directement liés au maître d’ouvrage.
D’un point de vue juridique
La sous-traitance est soumise à un régime de droit spécial. La loi du 31 décembre 1975 organise précisément cette pratique et frappe de nullité toutes les dispositions contractuelles qui lui seraient contraires. Le caractère d’ordre public de ce texte confère au sous-traitant un statut protecteur auquel les entreprises ne sauraient échapper.
A l’inverse, aucune disposition particulière ne s’impose en matière de cotraitance, hormis celles convenues librement par les cotraitants. Aucun statut légal spécifique ne vient régir cette pratique. Une totale liberté est ainsi dévolue aux cotraitants dans l’agencement de leur coopération comme dans la détermination de leurs droits et obligations. C’est l’une des raisons principales du succès du GME.
Combinaison de la sous-traitance et de la cotraitance
Les hypothèses de combinaison entre la sous-traitance et la cotraitance sont nombreuses. Trois d’entre elles illustrent les cas les plus fréquemment rencontrés.
Hypothèse n°1
Un GME est conclu entre plusieurs entreprises responsables chacune de son lot ; l’une de ces entreprises est nommée mandataire commun du groupement (cotraitance).
L’entreprise, mandataire commun, fait sous-traiter tout ou partie de son lot à une autre entreprise, laquelle ne fait pas partie du GME (sous-traitance).
La sous-traitance est hors de la cotraitance.
Hypothèse n°2
Un GME est conclu entre plusieurs entreprises responsables chacune de son lot ; l’une de ces entreprises est nommée mandataire commun du groupement (cotraitance).
L’une des entreprises du GME, qui n’est pas le mandataire commun, fait sous-traiter tout ou partie de son lot à une autre entreprise, laquelle ne fait pas partie du GME (sous-traitance).
La sous-traitance est hors de la cotraitance. Un arrêt de la Cour de cassation vient illustrer cette hypothèse (1). En l’espèce, un sous-groupement avait de surcroît été conclu entre l’entreprise n° 1 et l’entreprise n° 2.
Hypothèse n°3
Un GME est conclu entre plusieurs entreprises responsables chacune de son lot ; l’une de ces entreprises est nommée mandataire commun du groupement (cotraitance).
L’une des entreprises du GME, qui n’est pas le mandataire commun, fait sous-traiter tout ou partie de son lot à une autre entreprise, laquelle décide de faire partie du GME (sous-traitance et cotraitance). La sous-traitance est dans la cotraitance.
Situation du sous-traitant
A l’égard du mandataire commun du GME
Dans l’hypothèse n° 1 : le sous-traitant a un rapport de droit direct avec le mandataire commun en sa qualité d’entrepreneur principal. Ce sont les droits et obligations définis au sous-traité qui lient ces deux parties. Et puisque la loi du 31 décembre 1975 ne donne lieu à aucune disposition spécifique concernant l’exécution du sous-traité, c’est au droit commun du contrat d’entreprise qu’il convient naturellement de se référer.
Par ailleurs, le sous-traitant ne saurait invoquer la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur principal sur le fondement de la violation par ce dernier d’une de ses obligations contenues, soit dans le contrat de mandat passé avec les membres du GME, soit dans le marché principal conclu avec le maître d’ouvrage.
Toutefois, la responsabilité délictuelle du mandataire principal peut être engagée par le sous-traitant, si celui-ci a violé l’une de ses obligations contractuelles – issues du contrat de mandat et/ou du marché principal – et a causé par là même un préjudice personnel, direct et certain au sous-traitant.
Dans l’hypothèse n° 2 : aucun lien de droit particulier n’existe entre le mandataire commun et le sous-traitant d’un des cotraitants du GME. Aussi, la responsabilité contractuelle du mandataire commun ne saurait être engagée par le sous-traitant sur le fondement de la violation par ce dernier d’une des dispositions du contrat de mandat ou du contrat de groupement qu’il a passé avec les autres cotraitants. Plus particulièrement, le sous-traitant ne saurait reprocher au mandataire commun d’avoir omis de le présenter au maître d’ouvrage ou de ne pas avoir fait accepter par lui ses conditions de paiement, si le mandat n’imposait pas au mandataire d’agir précisément de la sorte. Aucune obligation générale ne pèse sur le mandataire commun à cet égard.
La Cour de cassation vient d’affirmer « que le mandataire commun d’un groupement momentané d’entreprises n’est tenu, en vertu de la loi du 31 décembre 1975, d’aucune obligation vis-à-vis des sous-traitants de ses cotraitants, sans constater l’existence d’un mandat spécial donné par les entrepreneurs groupés à la société Bateg à l’effet de procéder elle-même, en sa qualité de mandataire commun, aux formalités nécessaires à l’acceptation de ces sous-traitants et à l’agrément des conditions de paiement de leur contrat par le maître d’ouvrage » (Cass., 3e civ., 28 septembre 2005, préc.). Le sous-traitant peut néanmoins poursuivre le mandataire commun sur le fondement de sa responsabilité délictuelle dans l’hypothèse où ce dernier aurait violé l’une de ses obligations contenues dans le contrat de mandat ou dans la convention de groupement, à la condition toutefois que le dommage subi par le sous-traitant soit personnel, direct et certain.
Dans l’hypothèse n° 3 : le sous-traitant est membre du GME et, à ce titre, est tenu contractuellement à l’égard de ses autres partenaires. Les droits et obligations de la convention de groupement s’imposent sans distinction à l’ensemble des parties signataires, qu’il s’agisse du mandataire commun ou du sous-traitant. En outre, le contrat de mandat fait naître à la charge de ces deux parties des obligations spécifiques auxquelles le mandataire commun et le sous-traitant – en sa qualité de mandant – ne sauraient se soustraire sans engager leurs responsabilités.
A l’égard des autres membres du GME
Dans les hypothèses n° 1 et n° 2 : le sous-traitant n’a aucun lien de droit direct avec les autres membres du GME. Aussi, la convention de groupement ne saurait ni profiter, ni nuire au sous-traitant. Toutefois, la violation par l’un des membres du GME de l’une de ses obligations contenues dans l’accord de coopération peut engager sa responsabilité délictuelle à l’égard du sous-traitant, si celui-ci prouve que ce manquement contractuel lui a causé un dommage personnel, direct et certain.
Dans l’hypothèse n° 3 : le sous-traitant, en sa qualité de mandant, peut poursuivre le mandataire si ce dernier a violé l’une des obligations qui pesait sur lui en vertu du contrat de mandat. Par ailleurs, le mandataire commun et le sous-traitant sont réciproquement tenus de respecter les termes du contrat de groupement, sous peine d’engager leurs responsabilités contractuelles respectives.
De surcroît, le GME, en raison de sa nature particulière, fait peser sur ses membres – outre les obligations définies à l’accord de coopération en des termes explicites – des obligations implicites de coopération.
En effet, au nom de la justice contractuelle et de l’équité, le juge et l’arbitre font traditionnellement produire au contrat de groupement des obligations non expressément stipulées par les membres du GME lors de leurs engagements. Ces dernières peuvent être des obligations de faire – renseignement réciproque, assistance mutuelle, prévention des litiges, etc. – comme des obligations de ne pas faire – non-agression mutuelle, non-concurrence, etc.