Le gouvernement vient d’annoncer la suspension des dépôts de demande d’aide MaPrimeRénov’. Avez-vous été pris de court par cette décision ?
Je ne suis pas du tout surpris. J’ai eu connaissance de plusieurs fuites de l’administration à ce sujet. J’ai même échangé récemment avec la ministre du Logement, Valérie Létard, qui ne niait pas les difficultés. La tendance était sur un doublement des demandes de rénovation d’ampleur, qui devaient passer de 91 000 en 2024 à 200 000 cette année. Or, sur les trois premiers mois de l’année, l’accélération est plutôt de l’ordre du triplement. Une accélération encore plus rapide à Paris, mais aussi en régions : certaines agglomérations, dans le Grand Est notamment, ont ainsi consommé 100% des budgets alloués pour l’année. La dynamique d’augmentation concerne tous les territoires, la maison individuelle comme le logement collectif. Les copropriétés [qui ne sont pas concernées par la suspension, NDLR] décollent aussi.
Quelles conséquences pourrait avoir une telle décision ?
Cette décision intervient au pire moment, alors qu’il faut rénover les logements G pour qu’ils ne sortent pas du parc locatif
La canicule de 2023 avait provoqué plus de 15 000 morts en France. Or, dans quelques années, ce genre d’épisode sera devenu la norme. Faire baisser la température de 7 à 10°C dans les logements grâce à des rénovations performantes, cela sauve des vies. Dès lors, il m’apparait criminel de donner un coup de frein au moment même où les gens s’y mettent.
A court terme, les propriétaires risquent d’être totalement paumés. Pire, lorsque le robinet, brutalement coupé cet été, sera rouvert, le risque est que les demandes affluent en masse et précipitamment, et que le budget soit consommé encore plus rapidement !
De manière structurelle, cette interruption intervient au pire moment, alors qu’il faut de toute urgence rénover les logements dotés d’une étiquette énergétique G pour éviter qu’ils ne sortent du parc locatif. Entre la baisse de la construction neuve et la hausse de la vacance énergétique, l’effet de ciseaux s’annonce terrible sur le marché du logement. A Paris, nous avons enregistré 16 000 nouvelles demandes de logement social sur les quatre premiers mois de l’année, un chiffre ahurissant.
Le gouvernement pouvait-il agir autrement ?
Soyons honnêtes : l’administration a agi. Une partie des CEE sera en effet reversée à l’Anah, ce qui représente un milliard d’euros. Mais cet abondement n’interviendra qu’en 2026 ! Or, s’il manque au moins 2 Mds € pour 2025, ce sera peut-être 4 Mds € qui feront défaut l’année prochaine, compte tenu de la dynamique de la rénovation. Il faut donc imaginer un financement pérenne et mobiliser les acteurs du bâtiment et de l’immobilier autour d’un Grenelle de la rénovation énergétique.
Quelles propositions y feriez-vous ?
Il faut cesser de compter sur le budget de l’Etat et trouver de nouvelles ressources
Il faut cesser de compter sur le budget de l’Etat et trouver de nouvelles ressources. A l’image de la taxe sur les bureaux, que j’avais imaginée et qui finance sur la durée le Grand Paris Express, nous devons concevoir des recettes en lien avec l’immobilier mais socialement acceptables. Je pense par exemple par des droits de mutations (DMTO) plus élevés sur les résidences secondaires, comme cela se pratique dans d’autres pays européens. Si on double le taux des DMTO, cela rapporterait 2 Mds € par an. On pourrait aussi rendre progressif le taux de ces DMTO : si on l’augmente de deux points au-delà de 10 000 € m2, cela pourrait générer 1 Mds €. Autre idée : augmenter la taxe de séjour dans les hôtels 4 ou 5 étoiles rapporterait 1 ou 2 Mds € supplémentaires.
Vous militez aussi pour donner la possibilité à l’Anah d’emprunter. Pourquoi ?
La rénovation énergétique du parc immobilier est un objectif fixé par la stratégie nationale bas carbone. On doit le faire vite, mais on ne le fera qu’une seule fois ! Il n’est donc pas aberrant d’avoir recours à l’emprunt pour cela, ce qui conférerait un effet de levier important à ces nouvelles recettes. Avec 4 Mds € de recettes, il devient possible de financer 8 Mds € de travaux. Il faudrait pour cela que l’Anah change de statut pour devenir un Epic (établissement public industriel été commercial), ce que refuse le gouvernement par crainte affichée d’alourdir la dette publique.