Maîtrise d'œuvre : la déontologie des architectes, gage de qualité

Les règles éthiques de la profession permettent d'harmoniser les pratiques tout en sécurisant confrères et clients. Depuis le mois de juin, les sanctions disciplinaires, anonymisées, s'affichent en ligne.

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Déontologie
Déontologie

L'architecte, chargé de concevoir un projet original et assurant des missions d'intérêt public, est également le seul professionnel en France habilité à déposer un permis de construire pour tout projet de plus de 150 m². De cette prérogative essentielle découle une responsabilité remarquable. C'est la raison pour laquelle il s'agit d'une profession réglementée protégeant le titre d'architecte (loi n° 77-2 du 3 janvier 1977), soumise à de nombreuses lois et règles propres, et notamment à un Code de déontologie (décret n° 80-217 du 20 mars 1980). Celui-ci s'impose à tout architecte (article 1er du code) et rassemble l'ensemble des règles morales régissant l'exercice du métier. La violation de ces règles, mais aussi des lois et règlements, peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire (article 41 du décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977).

La déontologie joue aujourd'hui un rôle capital dans la préservation de la qualité des ouvrages et le développement de la profession. En véritable épée de Damoclès, elle permet de discipliner les architectes et d'uniformiser leurs pratiques. Signe de l'importance accordée au sujet, depuis juin, le Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa) rend accessibles en ligne les décisions - anonymisées - rendues par les chambres de discipline.

Les fondements de la déontologie des architectes

Cette déontologie correspond philosophiquement à une théorie des devoirs, mais répond surtout à une demande de compétences de la part des clients et des institutions, qui peuvent dénoncer toute violation du Code de déontologie au conseil régional auquel est rattaché l'architecte.

Ainsi, le code soumet l'architecte à des obligations d'objectivité et d'équité, de conscience professionnelle, d'intégrité et de clarté, et de compétence (art. 3, 7, 12 et 33 du code). Il lui est interdit de se placer en situation de conflit d'intérêts (art. 13), de diffuser toute information dont il a connaissance dans le cadre de ses missions (art. 14) et de sous-traiter son projet architectural (art. 37). En cas de violation de cette dernière obligation, le maître d'ouvrage pourra notamment refuser de régler les sommes réclamées par le sous-traitant (Cass. 3e civ., 27 avril 2017, n° 16-15.958, publié au Bulletin).

La violation du code peut également être dénoncée par un architecte, qui reprocherait à son confrère son manque de confraternité (art. 17), d'avoir commis des actes de concurrence déloyale (art. 18), de l'avoir discrédité (art. 19) ou d'avoir repris son projet sans l'en avertir (art. 24). Un architecte peut également reprocher à son ex-employeur de ne pas lui avoir remis un certificat de références (art. 45).

Signature de complaisance. Cheval de bataille de l'Ordre, la signature de complaisance revient à signer un projet architectural sans y avoir participé. Cette pratique est interdite par les articles 3 et 15 de la loi de 1977 et l'article 5 du Code de déontologie. Les conséquences d'une violation de cette interdiction sont lourdes : poursuites disciplinaires et pénales, annulation du permis de construire, défaut de couverture par l'assurance (les assureurs prévoyant de plus en plus une telle sanction en cas de manquement déontologique). Rappelons à ce titre que la pratique encore trop souvent rencontrée du permis de régularisation, qui consiste pour un architecte n'ayant pas participé au permis initial à déposer un permis de construire modificatif, est illégale.

Enfin, le devoir de conseil de l'architecte, souvent invoqué pour mettre en jeu sa responsabilité, prend son fondement dans les articles 12, 33 et 36 du code. Ses contours ont été particulièrement étendus par la jurisprudence, qui a notamment précisé qu'il s'applique toujours, même en l'absence d'une quelconque clause contractuelle qui y ferait référence.

L'architecte a donc, en sus de son immense responsabilité de chef d'orchestre du chantier, de nombreuses règles déontologiques qui l'obligent dans sa pratique quotidienne. Il faut toutefois noter qu'il existe parfois un décalage entre le code et les pratiques professionnelles, notamment sur l'obligation d'un écrit avant tout commencement de mission (art. 11).

Les organes disciplinaires de l'Ordre

L'Ordre n'est pas à proprement parler chargé de la discipline des architectes. Au sein de chaque conseil régional a été instituée une chambre de discipline indépendante - même si cette indépendance peut être remise en question de par sa composition : un magistrat administratif et trois architectes issus du conseil régional (art. 27 de la loi de 1977). Juridiction d'appel, une chambre nationale de discipline a été instituée au sein du Cnoa (art. 29 de la loi de 1977). Composée d'un conseiller d'Etat et de trois architectes, elle permet une harmonisation de la jurisprudence disciplinaire au plan national et rend des décisions généralement juridiquement mieux fondées (notamment de par sa composition).

En dernier ressort, les décisions de la chambre nationale peuvent faire l'objet d'un recours en cassation devant le Conseil d'Etat (art. 56 du décret de 1977).

De l'avertissement à la radiation. Les chambres de discipline peuvent prononcer diverses sanctions, telles que l'avertissement, le blâme, la suspension ou la radiation (art. 28 de la loi de 1977). Elles peuvent également relaxer l'architecte poursuivi. La radiation est prononcée dans les cas les plus graves, notamment en cas de rétention de sommes d'argent destinées aux entreprises, de défaut de conseil, et de signature de complaisance (chambre nationale de discipline, 23 avril 2019, n° 2018-194).

La procédure disciplinaire

Régie par les articles 41 à 59 du décret de 1977, la chambre régionale de discipline est chargée d'instruire les dossiers. Si la plainte est jugée recevable, elle est notifiée à l'architecte concerné, qui peut se faire assister par un confrère et/ou un avocat. Un rapporteur est chargé de mettre le dossier en l'état avant l'audience. La procédure est écrite et contradictoire (art. 44 et 54 du décret), et l'audience est publique (art. 48). Les décisions des chambres doivent être motivées, individualisées et proportionnées. Ces obligations sont primordiales dans un Etat de droit, où l'architecte est présumé innocent. Il existe cependant une règle particulière en cas d'appel devant la chambre nationale. Cette dernière ne peut aggraver la sanction prononcée par la chambre régionale dans le cas où seul l'architecte condamné la saisit (art. 29 de la loi de 1977).

La procédure disciplinaire n'est cependant pas exempte de critiques. Certains pointent la partialité des conseils régionaux chargés seuls de décider de l'opportunité des poursuites devant la chambre régionale. L'Ordre a essayé d'y apporter une réponse, notamment par le biais de son règlement intérieur et de la charte d'engagement des élus, qui précisent qu'ils doivent exercer leurs missions ordinales avec impartialité, objectivité, probité, loyauté, le tout dans le parfait respect de la confidentialité. Le décret de 1977 a également prévu, dans l'hypothèse où une raison objective mettrait en cause l'impartialité de la chambre régionale, la possibilité de transmettre la plainte déontologique à une autre (art. 44 du décret de 1977).

Ce dessin est issu d'une série consacrée au Code de déontologie, réalisée par Aude Bellanger, architecte, conseillère ordinale et illustratrice (www.lemoniteur.fr/deontologie/)

Ce qu'il faut retenir

  • L'architecte, professionnel d'intérêt public, est le seul habilité en France à déposer un permis de construire pour des projets de plus de 150 m².
  • Cette prérogative implique une grande responsabilité : la profession est ainsi strictement réglementée par la loi du 3 janvier 1977 et soumise au respect du Code de déontologie.
  • Ce dernier s'impose à tout architecte et le soumet à de nombreuses règles envers ses clients et ses confrères.
  • Toute violation peut faire l'objet d'une sanction, prononcée par la juridiction disciplinaire de l'Ordre.
  • La déontologie de l'architecte permet le maintien et le développement d'une qualité architecturale remarquable et est un outil à la disposition de l'Ordre des architectes qui, bien utilisé, permet d'apporter des réponses concrètes aux difficultés rencontrées dans leur pratique quotidienne.
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