C’est un long et éprouvant procès de trois semaines qui vient de se terminer ce vendredi 4 mars au tribunal d’Angers. Long et éprouvant pour les parties civiles, essentiellement constituées des quatorze survivants et des proches des quatre jeunes décédés dans la nuit du 15 au 16 octobre 2016 dans la chute d’un balcon du 3e étage de l’immeuble le Surcouf à Angers. Long et éprouvant également pour les cinq prévenus dont les responsabilités mises au grand jour par le procureur de la République Eric Bouillard, qui a insisté sur un « laxisme généralisé » sur ce chantier. Antoine, 21 ans, Benjamin, 23 ans, Lou, 18 ans, et Baptiste, 25 ans sont « morts au nom de la malfaçon, de l'économie », selon lui.
Jusqu’à 4 ans de prison
Les réquisitions sont lourdes, avec des peines de 18 mois de prison avec sursis à quatre ans de prison, dont deux avec sursis. La responsabilité de Frédéric Rolland, 66 ans, l'architecte de la résidence, a été jugée écrasante. De fait, le chef d’orchestre de la construction n’a jamais mis les pieds sur le chantier et a validé un changement de mode constructif des balcons, l'une des causes des malfaçons ayant provoqué le drame.
Lors de l’audience, l’architecte a expliqué qu’il n’était « pas intervenu ni sur la conception, ni sur le dessin, ni allé sur le chantier, à aucun stade de la réalisation de ce projet » entre 1997 et 1998. Après une longue audition de 5 heures où il s’est d’abord montré « arrogant » selon les parties civiles, il a fini par reconnaître une « part de responsabilité », a avoué que son cabinet « portait une faute » dans le drame, tout en pointant le rôle de son conducteur de travaux ainsi que de la société de construction. Au terme de l’audition, l’architecte s’est dit « bouleversé » par les témoignages entendus. « Ce sont des cris de douleur et de colère que j’entends, que je comprends et qui m’ont anéanti » a-t-il déclaré.
Le procureur l’a présenté comme étant le principal responsable. Il a requis une peine de quatre ans de prison, dont deux avec sursis, 50 000 euros d’amende et l’interdiction définitive d’exercer la profession. Estimant qu’il avait commis une « faute délibérée », Eric Bouillard est allé au-delà de ce que prévoit la loi pour homicide involontaire.
L’ancien dirigeant de l’entreprise de maçonnerie, Patrick Bonnel, 72 ans, n’a pas été épargné. « C’est vous qui avez laissé vos salariés travailler sans plan, sans méthode, sans expérience » a résumé le procureur qui a requis trois ans de prison, dont un an avec sursis, 30 000 euros d’amende et une interdiction définitive de gérer une société.
Contre le chef de chantier Jean-Marcel Moreau, 63 ans, et André de Douvan, 84 ans, responsable du bureau de contrôle Apave, qui a reconnu à la barre « que les victimes l'avaient amené à dire la vérité », le procureur a réclamé 18 mois de prison avec sursis. Enfin, concernant le conducteur de travaux Eric Morand, 53 ans, le réquisitoire est assez sévère avec une peine de trois ans de prison dont 18 mois avec sursis, 10 000 euros et l’interdiction d’exercer sa profession. « Lui, a suivi une formation, il connaissait les règles, savait que l’on ne faisait rien sans plan. Il s’est cru plus fort que l’ingénieur. M. Moreau est sans doute plus incompétent que tricheur. M. Morand, c’est l’inverse » a estimé le procureur.
Décision attendue courant mai
Ces réquisitions ont été contestées par la défense. L’avocat de l’architecte, Me Emmanuel Raynaud assure que « les peines requises ne sont pas légales ». Il estime qu’il y avait « une délégation de fait », mais « pas formalisée dans un écrit ». Et Me Cyrille Charbonneau, autre avocat de l’architecte, d’ajouter qu’il appartenait à l’entreprise Bonnel « d’adapter correctement les plans, c’est du b.a-ba ».
Pour Me Louis-René Penneau, avocat des parties civiles, au contraire, ces « réquisitions sont extrêmement justes ». « Elles sont à la mesure des fautes qui ont été commises et elles sont à la mesure de l'absence de reconnaissance de ces fautes par les prévenus » a-t-il estimé en ajoutant que « les prévenus ont laissé faire leur incompétence et n'ont même pas essayé d'être compétents ».
Reste au tribunal à statuer sur le montant des indemnités dues aux victimes et à leurs proches. Le verdict est attendu courant mai.