A compter du 9 février et pour une durée d’au moins trois semaines, cinq prévenus – dont l’architecte Frédéric Rolland, l’ancien dirigeant de l’entreprise Bonnel et un contrôleur de l’Apave - devront s’expliquer à la barre du tribunal correctionnel d’Angers sur l’effondrement d’un balcon en octobre 2016, un drame qui avait provoqué la mort de quatre étudiants et une dizaine de blessés. (voir encadré)
A la veille de ce procès exceptionnel, l’avocat des parties civiles, maître Louis-René Penneau, spécialisé dans le droit pénal et le droit de la construction, se dit très surpris du cumul de négligences de la part des prévenus et, notamment, de l’architecte, dont il déplore l’attitude vis-à-vis des victimes.
Comment appréhendez-vous ce procès qui s’ouvre à partir de demain ?
C’est un procès exceptionnel par sa longueur. Mais nous l’abordons comme n’importe quel procès qui doit dire le droit vis à vis de la vérité des faits. Simplement, nous aurons le temps d’examiner tous les aspects du dossier. Au regard du nombre de parties civiles, près de 80 ; au regard de la gravité des faits, quatre morts et une dizaine de blessés ; et puis, surtout, au regard des fautes de construction majeures révélées par l’instruction, on ne peut que se féliciter que la justice ait saisi le caractère exceptionnel des faits pour prendre le temps.
Le travail d’instruction a semblé long, mais il était nécessaire car on a fait appel à plusieurs experts techniques de renommée nationale, ultra-spécialistes dans leur domaine, qui ont pris le temps d’étudier ce dossier. Car il ne peut pas y avoir de place au doute.
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« Nous avons une défense par l’absurde qui consiste à dire : " Je suis innocent car je n’ai pas fait mon métier " »
Quel regard portez-vous sur l’attitude des prévenus dans ce dossier ?
Le système de défense des prévenus est surprenant puisque, en substance, il consiste à dire : « Je ne suis pas responsable car je n’ai pas fait mon métier ». Chacun se rejette la faute en disant qu’il appartenait à quelqu’un d’autre de surveiller que chacun faisait correctement son métier. Comme si chacun d’entre eux n’avait pas pu simplement se contenter d’appliquer les règles de l’art de la profession. Nous avons un architecte qui nous dit qu’il n’est jamais allé sur le chantier, alors même qu’il a accepté une mission complète avec surveillance du chantier. Nous avons un maçon qui nous dit n’avoir pas construit le balcon comme il était prévu de le construire, pas avec le béton prévu, et pas en le mouillant de manière efficace mais en collant le ferraillage n’importe comment. Et on a un contrôleur de l’Apave qui nous dit que son métier n’est pas d’aller sur tous les chantiers pour contrôler les choses. Bref, nous avons une défense par l’absurde qui consiste à dire : « Je suis innocent car je n’ai pas fait mon métier ».
Vous qui êtes spécialisé dans le droit de la construction et qui connaissez la réalité des chantiers, vous savez bien que la question de la responsabilité est complexe à établir.
Dans ce dossier, le cumul des fautes commises est assez exceptionnel. Evidemment, on sait que sur un chantier il y a des intervenants plus ou moins bons, on sait que les règles sont plus ou moins bien respectées. Mais dans cette affaire, nous avons quatre des intervenants essentiels du chantier qui sont tous défaillants dans leur cœur même de métier. Qu’un architecte ne puisse pas venir assez souvent sur le chantier, cela peut s’entendre, mais là nous avons un architecte qui n’allait jamais sur le chantier et qui nous dit qu’il est donc normal qu’il n’ait pas vu comment les balcons ont été construits. Idem pour le contrôleur qui nous dit qu’il n’a pas à surveiller comment les entreprises travaillent, alors même que c’est le cœur du métier de l’Apave. La loi prévoit qu’il doit y avoir des contrôles techniques pour éviter ça. Quant à l’entreprise, on demeure interdit devant la méconnaissance, presque de l’incompétence, en matière de maçonnerie dont elle a fait preuve.
Ce qui est troublant dans ce dossier, ce n’est pas une faute constructive, car c’est bien évidemment courant en droit de la construction, mais c’est le cumul de ces fautes, en violation du cœur de métier de chacun, qui crée cette logique déplorable.
Vous êtes sévère sur le système de défense de l’architecte Frédéric Rolland en particulier.
Effectivement car, en plus de l’ordonnance de renvoi, le procureur de la République a délivré une citation pour que toutes les victimes puissent accéder à ce dossier et obtenir réparation de leur préjudice si l’architecte est coupable. Or, l’architecte a décidé que, dans ce dossier, son premier acte serait de tenter d’écarter la moitié des victimes en contestant cette citation et en tentant de contester la contravention qui lui est reprochée. Cela revient à nier - à la moitié des victimes - leur qualité même de victime. Dans sa communication, l’architecte insiste sur la façon dont il fait bien les choses, contrairement, selon lui, à une partie de ces confrères. Mais il n’a jamais eu un mot pour les parties civiles. Les seules plaintes qu’il a pu émettre portent sur son propre destin, au terme d’un égocentrisme absolu. Et aujourd’hui encore, son premier acte est procédurier en tentant d’écarter des victimes. Jamais, il n’a eu un mot de regret à leur égard.
« Le tribunal devra se poser la question : doit-il y avoir une interdiction d’exercice »
Quelle serait selon vous la peine la plus juste qui devrait être prononcée à l’issue de ce procès ?
C’est difficile car il n’appartient pas aux parties civiles de déterminer cela. C’est le travail du tribunal et du procureur de la République. Dans le principe, si des fautes graves sont avérées, on souhaite que ceux qui les ont commises ne puissent jamais plus les commettre. Lorsque vous conduisez une voiture en dépit du bon sens et au mépris des règles de sécurité, on vous retire le permis de conduire. Lorsque vous construisez un balcon en dépit du bon sens et au mépris des règles de sécurité, on peut se poser légitimement la même question que se pose le Code pénal qui prévoit l’interdiction d’exercice. Donc, le tribunal devra se poser la question : doit-il y avoir dans ce dossier une interdiction d’exercice pour les professionnels qui ont nié leurs responsabilités. Car certains des prévenus sont encore en exercice. Ce qui m’inquiète, c’est que malgré ses manquements, malgré le fait que sa propre construction ait fait quatre morts, l’architecte ne se remet pas en cause. La question que doit se poser le tribunal est : peut-on l’autoriser à pratiquer son métier comme ça ?
Plus généralement, quel message auriez-vous à adresser à la communauté professionnelle du BTP à l’occasion de ce procès ?
C’est peut-être l’occasion d’insister sur le respect des règles de l’art. Et le respect du code de déontologie des architectes. L’occasion de rappeler que ce qui est en jeu, ce ne sont pas uniquement des principes constructifs, avec des responsabilités décennales, mais que les règles imposées à chacun sont là également pour la sécurité des occupants des bâtiments.
On a l’impression que la responsabilité de ces gens serait cantonnée à la seule responsabilité décennale. Or, lorsque l’on construit un bâtiment, c’est pour durer. C’est une évidence mais construire un bâtiment doit garantir la sécurité de ces occupants au-delà de la décennale.
Le 29 septembre 2021, le parquet d’Angers a renvoyé cinq personnes devant le tribunal correctionnel pour homicides et blessures involontaires après l’effondrement en cascade de trois balcons de la résidence Le Surcouf (centre-ville d’Angers) dans la soirée du 15 octobre 2016. Dix-huit jeunes avaient basculé dans le vide et quatre d’entre eux, trois hommes de 21, 23 et 25 ans, ainsi qu’une jeune fille de 18 ans, avaient été tués.
L’instruction a permis d’écarter toute responsabilité des étudiants dans la survenue du drame, ces derniers n’ayant pas eu de comportement particulièrement dangereux sur un balcon censé pouvoir accueillir 35 personnes.
Parmi les personnes citées à comparaître, figurent le chef de l’entreprise de construction (72 ans), le conducteur de travaux (52 ans), le chef de chantier (63 ans), l’architecte (65 ans) et le représentant du bureau de vérification Apave (83 ans). Tous ont un casier judiciaire vierge.
De nombreuses malfaçons lors de la construction de l’immeuble en 1997-1998 ont été relevées par les expertises judiciaires : mauvaise position des aciers porteurs ayant créé une faiblesse grave de la structure, reprise de bétonnage non conforme, système d’évacuation des eaux non réalisé, etc. En outre, les dalles des balcons, qui devaient être initialement préfabriquées, ont finalement été coulées sur place, et cela sans que de nouveaux plans soient réalisés. Le conducteur de travaux a expliqué durant l’instruction que ce choix avait été fait pour permettre un gain de temps de 14 semaines. Il est reproché à l’architecte, également maître d’œuvre, de ne pas s’être assuré de plans adaptés au mode de construction des balcons et de n’avoir pas suffisamment suivi le chantier. Quant au chargé d’affaires de l’Apave, il n’a émis aucun avis défavorable, n’a pas suspendu le déroulement des travaux ni soulevé aucune irrégularité alors qu’il aurait dû se rendre compte que les balcons n’avaient pas été construits selon les plans, ont estimé les juges d’instruction.