Décryptage

Logement : les petits arrangements d'Alila avec la vérité

Implantations, ventes, activité… Le spécialiste de la Vefa HLM se présente comme un acteur de premier plan. Mais le compte n'y est pas.

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Alila
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Empêtré dans des affaires de harcèlement moral et d'abus de biens sociaux, ciblé par des révélations dans la presse, frappé la crise immobilière, Alila traverse une période difficile, lui qui se présente comme un membre « du top 10 des promoteurs français ». Mais l'est-il vraiment ? Le spécialiste lyonnais de la Vefa HLM communique un chiffre d'affaires (CA) supérieur à 600 M€ depuis 2019. Ces niveaux communiqués à la presse contrastent avec le CA consolidé du groupe « Alila Participation » issu du résultat des sociétés civiles immobilières de construction-vente (SCCV) créées à chaque opération. Prenant en compte l'avancement des chantiers, ce chiffre-clé est validé par un commissaire aux comptes. Le rapport consolidé de ce dernier fait état, en 2017, d'un CA de 104 M€. Un ordre de grandeur conforme à ce qu'indique un document interne qui évoque un CA de 52 M€ au premier semestre. Or, pour cet exercice, le groupe prétend publiquement avoir atteint les 327 M€.

Selon ce même document, Alila a livré neuf programmes au premier semestre 2017 et quatre au premier semestre 2018. A l'époque, ses « principales opérations », peut-on lire, ne généraient chacune que quelques millions d'euros de CA. Alors, d'où vient cet écart avec les données communiquées ? La réponse ne viendra pas du promoteur, qui n'a pas répondu à nos sollicitations, mais d'un ancien cadre. « Hervé Legros [le dirigeant-fondateur, NDLR] nous répétait à chaque comité de direction qu'il pesait un milliard d'euros de chiffre d'affaires. En réalité, c'était un milliard d'euros de volume d'affaires. » Par volume d'affaires, il faut entendre : les logements vendus à la clôture du bilan annuel, mais aussi « les programmes dont le permis de construire est à déposer, déposé ou purgé », d'après le même document de l'entreprise. Autrement dit, le promoteur lyonnais prendrait en compte des opérations qui ne sont pas autorisées à la construction et ne le seront peut-être jamais, pour des raisons administratives, économiques ou techniques. Non soumis aux communications financières d'un groupe coté, Alila mélangerait-il des choux et des carottes ? « Tous les promoteurs communiquent sur un volume d'affaires, mais ils ne le confondent pas avec le chiffre d'affaires consolidé annuel », note un autre ancien cadre.

7 000 ventes par an, vraiment ? Sur son site internet, Alila dit compter 100 collaborateurs. Dans ses communiqués de presse, le promoteur spécialisé dans la vente en bloc de logements sociaux, qui écoule aussi des logements libres sur Leboncoin ou par d'autres canaux externes, déclare 6 250 logements réservés en 2017. L'année suivante : 7 283. En 2019 : 7 519. Léger coup de mou en 2020 à cause de la pandémie : 6 918. En 2021, année de rattrapage : 7 892. « 7 000 logements réservés sur une seule année avec 100 salariés, c'est impossible. En revanche, 7 000 contrats de réservation dans le ”pipe” sur plusieurs années avec le même nombre de salariés, c'est possible », relève le dirigeant d'un bailleur de logements conventionnés.

Des promoteurs interrogés par « Le Moniteur » sans nommer Alila confirment qu'une société de 100 salariés, même spécialisée dans la vente en bloc qui requiert moins de personnel que la vente au détail, peut difficilement revendiquer 7 000 réservations nettes au 31 décembre de chaque année écoulée. « Le ratio se situe entre 4 et 12 ventes par équivalent temps plein (ETP), explique un professionnel. Cela dépend de la part de prestations traitées en interne notamment. Le fait de ne vendre qu'en bloc pourrait être comparé à du commerce de gros. Par assimilation, le rapport entre le grossiste et le détaillant donne un coefficient de 2,5 à 3,5. C'est le cas dans certains business lucratifs comme la pharmacie. Dans la vente en bloc, le ratio pourrait donc s'élever à 36 logements par ETP. On voit difficilement comment obtenir 7 000 logements avec 100 salariés. » Vérifions auprès de Vinci Immobilier, qui déclare le même volume de ventes qu'Alila. En 2022, la filiale du groupe éponyme coté - et donc tenu à la transparence sur ses chiffres-clés - a vendu 6 825 logements, dont plus de 2 000 en bloc. Son effectif, au 31 décembre, était de 1 348 ETP. Autrement dit, le quatrième promoteur français vendrait autant de logements qu'Alila, mais avec 13 fois plus de salariés… Regardons maintenant du côté de Linkcity, promoteur national spécialisé dans la vente en bloc, comme Alila. En 2022, la filiale de Bouygues Construction a enregistré 2 049 réservations nettes, dont 1 771 ventes en bloc à des institutionnels ou des organismes HLM, pour 297 salariés. Autrement dit, le quinzième promoteur national vendrait trois fois moins de logements qu'Alila, mais avec trois fois plus de salariés…

Alila
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« Agence régionale » ou boîte postale ? Enfin, Alila dit s'appuyer sur un réseau de « 13 agences régionales » ouvertes du lundi au vendredi, dans neuf régions (sur treize) de métropole. Interrogé par « Le Moniteur » sur ses implantations locales, le promoteur n'a, là encore, pas souhaité répondre. Nous avons donc sillonné la France pour mesurer la réalité de sa présence sur le terrain. Qu'en est-il de l'agence d'Aix-en-Provence, ouverte en 2017 pour conquérir la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ? Alila n'a plus de salarié au sein du centre d'affaires indiqué sur son site internet depuis juillet dernier, apprend-on sur place. A Montpellier, « ils n'ont plus de boîte postale depuis avril », explique l'hôte d'accueil des espaces sous-loués par la marque de coworking Regus, A Bayonne, Alila ne loue pas de bureaux mais dispose bien d'une boîte aux lettres, via la société de domiciliation d'entreprises Fimatex. Il s'agit d'un « contrat à durée indéterminée pour recevoir du courrier et ouvrir un siège social », précise un salarié de Fimatex.

Direction le Centre-Val de Loire. A Tours, Alila a bien son logo à l'entrée d'un espace de coworking, mais celui-ci ne réceptionne que le courrier. « Si vous voulez les rencontrer, allez voir à Orléans, suggère la responsable du site. Mais c'est peut-être une boîte aux lettres, comme c'est le cas ici. » Dans la préfecture du Loiret, l'adresse de l'agence Alila correspond à un bâtiment tertiaire, où Regus gère là aussi un centre d'affaires. L'hôtesse d'accueil propose de « laisser un message », car les salariés du promoteur sont absents. Rencontrés au même étage, deux travailleurs, dont les employeurs affichent leur logo, ne connaissent pas Alila.

Pour l'agence de Nantes qui a compté 12 salariés, au moins une employée représente désormais Alila pour la Bretagne et les Pays de la Loire. A Bordeaux, Alila loue un poste de travail dans un immeuble de coworking. A Villeneuve-d'Ascq, près de Lille, au moins deux employés, dont un directeur des programmes, travaillent dans un local de Regus. A Metz, au moins deux salariés se retrouvent dans un espace de 20 m² au premier étage d'un centre d'affaires. Cette équipe couvre le Grand Est avec des homologues basés à Strasbourg, dans un immeuble tertiaire à partager avec d'autres entreprises. Pour le marché francilien, Alila dispose d'une agence à Paris, dans le VIIIe arrondissement. Là encore, il s'agit d'une adresse de coworking. En complément de son siège à Lyon, le promoteur est également implanté dans la région Auvergne-Rhône-Alpes à Epagny Metz-Tessy, près d'Annecy, où un directeur d'agence a été nommé en mai dernier.

Si l'on ne prend en compte que les villes où il emploie au moins une personne disposant d'un bureau, Alila ne compte donc que huit implantations dans six régions.

Les entreprises lésées se rebiffent

La fronde des entreprises victimes d'impayés de la part d'Alila s'organise. Tout est parti de la seule opération réalisée par le promoteur pour Morbihan Habitat, à Vannes, pourtant livrée avec peu de réserves. Le litige porte sur les dernières situations de travaux, un cas de figure qui semble se reproduire sur plusieurs opérations. « C'est comme si Alila faisait sa marge sur les derniers 5 % à payer aux entreprises », avance un professionnel impliqué dans ce chantier mais souhaitant rester anonyme. Assuré d'être payé par les bailleurs dans le cadre d'une opération en Vefa, il est assez facile pour le promoteur de faire de la trésorerie en décalant le paiement des entreprises prestataires, voire en ne réglant pas intégralement les dernières situations.

Pour cette résidence de 35 logements, le décompte général définitif (DGD) a bien été validé par la maîtrise d'œuvre et transmis au promoteur en janvier 2023. Or, de nombreuses entreprises n'ont toujours pas reçu la totalité de leur règlement, à l'image de l'électricien.

« Alila nous doit 24 000 euros » témoigne Sylvain Baron, gérant de l'entreprise Allanic 56 qui réclame son dû haut et fort. Sur le réseau social LinkedIn, il n'hésite pas à partager les articles sur les déboires d'Alila et propose aux autres sociétés lésées de s'organiser « face à de telles pratiques qui entachent la profession ». Nombreuses sont celles qui ont réagi, posté leurs propres commentaires ou contacté le frondeur. Au total, une soixantaine d'entreprises sont impliquées et une procédure collective va être lancée contre Alila. Beaucoup de Bretons bien entendu, mais également des entreprises de toute la France.

 

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