A compter de l’exercice 2006, les organismes d’HLM se trouvent partiellement assujettis à l’impôt sur les sociétés. Le champ de cette imposition est défini par les articles 207-1-4° du Code général des impôts et L.411-2 du Code de la construction et de l’habitation. Au-delà des questions relatives au champ d’application, ce nouveau régime implique des conditions de mise en œuvre spécifiques. En effet, l’application des règles de droit commun de l’impôt sur les sociétés se double, dans le cas des organismes d’HLM, de deux particularités. La première tient au caractère partiel de l’assujettissement, la seconde à sa nouveauté.
En premier lieu, le caractère partiel de l’imposition entraîne une sectorisation, dont l’objectif est, en régime courant, de définir au sein d’une entité juridique et comptable, qui reste bien entendu unique, un résultat, par hypothèse, partiel devant servir d’assiette à l’impôt sur les sociétés. Il s’agit ici d’une séparation matérielle, exigeant une démarche analytique. La mise en œuvre de la réforme implique aussi une séparation temporelle. En effet, la nouveauté de ce régime implique un traitement spécifique dont l’objectif est de bien délimiter les périodes exonérées et assujetties : par hypothèse, les activités qui deviennent taxables à compter de 2006 mettent en œuvre des moyens qui existaient auparavant. En termes comptables, les actifs et passifs correspondants ont été créés dans un cadre non fiscalisé. Or, ces éléments de bilan, lorsqu’ils se rapportent à des activités nouvellement assujetties, auront par hypothèse un impact sur les résultats fiscalisés futurs. Il s’agit donc d’éviter que l’application mécanique des règles comptables aboutisse à une imposition rétroactive ou au contraire à prolonger indûment la période exonérée. Le dispositif mis en place prend la forme d’un bilan fiscal de départ.
Cette notion de bilan fiscal ne résulte au cas présent d’aucun texte légal. Elle se trouve explicitée dans l’instruction fiscale du 25 janvier 2006 (4 H-1-06 § 101). Le bilan fiscal avait aussi été utilisé lors de la mise en œuvre du nouveau régime fiscal des organismes sans but lucratif en 1998 (instructions des 15 septembre 1998 et 16 février 1999). Il s’agit donc d’une construction essentiellement doctrinale (l’article 202-ter du Code général des impôts prévoit aussi l’établissement d’un tel bilan pour les sociétés de personnes qui optent pour leur assujettissement à l’impôt sur les sociétés). Pour les organismes sans but lucratif, le bilan fiscal était une alternative à la filialisation de leur activité lucrative. Ainsi, les deux techniques doivent en principe aboutir au même résultat économique concernant l’imposition du secteur fiscalisé. Il est donc intéressant de se référer au mécanisme de la filialisation pour répondre à certaines interrogations pour le bilan fiscal.
Un concept aux objectifsclairs… Le fait que les activités qui deviennent imposables étaient déjà exercées à la date d’entrée en fiscalité implique l’existence d’éléments bilantiels qui auront par nature un impact sur les résultats comptables et fiscaux des activités taxables. Le bilan fiscal ne concerne donc par hypothèse que des actifs et passifs existant au 31 décembre 2005. Les éléments constitués après cette date seront pris en compte en fonction des règles fiscales de droit commun.
Le bilan fiscal concerne en premier lieu les immobilisations. La plus-value dégagée par la cession à compter de 2006 d’un immeuble entrant dans le champ de l’impôt sur les sociétés est imposable. L’application des règles comptables conduirait à définir la plus-value par la différence entre le prix de vente et la valeur nette comptable du bien. Si ces règles n’étaient pas corrigées au plan fiscal, on aboutirait ainsi à une imposition des amortissements comptables constatés jusqu’au 31 décembre 2005, ainsi que de la quote-part de plus-value « économique » acquise dans cette période. L’imposition serait dans ces conditions rétroactive.
Afin de corriger cette conséquence, l’établissement d’un bilan fiscal de départ permet de limiter le montant de la plus-value imposée à la période fiscalisée. Ceci résultera d’une inscription de l’ensemble des éléments d’actif (immobilisés ou non) du secteur taxable au bilan fiscal pour leur valeur vénale au 1er janvier 2006 (immeubles locatifs, bâtiments administratifs, réserves foncières non affectées, titres de participation, etc.).
Cette valeur servira également de base à des amortissements fiscalement imputables. On se trouve ainsi dans la même situation que si les biens avaient été apportés en valeur vénale à une filiale qui pourrait alors les amortir sur une nouvelle base et une nouvelle durée, quelle que soit de ce point de vue la situation du bien dans les comptes de l’organisme apporteur. Etant donné que la « revalorisation » des biens n’est que fiscale (les valeurs comptables ne sont, bien entendu, pas impactées), les amortissements déduits sur la base des valeurs fiscales n’affectent en rien les comptes de l’organisme. On voit donc ici tout l’intérêt que représente cet amortissement purement fiscal, qui aura pour seul effet de diminuer l’assiette imposable de l’organisme.
A ce stade, la question de la durée d’amortissement fiscal se pose. L’instruction du 25 janvier 2006 précise que la durée comptable résiduelle peut le cas échéant être allongée. A contrario, on doit, selon nous, comprendre que les durées comptables résiduelles peuvent être retenues. Cependant, elles devraient, à notre avis, être allongées dans deux cas : d’une part lorsque les biens sont totalement amortis (en cas de filialisation, la filiale qui bénéficierait d’un tel apport pourrait en effet amortir de nouveau les biens sur la base de leur valeur d’apport et en fonction d’une nouvelle durée), d’autre part, par prudence, lorsque la durée d’amortissement comptable résiduelle est manifestement trop courte. Notons qu’à titre de simplification, l’administration admet que l’amortissement fiscal des immeubles ne soit pas décomposé et soit donc calculé uniquement selon la durée du composant structure.
Les provisions font aussi l’objet d’un traitement particulier : en effet, la question se pose des provisions dotées jusqu’en 2005 et qui seront reprises par hypothèse en période fiscalisée. Pour ces dernières, le principe retenu par l’instruction fiscale précitée est leur inscription au bilan fiscal, dans le cas où leur dotation aurait été déductible au moment où elle a été effectuée, si l’organisme avait été assujetti à l’impôt sur les sociétés.
Ainsi, l’administration a décidé d’opposer aux organismes le droit qu’ils avaient d’anticiper certaines charges par le biais de provisions. Par exemple, la reprise d’une provision pour gros entretien concernant un immeuble imposable sera un produit au sens fiscal qui neutralisera la charge des travaux correspondants. Cette charge se trouvera ainsi rattachée à la période exonérée, comme en matière comptable. A contrario, la reprise d’une provision pour retraite, dont la dotation n’est pas déductible au plan fiscal, ne sera pas imposable.
… mais qui n’estpas totalement abouti
Il convient d’abord d’observer que le bilan fiscal n’existe que dans ses effets mais pas dans la forme d’un vrai bilan sectorisé au sens comptable. En effet, l’instruction fiscale précitée indique que les organismes d’HLM joindront à leur déclaration de résultat un tableau indiquant les valeurs estimées des actifs affectés au secteur taxable et les données permettant de calculer l’amortissement fiscal. Il n’existe pas de bilan fiscal complet reprenant tous les actifs et passifs, contrairement à ce qui était prévu pour les organismes sans but lucratif ou dans le premier projet d’instruction fiscale concernant les organismes d’HLM.
La première conséquence de l’absence de vrai bilan annexe sectorisé est que la liasse fiscale comprendra l’ensemble des comptes de l’organisme, activités exonérées et taxables comprises. Les rectifications permettant d’aboutir au résultat fiscal, tenant tant au découpage matériel (sectorisation), qu’au basculement dans le temps (bilan fiscal) figureront toutes dans l’imprimé 2058-A de la liasse fiscale.
La deuxième conséquence est que l’amortissement fiscalement déductible au titre d’un immeuble taxable est en fait décomposé en deux parties : l’amortissement comptable proprement dit, qui figure dans les comptes de l’organisme, et l’amortissement fiscal, qui ne porte que sur l’écart de réévaluation (différence entre la valeur réelle de l’actif au 1er janvier 2006, hors terrain, et la valeur nette comptable à cette même date).
Il découle enfin de l’absence de véritable bilan que les retraitements éventuels des reprises de provisions, évoqués précédemment, ne résultent d’aucun document déclaratif. Ils devront être suivis dans le temps et effectués spontanément par l’organisme.
Au-delà de ces aspects techniques, on constate que, sur ses principes, le concept de bilan fiscal a été en partie remis en cause par l’administration. D’abord, l’instruction fiscale du 25 janvier 2006 indique que les cessions de locaux d’activités sont redevables à l’impôt sur les sociétés, même si leur location était exonérée de plein droit (notons que ce point nous semble contraire à la loi, qui exonère « les produits engendrés » par ces locaux, sans distinction) ou par l’effet de la franchise doctrinale (§ 72 de l’instruction fiscale). L’administration en conclut que ces locaux doivent figurer dans le bilan fiscal. L’exonération des produits nous semblant interdire la déduction d’amortissements au plan fiscal, la mention de ces biens au bilan fiscal ne ferait que limiter le montant d’une éventuelle plus-value en cas de cession de ces locaux.
Il résulte de cette analyse en premier lieu une grande difficulté de mise en œuvre : quels locaux inscrire, sachant que l’imposition dépendra en droit de l’activité du locataire lors de leur cession ? L’hypothèse d’une cession est-elle assez probable pour justifier le coût d’une expertise externe portant sur l’ensemble des locaux ? En outre, la notion de bilan fiscal s’en trouve altérée. Comment en effet peut-on concevoir qu’un actif soit exonéré pendant son exploitation et imposable lors de la vente ? Cette situation ne pourrait pas se rencontrer en cas de filialisation de l’activité. En outre, les modalités de calcul de la plus-value éventuelle n’ont pas été précisées à ce jour (question de la prise en compte dans le calcul de la plus-value des amortissements comptables constatés entre le 1er janvier 2006 et la date de cession).
La logique du bilan fiscal n’a pas non plus été poussée jusqu’au bout en ce qui concerne les biens affectés au secteur exonéré au 1er janvier 2006 et qui deviendront imposables. La logique voudrait que ces biens soient transférés au bilan fiscal pour leur valeur réelle à la date du changement de régime fiscal, comme c’est le cas pour les biens devenant imposables le 1er janvier 2006 et pour les mêmes raisons (limitation des éventuelles plus-values futures, calcul d’un amortissement fiscal).
Or il semblerait que l’administration s’oppose à un tel traitement, la réévaluation au 1er janvier 2006 étant selon elle unique. Ceci amène à une distorsion par rapport à une hypothèse de filialisation, dans laquelle les biens pourraient être apportés en valeur réelle et faire l’objet d’un amortissement complet dans les comptes de la filiale. Ce transfert en valeur réelle était d’ailleurs expressément prévu dans le projet d’instruction fiscale diffusé dans le courant de l’année 2005, ce qui nous semblait correspondre à une conception plus cohérente du bilan fiscal.
Malgré les imperfections techniques que nous venons d’évoquer, le bilan fiscal existe donc bel et bien, en tout cas dans ses effets, et constitue du point de vue de la gestion fiscale des organismes une opportunité qu’il ne faut pas manquer.
