Logement : la refondation n'aura pas lieu

Les mesures gouvernementales annoncées dans le cadre du CNR logement ne régleront pas la crise traversée par le secteur. Après des mois de mobilisation, les professionnels du bâtiment se disent « méprisés ».

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Le 5 juin, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé son plan, dévoilé dans la presse la veille.

C'est à un bien curieux jeu de dupes qu'a été conviée une centaine de professionnels le 5 juin à la Maison de l'architecture à Paris, dans le cadre de la restitution du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement. Le décor était pourtant planté depuis vingt-quatre heures… La veille, Matignon a tenu un point presse pour dévoiler les mesures prises par le gouvernement dans le cadre de ce CNR, que le secteur a ainsi découvertes en avant-première dans les journaux. Le lendemain, comme si rien n'avait déjà été annoncé par les services de la Première ministre eux-mêmes, les six rapporteurs des trois groupes de travail ont présenté les mesures qu'ils souhaitaient voir retenues… Elisabeth Borne s'est même rendue sur place, pour conclure le CNR et « annoncer » ce que tout le monde savait déjà.

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N'y tenant plus, Olivier Salleron, président de la FFB qui était invité à prendre la parole, a lu le communiqué de presse cosigné par sept organisations professionnelles (1) qui estiment que le secteur du logement est « méprisé » par le gouvernement. Dans son allocution, d'abord tout en retenue, Véronique Bédague, co-rapporteure du CNR et directrice générale de Nexity, a fini par lâcher : « Je ne vais pas faire comme si les annonces n'avaient pas déjà été publiées dans la presse : il s'agit d'un plan minimaliste, que je n'arrive pas à évaluer parce que je n'ai pas le détail. Il n'y a pas ce coup de pied qui nous permette de remonter vers le haut de la piscine. » Et c'est bien cela que le monde de l'immobilier et du bâtiment reproche au gouvernement. Après avoir mobilisé plus de 200 experts pendant plus de six mois, le plan gouvernemental aurait pu être plus précis - sur les enveloppes, les effets attendus… - et, surtout, prendre plus de hauteur.

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« Il y a plus de 400 000 logements indignes en France, avec une concentration incroyable dans certains secteurs. Pour traiter un immeuble, il faut compter en moyenne huit ans. On a besoin d'un nouveau droit et de dispositifs fiscaux. » Mathieu Hanotin, maire (PS) de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)

Quand c'est flou… Il faut dire que les contours de la plupart des 19 mesures annoncées sont encore flous. Le gouvernement renvoie souvent à de nouveaux travaux, qui pourraient déboucher sur des mesures concrètes, mais d'ici à quelques mois. Or, la crise est là. Des décisions portant sur l'encadrement du prix du foncier étaient très attendues. La lutte contre la surenchère pour l'achat d'une parcelle a fait consensus dans les ateliers de travail, même si les moyens pour y parvenir divisaient. Le gouvernement aurait donc été dans son rôle en actant une ou plusieurs mesures. Il n'en fut rien. « J'ai entendu la demande du CNR d'enrayer la hausse du prix du foncier, a déclaré Elisabeth Borne. Nous y réfléchirons. Nous allons faire évoluer les règles du Domaine sur le foncier public pour contribuer à réguler les prix. » La Première ministre entérine donc l'intervention prochaine sur les parcelles publiques. Mais elle ne s'engage pas sur un agenda. Et délaisse les terrains privés.

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« Le gouvernement renforce la fracture territoriale entre les métropoles et 90 % du reste du territoire, où l'on ne devrait plus produire. » Grégory Monod, président du Pôle Habitat de la FFB

Enfin, parmi les solutions déroulées par Elisabeth Borne, il y en a une qui relève plus du coup de rabot que du coup de pouce : le recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) au seul logement collectif dans les zones tendues, et le conditionnement à la rénovation des logements individuels et collectifs en zones détendues, pour une enveloppe de 600 M€ par an. Cette coupe fait l'unanimité contre elle. « Le PTZ était budgété à hauteur de 2 Mds € chaque année. Avec le recentrage, le gouvernement fera des économies, grince-t-on au Pôle Habitat de la FFB. Je ne comprends pas la logique qui consiste à aider les Franciliens à accéder à la propriété privée et pas les Ariégeois. » Cette annonce touche de plein fouet la construction de maisons individuelles, qui rappelons-le, était qualifiée de « non-sens écologique » par Emmanuelle Wargon, quand elle occupait le poste de ministre du Logement. « En 2022, 33 000 acquéreurs de logements individuels ont bénéficié d'un PTZ, contre 17 000 seulement dans le logement collectif, calcule Grégory Monod, président du Pôle Habitat de la FFB. Depuis le début de l'année, la production de PTZ fléchit, dans des proportions identiques au nombre de crédits immobiliers accordés [- 35,1 % sur un an à fin mai selon Crédit Logement, NDLR], à cause de la remontée des taux d'intérêt depuis début 2022. » Evidemment, tous les dossiers ne tomberont pas à l'eau faute de PTZ. Mais selon Damien Hereng, président de la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles, « on peut estimer que 15 000 à 20 000 opérations seront perdues ». Rappelons qu'en 2022, 96 000 maisons individuelles ont été vendues (- 22 % sur un an), selon le Pôle Habitat de la FFB.

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« Arrêtons de dire que le logement, “ça coûte un pognon de dingue”. Non, “ça rapporte un pognon de dingue” : 52 Mds € par an à l'Etat. Sans compter ce que ça évite comme dépenses de santé. » Cédric Van Styvendael, co-animateur d'un atelier de travail du CNR et maire (PS) de Villeurbanne

Des promoteurs immobiliers en crise. L'autre coupe budgétaire non annoncée par Elisabeth Borne, mais que chacun a à l'esprit, porte sur la fin du Pinel +. « On sait en off qu'il s'arrêtera en 2024, lâche un représentant du secteur. Il y a une espèce de rejet de l'investisseur particulier. » D'ailleurs, s'exprimant en vidéoconférence au congrès de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) quelques jours plus tôt, le ministre de l'Eco-nomie Bruno Le Maire a déclaré que « le Pinel [n'avait] pas fait la démonstration de son efficacité ».

« Nous sommes dans un changement de paradigme. Il est utile que ce genre de consultation perdure pour permettre de débloquer un certain nombre de freins. » Céline Laurens, déléguée générale de Fibois France

En cherchant à développer le logement intermédiaire dans 200 communes supplémentaires, la Première ministre mise effectivement sur les investisseurs institutionnels, qui achètent les logements en bloc aux promoteurs immobiliers, donc à des tarifs plus bas que s'ils étaient vendus aux particuliers. « J'ai bien entendu les craintes de certains, mais il faut être clair : la baisse des prix de l'immobilier est une bonne nouvelle pour nos compatriotes, a affirmé Elisabeth Borne. Il y a des impacts économiques, je le sais, notamment pour la filière immobilière. C'est pourquoi nous proposons des mesures d'accompagnement. » En plus des 17 000 logements neufs achetés par CDC Habitat pour débloquer les programmes immobiliers qui ont du mal à être vendus, Action Logement en acquerra 30 000. « Les prix qu'ils proposent aux promoteurs sont inférieurs de 5 à 10 % à nos coûts de revient. Mais nous sommes contraints d'accepter car nous devons maintenir à flot notre trésorerie », déplore Jacques Ehrmann, directeur général d'Altarea. L'intervention d'Action Logement est considérée par la promotion immobilière comme une « mesurette » au regard des enjeux pour les années à venir… A moins qu'il ne s'agisse de préparer le secteur à chercher de nouveaux débouchés, notamment sur la rénovation énergétique ? Pour 2024, « nous relèverons de 1,4 Md€ le budget de l'Agence nationale de l'habitat [Anah, 4 Mds € de budget en 2023, NDLR], », a lancé Olivier Klein, ministre du Logement. L'objectif vise à augmenter drastiquement les « rénovations performantes » pour atteindre les 200 000 unités en 2024 (contre 20 000 à 60 000, selon les sources qui ont du mal à consolider les données). Un changement de braquet directement financé par les économies réalisées sur le neuf…

  • « Nous sommes unanimes sur la méthode. Je crains que nous ne le soyons aussi dans la déception face à la restitution du CNR. Sans avancée supplémentaire, la crise risque de s'aggraver. » Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat
  • « Dans ce plan, rien ne nous permet de changer la donne sur le marché de la location sociale et privée. » Véronique Bédague, directrice générale de Nexity, co-animatrice du CNR logement
  • « Qu'est-ce que je retiens des annonces ? Ben, rien. Est-ce qu'on pourra se dire qu'on y était quand on a fait changer la donne ? Je sais que le CNR logement n'est pas une fin en soi, mais quand même, il faut que ce soit le démarrage de la refondation. Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, co-animateur du CNR logement
  • « Nous, hommes du bâtiment, de la construction et de l'immobilier, nous n'avons pas l'habitude de mâcher nos mots. Et la vérité, c'est qu'aujourd'hui, c'est franchement décevant et insuffisant. » Olivier Salleron, président de la FFB
  • « Je disais que le malade “logement” était aux urgences. A présent, je me demande quelle est l'heure des obsèques. » Pascal Boulanger, président de la FPI
  • « La prolongation du prêt à taux zéro, parlons-en : en le restreignant aux seules métropoles, ça ne va pas ruiner l'Etat ! » Marie-Noëlle Lienemann, présidente de la Fédération nationale des sociétés coopératives d'HLM

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Les ambitions des professionnels vs le plan gouvernemental

Si le plan acté par Matignon a déçu, c'est parce qu'il comporte des coupes budgétaires dans les aides existantes. Ces réductions de moyens ne favoriseront pas la création de logements supplémentaires. En outre, quand les ateliers de travail formulent des ambitions fortes, le gouvernement répond par des mesures qui relèvent plus de l'outil, que de la vision stratégique.

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Mesures proposées par les trois ateliers de travail sans réponse gouvernementale

Renforcer la co-construction des plans locaux d'urbanisme avec les habitants et les développer en 3D pour « donner à voir » l'évolution de la ville.

Créer une aide aux maires bâtisseurs, s'ils dépassent la moyenne de construction de logements observée les « trois dernières années ou trois derniers trimestres » sur leur territoire. Cette aide peut être financée par la TVA sur l'immobilier, fléchée en partie sur les villes « bonnes élèves » une fois le niveau moyen dépassé.

Mesures gouvernementales qui ne répondent pas aux demandes des ateliers de travail

Renforcer la « lutte contre l'habitat indigne et les copropriétés dégradées, offrir des outils adaptés aux collectivités et des solutions rapides aux habitants ». Les propositions d'Olivier Klein, ministre de la Ville et du Logement, sont attendues d'ici à la mi-juillet.

Prolongation jusqu'à la fin de l'année de la mensualisation de la révision du taux d'usure. Auparavant trimestriel, ce rythme est devenu mensuel en février dernier.

Assouplissement à venir des règles d'octroi du crédit immobilier. Cette disposition est en négociation avec le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF).

Prolongation et recentrage du prêt à taux zéro jusqu'en 2027.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, il sera réservé au collectif en zones tendues. Ailleurs, les logements collectifs et individuels y seront éligibles, mais sous condition de rénovation. Une mesure estimée à 600 M€, contre un peu plus de 2 Mds € aujourd'hui, selon les professionnels.

Pérennisation du fonds friches au sein du fonds vert.

Pas d'échéance ni d'enveloppe pluriannuelle.

Révision du zonage, pour qu'une centaine de villes passent « de la zone détendue à tendue ». Pas d'agenda.

Elargissement de la caution locative Visale, octroyée par Action Logement, à 2 millions de personnes entre 2023 et 2027. Rachat par Action Logement de 30 000 logements aux promoteurs pour « débloquer les programmes » non vendus.

Engager avec les élus locaux un programme national de renouvellement urbain des grandes friches en zones urbaines et des galettes commerciales pour favoriser le développement de nouveaux quartiers durables et mixtes.

(1) La Fnaim, la FFB, le Pôle Habitat de la FFB, la FPI, Procivis, l'Unis et l'Unsfa.

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Date de réponse 16/10/2025