Face à une crise immobilière marquée par une baisse drastique des ventes, l’augmentation des taux bancaires et des coûts des matières premières, le modèle de la fabrique de logement est à bout de souffle. Les bases de la plus grave crise immobilière de notre histoire, celle de 1992, sont déjà égalées, pour ne pas dire dépassées.
La crise n’en est donc pas une. Nous assistons à un changement profond de modèle. Il faut regarder les choses en face et faire de la contrainte une opportunité : changer de modèle est d’autant plus pressant que le logement représente un besoin fondamental, un droit inaliénable qui doit être préservé à tout prix.
Face à la fin des dispositifs de défiscalisation et aux exigences de décarbonation, une transformation profonde de l’économie du logement, moins dépendante des aléas politiques et économiques et plus ancrée dans les réalités sociales et environnementales, s’impose. Il est impératif d’adopter une vision à long terme qui favorise la construction de logements écologiquement responsables, économiquement viables et socialement inclusifs.
La situation actuelle nous offre une occasion sans précédent de repenser notre manière de construire, de vivre et de coexister dans nos espaces de vie. Nous sommes optimistes et croyons possible une société où le logement n’est plus un vecteur de division, mais un pilier de notre unité et de notre solidarité. Pour faire face à ce changement, nous pensons qu’il faut d’abord s’intéresser aux leviers économiques. Cela nécessite d’imaginer une nouvelle répartition de la valeur créée devenue inéquitable entre tous les acteurs du logement ; et de concevoir un schéma différent concernant la propriété avec notamment le recours à l’emphytéose. Il est aussi nécessaire de placer la simplification et l’efficacité au cœur de l’acte de construire.
Le logement n’est pas un bien de consommation
Nous n’avons rien inventé ! Depuis l’aube de l’humanité, se loger a toujours été une entreprise fondamentale. Les premières installations humaines n’étaient pas de simples abris contre les éléments, mais des espaces où se construisaient les premières trames de la société humaine. Habiter, « demeurer », est une notion qui transcende donc la simple occupation d’un espace physique. C’est un acte dynamique qui implique une interaction continue avec l’environnement, la communauté et l’identité personnelle.
Dans un « monde fini » - aux ressources naturelles limitées, à la capacité écologique restreinte, à l’espace géographique défini -, nous pensons qu’il nous faut retrouver le sens de l’habiter pour façonner des logements qui non seulement abritent, mais qui enrichissent la vie humaine dans toutes ses dimensions. Cela implique une planification qui respecte le vivant, l’environnement naturel et urbain, qui promeut la durabilité et qui crée des espaces de vie harmonieux, fonctionnels, viables, désirables. La conception spatiale du logement influence directement la manière dont les individus interagissent avec leur environnement, favorisant un sentiment d’appartenance et de bien-être.
Or aujourd’hui, l’ampleur des investissements consentis par les parties prenantes de « la filière logement », ces dernières années, a installé un schéma avant tout économique, puis financier, devenu complexe. Ce schéma réunissant un nombre croissant d’acteurs. Les dispositifs fiscaux sont devenus le socle de l’économie résidentielle permettant une offre locative privée croissante qui, bien que répondant aux besoins, a fini par exclure financièrement du marché du logement les classes mal nommées « moyennes ». Plus que jamais, il est nécessaire de questionner notre relation à l’habiter et au logement et en faire un élément central de l’expérience humaine, un lieu où se conjuguent les aspects sociaux, économiques, culturels et spatiaux. C’est la seule manière, à notre sens, de considérer à nouveau le logement comme un outil de transformation majeur de nos sociétés.
Les structures économiques de la fabrique du logement sont fissurées. Si nous prenons, dans une métropole régionale, l’exemple d’un programme immobilier de 40 logements - dont 15 sont destinés à du logement social en Vefa - son coût total est de l’ordre de 8 millions d’euros HT. Ce coût est en moyenne réparti à 20 % pour le terrain soit 1,6 millions d’euros, 53 % pour les travaux, 7 % pour les honoraires techniques (architecte, BET, etc.) et 20 % pour les frais dits « annexes ».
Nous faisons trois constats :
- le premier est que pour assurer la viabilité économique d’un programme immobilier, le promoteur détermine d’abord la valeur de vente finale de l’immeuble, basée sur la demande du marché et le prix attendu. En soustrayant le coût de revient de cette valeur, il vise une marge d’environ 7 %.
- le second constat porte sur le poste majeur de dépenses que sont les travaux. Si nos voisins européens parviennent à construire à un coût inférieur d’environ 20 % au nôtre, nous peinons ici de plus en plus à optimiser ce poste. Travailler sur le manque d’industrialisation et la compléxité de la réglementation sont des leviers majeurs pour faire baisser ces coûts. Nous avons conscience qu’au regard de la construction bas carbone la marge reste minime.
- le troisième constat porte quant à lui sur celui des frais annexes, qui s’élèvent à 20 %. Ces derniers représentent un volume d’investissement aussi conséquent que le coût du foncier lui-même. Ces frais incluent les honoraires du promoteur - 5,5 % du chiffre d’affaires TTC en moyenne - les frais bancaires et d’assurance. Mais surtout une grande partie de ces frais est dédiée à la communication et aux ventes externes, qui peuvent parfois excéder en une seule année les bénéfices nets du promoteur immobilier. C’est donc bien dans les frais liés à la communication et aux ventes externes que se trouve le principal levier économique du changement. En bref, il nous faut concevoir différemment et vendre autrement…
Une nouvelle trajectoire économique est nécessaire
Il faut enclencher dès aujourd’hui une nouvelle trajectoire que la question économique peut guider, considérant que la force d’une économie réside dans sa capacité à transformer les visions en réalités. Aussi, la première priorité est celle d’une répartition plus équitable de la valeur générée, au bénéfice des résidents. Cela entraînera une immédiate modification de la structuration financière du secteur, favorisant une distribution plus équitable de l’effort investi entre acteurs déterminants et entraînant de manière vertueuse la réduction du prix de vente… rendant mécaniquement l’achat de logements plus accessible. Il s’agit dès lors de se concentrer sur les besoins essentiels. Cela représente un défi pour le monde de l’immobilier qui s’est développé autour d’une surabondance d’acteurs, de prestations mais aussi de superflus.
Il est essentiel de mieux rémunérer les acteurs clés pour leurs compétences et leurs idées… Une révision du seul poste de la vente, et donc de la distribution commerciale, autorise à être optimistes, pour autant que le modèle de définition du prix de vente soit revu en profondeur par une révision du modèle de production.
La seconde trajectoire porte sur un nouveau modèle de propriété et le recours notamment à l’emphytéose. Le bail réel solidaire, le BRS, en est la première manifestation contemporaine en France, mais peu d’autres dispositifs se sont depuis développés. Son usage dans le cadre d’un nouveau modèle immobilier a permis jusqu’ici de réduire l’impact de la part foncière dans le prix final.
Il semble désormais probable que les circonstances actuelles incitent d’importantes entreprises du secteur immobilier, financier et assurantiel à réaliser d’importants investissements à but locatif sous ce régime. Autrement dit, ces acteurs institutionnels pourraient se positionner comme les futurs propriétaires en réalisant d’importants investissements dans de vastes projets de logements en nom propre. Leur stratégie pourrait être de construire « en nom propre » pour ensuite mettre en location, en visant un rendement garanti.
Cette possibilité soulève immédiatement une exigence et une mise en garde : ces entreprises immobilières doivent intégrer dès à présent que les profits, bien qu’effectifs, appartiendront à une nouvelle ère dans laquelle la question de la gestion sera au centre du dispositif économique. Par ailleurs, et c’est la mise en garde, il est crucial que l’Etat s’assure que notre territoire ne se transforme pas en terrain de jeu pour quelques grandes entités financières pouvant, de fait, devenir puissantes dans la régulation du marché résidentiel.
Enfin, la troisième trajectoire en termes économiques nécessite de placer la simplification et l’efficacité au cœur de l’acte de construire. En gros, il nous faut dépenser moins pour vivre mieux : il nous faut embrasser une démarche courageuse qui consistera à extraire de nos logements l’inutile, le superflu, ce que nous pensons prétendument attendu par les habitants au profit de l’espace vécu. C’est ce qu’une vision holistique du logement propose, une économie de la mesure dans un monde bas carbone.
Pour une approche holistique de la fabrique du logement
C’est ainsi que dans l’univers du logement, où la complexité s’est longtemps drapée dans les atours de spécialisations techniques et financières, il est temps de rompre avec la logique des silos. Chaque regard ne peut de nos jours se limiter à son propre prisme, isolé et réducteur. L’adjectif « holistique », emprunté au lexique de l’épistémologie et des sciences humaines, évoque une quête de compréhension globale d’un sujet.
Dans une approche holistique du logement, les actions et considérations se déploient sur quatre dimensions fondamentales :
- une dimension sociale tout d’abord qui place l’humain au cœur de la réflexion sur l’habitat ;
- une dimension environnementale et spatiale, au cœur de la vision holistique du logement, appelle à une évolution fondamentale dans nos manières de construire et de penser nos espaces de vie ;
- une dimension économique qui doit s’attacher à la viabilité financière des projets de logement, tout en veillant à ce qu’ils génèrent des bénéfices pour la société dans son ensemble ;
- enfin, une dimension culturelle et éthique qui porte le respect et l’intégration des valeurs, des traditions, des identités des territoires où les logements sont implantés ; mais aussi sur une révision de nos manières de bâtir et de considérer les compagnons sur les chantiers.
Au travers de ces quatre dimensions essentielles nous avons développé une méthodologie portant sur neuf thématiques interconnectées, qu’il convient de convoquer, questionner tour à tour et faire résonner entre elles. Chacune entant dotée de leviers d’action et indicateurs de suivi comme autant d’aides et de guides pour renouveler nos pratiques.
Inventer, avec réalisme et optimisme
Il est facile - comme nous le faisons ici - de constater, d’écrire, d’alerter. Qu’en est-il de la mise en œuvre ? Fort de notre expérience auprès d’acteurs immobiliers, qu’ils soient promoteurs, maîtres d’ouvrages publics ou propriétaires privés, nous constatons que l’attente est forte. La prise de conscience se manifeste désormais dans nos missions par une « conversion » majeure dans les modalités de présentation des projets. Dernièrement, un maître d’ouvrage a décidé de suivre nos préconisations sur un projet de programmation urbaine d’envergure en consacrant 100 % d’une réunion de lancement devant la collectivité aux questions essentielles que nécessite une vision holistique de la question du logement :
Pour qui voulons nous construire ? Quels sont les revenus des habitants susceptibles de nous faire confiance ? Quelles sont leurs attentes en matières spatiales et écologiques ? La condition de cette réunion : le refus de parler de volumes de constructions ou de budgets. L’innovation devient comportementale, et le résultat est sans appel : une attention immédiate de la collectivité, clairement déstabilisée. La question densitaire ne se pose plus comme préalable à l’engagement de la discussion, mais comme une conséquence. Le projet se fera selon les objectifs qualitatifs, le quantitatif en résultera. L’échelle des valeurs commence par celles des utilisateurs.
Autre cas : un propriétaire institutionnel manifeste le vœu de reconvertir son site. Son intention ? Céder une partie de son site à un opérateur immobilier en logements, pour reconstruire sur le solde foncier ses équipements grâce au fruit de la vente.
Notre préconisation : établir la valorisation future sur des prix de vente 25 % inférieurs au marché actuel, moyennant un accord de l’opérateur contacté de gré à gré, pour abaisser ses honoraires de gestion et de marge du même ordre, investir dans une démarche carbone audacieuse sur des prestations réduites dans leurs volumes, mais augmentées dans leurs qualités. Le résultat : pas de concurrence, un prix de sortie attractif garantissant dès l’origine une commercialisation rapide malgré la conjoncture, des prestations modernes et qualitatives, une mutualisation des moyens. « L’affaire est faite », vertueuse, partagée, rapide, et économiquement équilibrée entre acteurs engagés…
D’autres exemples naissent, au quotidien, dans un climat de confiance renouvelé et qui met en avant une réalité rassurante pour les maîtres d’ouvrage : la rentabilité du projet reste forte, répartie différemment, mais consolidée sur de nouvelles bases.
Surmonter une crise, c’est accepter et comprendre une histoire de 30 ans où la défiscalisation a artificiellement stimulé la production de logements, conduisant finalement à une saturation du marché et bien souvent une perte de sens.
La réponse à cette situation est un changement de stratégie vers une approche plus équilibrée et adaptée aux réels besoins en logement. Il faut accepter de revoir en profondeur nos certitudes, nos habitudes, nos réflexes professionnels qui nous enferment parfois dans un confort trompeur.
Nous proposons certes de revoir nos modèles économiques mais aussi de prendre de le temps de poser les conditions réelles de réussite d’un projet, d’adopter une posture réflexive et d’investir dans l’intelligence, de rémunérer le talent de revoir la chaîne de valeur de l’acte de construire. Cela nécessite aussi d’accompagner avec méthode et attention le couple maîtrise d’ouvrage-maîtrise d’œuvre.
Dans ce voyage vers un avenir plus durable et inclusif, nous proposons d’être les compagnons de route de tous les acteurs du logement en quête de mutation et les accompagnants de manière concrète et opérationnelle dans l’adoption et la mise en œuvre de cette vision holistique. Nous fournissons les outils, les connaissances et le soutien nécessaires pour transformer les modes opératoires et aligner les projets avec les principes d’une offre de logement renouvelée. Nous terminons actuellement la publication d’un plaidoyer complet et détaillé avec volonté d’aider à construire ces trajectoires.
*Une vision holistique du logement n’est pas seulement souhaitable, elle est indispensable. Inspirés par une envie commune de changement et armés d’une approche intégrée nous sommes persuadés que pouvons accompagner la transformation du paysage du logement et, par extension, celui de notre société.