Interview

Logement : « En 2023, les bailleurs sociaux joueront un rôle contra-cyclique », Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat

Révision du plan stratégique énergétique, recyclage de friches, revitalisation de zones commerciales et patrimoine immobilier en développement sont les priorités de CDC Habitat.

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« Nous allons redéfinir notre plan stratégique énergétique, car 60 % de notre parc est chauffé au gaz. »

Crise des matériaux et de l'énergie, hausse des taux d'intérêt et des coûts de construction… L'année 2022 a été mouvementée. Comment s'est-elle passée pour CDC Habitat ?

Elle a été contrastée ! Compte tenu du contexte que vous venez d'évoquer, nous déplorons des retards de chantier, à la fois sur les ouvertures et sur les livraisons.

Les reports ont été plus marqués sur les segments du logement locatif intermédiaire (LLI) et du logement abordable contractualisé (LAC), proposé à la location en dessous du prix du marché, car ils sont en partie portés via Ampère Gestion, qui lève des fonds auprès des acteurs institutionnels (banques, assurances, etc.). L'été dernier, dans un contexte de remontée des taux d'intérêt, les grands investisseurs se sont brutalement retirés du marché. Il faut avoir à l'esprit que ceux-ci lèvent de la dette pour investir : la remontée des taux d'intérêt a donc fortement dégradé la rentabilité des projets.

En parallèle, les promoteurs immobiliers sont revenus vers nous pour renégocier des prix de Vefa, en général des augmentations de 6 à 10 %. Nous avons systématiquement demandé de justifier précisément ces hausses avant de répartir l'effort à réaliser. Au total, nous avons mis en chantier 17 000 logements, alors que notre objectif était plus élevé. Et nous en avons livré 17 000 autres.

Combien de logements intermédiaires et abordables avez-vous développés ?

Nous dénombrons plus de 6 000 logements intermédiaires et abordables contractualisés. Sur ce segment, 25 % des opérations ont été portées par Ampère Gestion, le reste par CDC Habitat. Ce ratio diffère des années précédentes, en raison du retrait des grands investisseurs. Par le passé, 40 % de ces opérations étaient portées par Ampère Gestion.

Comment réagissent les promoteurs immobiliers face au retrait des investisseurs institutionnels ?

Les bailleurs sociaux jouent traditionnellement un rôle contra-cyclique. L'année 2023 n'échappera pas à la règle. Depuis la fin 2022, nous sommes sollicités par les promoteurs qui nous proposent davantage d'acquisitions en bloc.

En général, les premières discussions avec eux s'engagent après le Mipim, entre mi-mars et avril. Cette année, elles ont commencé bien plus tôt. Ces prises de contact sont le fait du marché, mais aussi de notre volonté d'engager une relation partenariale sur la durée. Enfin, l'offre en bloc s'accroît, mais les prix restent élevés, du fait des coûts de construction et des prix d'acquisition du foncier.

Quel est le taux de maîtrise d'ouvrage directe (MOD) ?

Il varie entre 15 et 40 % selon les régions. Il est ainsi le plus élevé dans le Grand Ouest et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. A contrario, en Ile-de-France, le recours à la Vefa est le plus fort. Sur ce territoire, nous avons donc reconstitué les équipes : une vingtaine de personnes ont été recrutées pour renforcer Grand Paris Habitat [groupement d'intérêt économique créé par CDC Habitat pour intervenir en Ile-de-France, NDLR]. Et début mars, Aude Debreil [ancienne directrice générale de l'EPA Sénart, en Seine-et-Marne, NDLR] nous a rejoints en qualité de présidente du directoire de Grand Paris Habitat. La montée en puissance de la MOD dans cette région mettra plus de temps à devenir visible, car la majorité des logements acquis en 2020, dans le cadre du plan de relance, se situent sur ce territoire [CDC Habitat a lancé en mars 2020 un appel à projets pour acquérir 40 000 logements neufs en Vefa, NDLR].

L'année 2023 sera-t-elle aussi « sportive » que 2022 ?

En conséquence du plan de relance amorcé en 2020, nous livrerons plus de 20 000 logements. Au total, sur les 40 000 logements que nous aurions dû acquérir, seuls 32 000 le seront finalement, car certains programmes ont été revus ou annulés suite aux élections municipales de 2020 ou aux nouvelles conditions économiques.

Cette année, l'autre enjeu portera sur la redéfinition de notre plan stratégique énergétique, car 60 % de notre parc est chauffé au gaz. Cela signifie, par exemple, que nous connecterons autant que possible nos immeubles aux réseaux de chauffage urbain. Et que nous nous attacherons à développer des unités de production locales d'énergies renouvelables. Enfin, au-delà des réhabilitations thermiques, nous traiterons une centaine de résidences chaque année pour les adapter au changement climatique, en confortant leur résilience face aux événements climatiques majeurs. En moyenne, le surcoût est estimé à 4 000 euros par logement.

« Nous allons redéfinir notre plan stratégique énergétique, car 60 % de notre parc est chauffé au gaz. »

Alors que le Parlement débat du zéro artificialisation nette (ZAN), vous avez annoncé en septembre dernier la conclusion d'un partenariat avec Ivanhoé Cambridge, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, pour recycler des friches. Quel est le potentiel de développement ?

Ce partenariat est le fruit de réflexions menées depuis 2021. Les promoteurs immobiliers, qui n'ont pas toujours les moyens de porter ces fonciers dans la durée, nous les proposent.

Sur chaque opération, nous créons avec eux une société de projet, que nous détenons à 70-80 % en moyenne dans la phase de portage. Nous acquérons le foncier sans condition suspensive et sollicitons notre direction des grands projets pour travailler avec la collectivité locale. En général, le développement de programmes immobiliers sur ces sites nécessite une modification du plan local d'urbanisme. Enfin, nous faisons réaliser les travaux de dépollution nécessaires.

Nous avons dans les tuyaux 4 000 logements à développer ainsi. Nous bâtirons, par exemple, 500 à 600 logements - dont 30 % sociaux - sur le site d'une ancienne briqueterie à Lambersart (Nord), près de Lille. D'ici quatre à cinq ans, 30 % de notre production interviendra sur des friches.

Dans la même veine, alors qu'Action cœur de ville 2 se concentre sur les entrées de ville - souvent des zones commerciales - vous avez lancé avec Frey et la Banque des Territoires en décembre dernier un véhicule de portage foncier et de remembrement doté de 200 M€ pour restructurer ces terrains très imperméabilisés. Quels sont ses objectifs ?

Nous développerons entre 2 500 et 5 000 nouveaux logements, répartis sur sept à huit projets qui sont déjà sourcés, en périphérie des grandes métropoles. Il s'agit souvent de sites où les commerces fonctionnent bien, mais où la locomotive - souvent un hypermarché - peut rencontrer des difficultés. L'idée n'est donc pas de réaliser une éviction commerciale mais de redonner de l'attractivité à ces espaces. Les hypermarchés veulent réduire leur surface commerciale, et donc les zones de parking. Cela nous permet de maintenir l'offre commerciale, tout en travaillant sur la forme urbaine, et le développement d'un quartier mixte. Enfin, 15 % a minima des surfaces aujourd'hui artificialisées seront désimperméabilisées.

La loi Climat et résilience a interdit, dès cette année, la location des logements aux étiquettes G+. En 2025, le couperet tombera pour les « G ». Et en 2028 pour les « F ». Au total, un peu moins de deux millions de logements, situés en copropriété, seront interdits à la location. Réfléchissez-vous à intervenir ?

La sortie du parc locatif d'un volume important d'habitations est effectivement un risque. C'est pourquoi nous étudions la possibilité d'acheter en bloc des immeubles à rénover.

Ces logements acquis avec décote du fait du diagnostic de performance énergétique dégradé pourraient être proposés à la location, lot par lot. Mais pour que l'équilibre soit atteint, ils viendraient probablement abonder notre offre intermédiaire ou abordable contractualisé, et non pas l'offre sociale. Actuellement, la réglementation ne nous permet pas de développer du LLI dans l'ancien rénové. Nous portons ces propositions dans la perspective du projet de loi de finances pour 2024. Autre sujet sur ce segment de marché : la révision du zonage. Actuellement, le LLI ne peut être développé qu'à partir de la zone « B1 ». Nous souhaiterions qu'il soit ouvert ailleurs, sur des territoires bien déterminés, en fonction des tensions locatives qu'ils connaissent.

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