Les travaux publics s'ouvrent à de nouveaux paysages

La tendance au verdissement des villes conduit les groupes de TP à intégrer une expertise paysagère. Ils cherchent ainsi à proposer une offre globale pour répondre aux défis environnementaux.

 

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Dans le projet de réhabilitation du quartier Danton, au Havre (Seine-Maritime), Spie Batignolles Vallia, l’entité spécialisée en aménagement paysager du groupe, était notamment mandataire du lot 3 : espaces verts, revêtements et mobilier.

Au rythme des rapports alarmants du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), l'aménagement urbain a sensiblement évolué ces dernières années. Alors que 70 % des gaz à effet de serre proviennent des zones urbaines et que le réchauffement produit des effets de plus en plus dévastateurs (canicules, inondations, épisodes de sécheresse, pollution), les recettes de l'urbanisme contemporain sont remises en cause. Cette tendance, qui a trouvé sa traduction dans les urnes lors des dernières élections municipales, a conduit les élus à repenser l'aménagement de leurs espaces publics en réduisant les surfaces imperméabilisées au profit du végétal. Elle s'illustre jusque dans les nouvelles équipes de maîtrise d'œuvre urbaine où les mandataires sont de plus en plus souvent des paysagistes.

C'est le cas sur l'île de Nantes (Loire-Atlantique) où, pour le futur quartier République, Jacqueline Osty compte transformer 18 ha de sols artificiels en sols fertiles tout en construisant 2 000 nouveaux logements. « On a abordé ce projet avec une approche paysagère se traduisant par une nature omniprésente qui s'imbrique dans le bâti », explique la paysagiste dont l'objectif est notamment de lutter contre le phénomène des îlots de chaleur. Dans ce nouveau quartier, quelque 1 300 arbres seront plantés pour le bonheur des futurs habitants, mais aussi des entreprises de paysage qui ont vu leur chiffre d'affaires bondir de 6 % entre les premiers semestres 2019 et 2021, selon leur Union nationale (Unep).

Deux nouveaux poids lourds. Constitué majoritairement de très petites entreprises (environ 30 000 avec 2,7 salariés en moyenne), ce secteur qui pèse quelque 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires (CA) commence à se structurer. Des groupes importants émergent, tel ID Verde. Présidé par Hervé Lançon, un ingénieur ESTP qui a fait ses classes chez Bouygues où il dirigeait ETDE pour l'international, ce géant vert compte plus de 9 000 salariés pour un CA de quelque 900 millions d'euros (dont 380 millions d'euros en France) et s'affiche comme le leader européen dans son domaine avec ses filiales au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suisse et en Allemagne.

« L'expérience internationale est une source d'idées pour le marché français, tant dans la création que dans les types de contrats, souligne Olivier Bret, directeur général d'ID Verde pour la France et la Suisse. L'Angleterre et les pays d'Europe du Nord ont compris bien avant nous l'importance des espaces verts dans la cité. On y est jugé non pas sur le prix et l'épaisseur de la pelouse, mais sur la valeur sociale, l'expérience des usagers et ce qu'on apporte à la communauté. » L'autre poids lourd des travaux paysagers est issu du regroupement d'une quarantaine d'entreprises du groupe de travaux publics Segex. Présidé par Eric Plassart, un ancien chef

d'agence chez Jean Lefebvre, le groupe a multiplié les croissances externes dans les espaces verts, mais aussi le génie civil, le génie écologique, les voiries, les réseaux, l'arrosage ou la fontainerie. Fin 2019, toutes ces spécialités ont été rassemblées sous la bannière Teridéal. Avec plus de 2 200 salariés pour un chiffre d'affaires de 300 millions d'euros, c'est aujourd'hui le numéro deux français du marché derrière ID Verde.

Les entreprises de paysage ont connu une croissance de 6 % de leur activité en deux ans

Le succès de ces deux nouvelles majors du paysage, chacune présidée par d'anciens cadres du BTP, intrigue. « Récemment, un entrepreneur des TP me racontait être de plus en plus souvent sous-traitant d'entreprises de paysage, explique Jean-Christophe Louvet, président de la commission développement durable de la FNTP. De notre point de vue, les choses ne sont pas dans le bon ordre, malgré un tronc commun d'activités. » Pourtant, dans les territoires, il n'est pas rare de voir des entreprises de travaux publics investir le marché du paysage, notamment via la clientèle des particuliers. « En visitant la foire de Châlons-en-Champagne, j'ai pu constater que des entreprises de TP, parfois importantes, exposaient en proposant des travaux paysagers », ajoute-t-il.

En Vendée, le groupe Papin se présente ainsi comme un aménageur d'espace. Son offre va du terrassement à la construction, en passant par les clôtures et le paysage, notamment avec le rachat d'ArborA en 2018. En région Auvergne-Rhône-Alpes, le groupe Cheval se définit comme, non plus un groupe de travaux publics, mais un « aménageur engagé ». Première entreprise à mission du secteur, elle a inscrit dans ses statuts sa détermination à contribuer à la transition écologique, à travers une politique volontariste autour de l'économie circulaire, mais aussi du paysage. « Avec nos filiales dans les travaux publics et l'environnement, nous pouvons proposer une offre globale d'aménagement à nos clients. Elle va jusqu'à des jardins “haute couture” grâce à l'acquisition, il y a douze ans, de l'entreprise de paysage Valente qui apporte au groupe une valeur ajoutée dans la réalisation de projets clés en main », relève son président Jean-Pierre Cheval.

Une tendance réelle, mais encore limitée. Le récent rachat d'Effivert (100 salariés, 9 millions d'euros de CA) par le groupe nantais Charier illustre bien cette tendance. Faisant suite à l'acquisition, en début d'année, de l'entreprise nazairienne Pépinières Environnement Services (25 salariés, 2 millions de CA), cette opération a fait du groupe familial de travaux publics le numéro deux du paysage en Loire-Atlantique, derrière ID Verde. « Lorsque nous avons travaillé sur notre stratégie en 2014, les espaces verts ne faisaient pas partie des scénarios que l'on avait retenus. Mais à l'occasion de notre dernière révision stratégique, il est apparu comme une évidence que c'est un domaine dans lequel il faut désormais se développer », expose Paul Bazireau, président du directoire.

Les majors du BTP commencent elles aussi à s'intéresser au marché des espaces verts. C'est le cas de Vinci Construction avec sa marque Equo Vivo dédiée à la réalisation de projets d'aménagements écologiques. Récemment, sa filiale routière Eurovia a acquis Tera Paysages Environnement (situé en Moselle) afin de compléter son offre par une touche paysagère.

Parmi les grands groupes, Spie Batignolles est certainement celle dont la stratégie est la plus affirmée et offensive. Née du rachat de Vallois en 2019, Spie Batignolles Vallia, l'entité spécialisée en aménagement paysager du groupe, s'étend aujourd'hui dans le Grand Ouest. Elle a acquis récemment les sociétés bretonnes MSV (travaux forestiers) et Paysages de l'Oust. « A partir de la branche TP & Environnement de Spie Batignolles dont nous faisons partie avec Malet et Valérian, nous avons réfléchi sur l'avenir de nos métiers », déclare Patrice Lemens, président de Spie Batignolles Vallia. Et Christophe Beaugé, directeur des relations extérieures et de l'innovation, de préciser : « Autour des besoins de travaux générés par la réforme de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), et pour accompagner la transition environnementale des territoires, nous avons créé une marque, Eqiliance, unissant les valeurs ajoutées de chacune de ces trois entités du groupe. » Si ce mouvement des travaux publics vers le paysage est bien réel, les professionnels des espaces verts tiennent à le relativiser. « Nous suivons ces rachats et observons effectivement que la tendance se renforce, mais cela reste limité », commente Laurent Bizot, président de l'Union nationale des entreprises de paysage (Unep). Disant avoir lui aussi lui aussi « noté un mouvement », Olivier Bret, directeur général d'ID Verde, tempère néanmoins : « Ces flux des TP vers le paysage peuvent être suivis de reflux, car, avec nos multiples spécialités qui vont des sols sportifs à l'élagage, notre métier est très spécifique. On répond à quelque 50 000 appels d'offres par an pour un budget moyen de 15 000 euros. Du point de vue des travaux publics, c'est de l'épicerie. » De fait, si les groupes de TP qui investissent ce marché parient sur l'émergence d'une offre d'aménagement globale, l'allotissement est encore la règle pour les acheteurs publics, notamment dans les grandes villes où les maîtrises d'œuvre pour les voiries et les espaces verts sont souvent distinctes. « La situation est différente dans les petites villes où les maires nous disent qu'ils seraient ravis d'avoir un seul prestataire, constate Paul Bazireau. J'observe la même tendance chez les gros clients industriels. »

Chez les promoteurs, un virage est en train de s'opérer. « Jusqu'à il y a peu, ils ne consacraient aux espaces verts qu'une infime portion de leur budget global d'opération, constate Olivier Bret. Désormais, conscients que le végétal valorise les bâtiments, de plus en plus de promoteurs préservent le budget végétalisation jusqu'à en faire un lot à part. »

Le défi du ruissellement. La vraie valeur ajoutée des entreprises de travaux publics porte davantage sur la gestion de l'eau, aux frontières de la voirie, du génie écologique et du paysage. « La recherche de perméabilité des sols avec des enrobés drainants ou la réutilisation des eaux pluviales pour l'arrosage sont des sujets transversaux que les équipes voiries et paysages doivent travailler de concert », estime Paul Bazireau. Des solutions qui aideront les collectivités à mieux maîtriser leurs eaux de ruissellement. Une urgence : comme l'actualité ne cesse de nous le rappeler, les communes sont de plus en plus confrontées à de violentes précipitations et à des inondations, devenues ces dernières années le premier risque naturel.

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